Art contemporain

Monographie

Gemmologic Park

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2008 - 773 mots

Le Centre d’art de Vassivière accueille l’œuvre d’Hubert Duprat, qui manie à l’envi le sens de l’équivoque.

Île de Vassivière - Hubert Duprat, 51 ans, est décidément là où on ne l’attend pas. On l’a connu jadis un brin précieux, à travers notamment son travail sur ces larves aquatiques tricotant leur cocon de turquoises, rubis et autres saphirs. Cette préciosité vole aujourd’hui en éclat de manière magistrale, dans cette exposition monographique intitulée non sans humour « Massive centrale » et déployée dans le Centre international d’art et du paysage, à Vassivière (Haute-Vienne), lequel a financé l’ensemble des pièces.

La plus grande salle, la nef, accueille cinq sculptures, dont la majorité sont encore le résultat d’une recherche sur les gemmes, mais d’un autre type et à une autre échelle. Chacune des œuvres éprouve un malin plaisir à jouer l’ambiguïté.

Ainsi, en est-il de cette « tour » translucide, en calcite optique, dont les morceaux minutieusement taillés sont montés en quinconce et avec une extrême précision, comme un jeu de construction. Quelque 220 kg de pierres ont été nécessaires à l’élaboration de la pièce et pourtant celle-ci paraît évanescente. Plus loin, au sol, gît un amas sombre : plusieurs tonnes de magnétite, un minéral naturellement aimanté. On pourrait croire à un simple tas de charbon, sauf que les cailloux, polis tels des bijoux, absorbent la lumière de manière étonnante. La rudesse de l’amoncellement le dispute alors à la facture soigneuse du polissage, le noir à la lumière. Duprat manie à l’envi le sens de l’équivoque. Idem pour cette pièce énigmatique, fabriquée en pyrite. La particularité de cette pierre est d’avoir, naturellement, des cristaux de formes parallélépipédiques. Si bien que l’œuvre, une sorte de contenant cylindrique constitué d’une myriade de petits cubes polis en miroir, semble presque issue d’un processus industriel. Étrange inversion des genres avec cette nature engendrant des volumes aussi parfaits.

Plus net qu’un diamant, la nature ne peut point. Celui taillé par Hubert Duprat comporte dix-sept facettes et arbore des taches étrangement géométriques : cercle, ellipse, parabole…. La raison : avant d’être arasé, le volume, en plâtre, a été truffé de cônes en laiton teinté. Lors de la découpe, chaque face révélera les subtils dessins mathématiques de ces cônes plongés au hasard dans la matière et tranchés à vif. L’aléatoire de leur positionnement pourrait simuler la nature, il n’est qu’artifice.

Plafond de mica noir
Comme pour jeter le trouble sur un ensemble exclusivement minéral qui aurait pu être clairement identifiable, Duprat installe un ovni, une forme informe, en pâte à modeler. On dirait une monumentale motte de beurre tout juste sortie de la baratte d’un géant. Sauf que, par un étrange effet de lumière sur la matière, l’imposante masse se révèle soudain flottante. L’homme est passé maître dans l’art de permuter les logiques. Le visiteur pourra à nouveau le vérifier dans le petit théâtre, un rien métamorphosé. L’artiste y a, en effet, habillé l’entier plafond de mica noir et de jointures en pâte à modeler, à l’instar de cette voûte constituée de miroirs cernés de plâtre et logée dans le Pavillon de chasse de Stupinigi, près de Turin, chef-d’œuvre baroque de l’architecte italien Filippo Juvarra (1678-1736). C’est à la fois l’œuvre la moins « épaisse » de cette présentation et, paradoxalement, celle où l’on ressent le plus le processus de fabrication. De fait, un jeu subtil s’installe entre le réseau formé par les feuilles de mica, tranchées par la machine, et celui de la pâte à modeler, apposée au doigt. Résultat : le sol a sauté au plafond et le plafond est miroir. L’espace s’en trouve complètement chamboulé, le visiteur itou. De là, ce dernier peut voir, en contre-plongée, l’œuvre installée dans la salle des études, sept longues formes extrudées, en mastic, que d’aucuns ont déjà baptisé les « churros » tant leur silhouette ressemble à cette fameuse pâtisserie espagnole.

La dernière pièce de cette exposition, et non des moindres, a trouvé refuge dans le phare. Il s’agit d’une immense plate-forme suspendue à quelques mètres de hauteur et composée d’une multitude de tubes en PVC de dimensions variées, accolés les uns aux autres de manière aléatoire. L’ouvrage est époustouflant. La lumière qui tombe du sommet et transperce ces tubes les fait vibrer. Selon l’angle par lequel on regarde, le paysage est parfois franchement métallique, parfois plutôt lunaire. À d’autres moments encore, la nappe semble au contraire flotter telle une multitude de bulles de savon. Le visiteur est planté dessous bouche bée, presque en apnée.

MASSIVE CENTRALE

Jusqu’au 25 octobre, Centre international d’art et du paysage, 87120 Île de Vassivière, tél. 05 55 69 27 27, www.ciapiledevassiviere.com, tlj sauf le lundi 11h-13h et 14h-18h.

MASSIVE CENTRALE

- Commissaire de l’exposition : Chiara Parisi, directrice du Centre international d’art et du paysage de l’Île de Vassivière
- Nombre de salles : 4
- Nombre de pièces : 8

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : Gemmologic Park

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