Design

« In-A-Gadda-da-Vida »

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 28 avril 2006 - 866 mots

Entre les 350 manifestations « off » et la foire officielle installée dans le nouveau parc des expositions signé Massimiliano Fuksas, le Salon du meuble de Milan s’est mué en un véritable jardin d’Éden.

 MILAN - Drôle d’ambiance que celle de ce 45e Salon du meuble de Milan (du 5 au 10 avril), qui s’est ouvert au moment même où s’achevaient les derniers meetings de la campagne électorale pour les législatives italiennes. Une atmosphère de grande incertitude était alors de mise.
Cette année, la production se révèle à l’exact opposé de celle de l’an passé. Exit en effet les images de guerre, place à un merveilleux jardin d’Éden. Pour un peu, le visiteur s’installerait confortablement dans un canapé – ce n’est pas le choix qui manque ici ! – pour écouter in extenso les dix-sept minutes du In-A-Gadda-da-Vida [In the Garden of Eden] des Iron Butterfly. Et, pourtant, nous sommes à mille lieues d’un quelconque revival hippie, même si un « Flower Power » d’un nouveau genre s’affirme néanmoins. L’exposition d’Andrea Branzi à la Design Gallery Milano s’intitule « Uomini e Fiori » [« Les hommes et les fleurs »]. Et le monde alentour est couvert de fleurs : le fauteuil Antibodi (Patricia Urquiola, Moroso), le sofa géant Aster Papposus (les frères Campana, Edra), le lampadaire Bloom (Hella Jongerius, Vitra). Dans le rôle du jardinier en chef, on retrouve le Néerlandais Tord Boontje (Moroso, Fiam, Axor…). Une figure notable de ce petit paradis, où s’épanouissent aussi des animaux – la lampe-cheval et la table-cochon de Front (Moooi), l’assise Kaiman Jacarè des Campana (Edra)… – et un végétal emblématique, l’arbre
– en portemanteau (Rehti), en tuteur pour fils à linge (Casamania), ou tronçonné façon sièges de jardin (Swedese).
Milan 2006, c’est aussi une formidable offensive nippone, aussi bien de la part des designers (Naoto
Fukasawa, Toshiyuki Kita, Tokujin Yoshioka, Shin Azumi, Tomita Kazuhiko, Studio Nendo…) et des architectes (Kazuyo Sejima, Toyo Ito…) que des entreprises et des institutions (Miyake Design Studio, Lexus, Pioneer, Union Corporation, Toto…), venues ici faire leur show. La société Muji en a profité pour lancer un concours international de design (www.muji.net/award), et le prix japonais Good Design Award y a fêté ses cinquante ans avec une rétrospective à la Triennale, à Milan. Dans le match France-Suisse, les Helvètes battent les Gaulois à plate couture. Ainsi, au Centre culturel français, une exposition prétentieuse, « République libre du design » (sic !), mélange de laborieux travaux d’école (École nationale supérieure de création industrielle de Paris) et de pièces ineptes (Plateaux vivre nu d’Olivier Peyricot). Rien à voir avec la magie de l’installation Composition pour cordes proposée par l’Atelier Oï au Centre culturel suisse, série d’« assises-carillons » faites de corde de bateau, de tiges d’aluminium et de lumière. De bien mauvais augure pour la prochaine rencontre de Coupe du monde de football en Allemagne !
Cette année encore ont été jetées en pâture des pièces réalisées en Corian (DuPont), matériau mi-naturel mi-synthétique utilisé pour les collectivités sous forme de plaque : plan de travail, habillage de baignoire… On a pu voir, entre autres, un siège en forme de bouchon de champagne (Michael Young), des bancs (Setsu et Shinobu Ito), une cuisine en forme de sucette géante (Zaha Hadid)… Qui osera dire, une bonne fois pour toutes, que l’on ne peut pas faire tout et n’importe quoi avec du Corian ?

Angoisses de l’époque
Après Artek, qui, l’an passé, bariolait le mobilier d’Alvar Aalto de nuances pimpantes (bleu pétrole, orange fluorescent…), c’est cette fois au tour de l’ex-puriste Vitra de proposer une chaise Standard de Jean Prouvé en couleurs (bleu ciel, rose chair…). À quand un fauteuil Paimio ou une chaise Standard relookés par le « fleuriste » de service Tord Boontje ? L’interrogation est bien sûr futile. Bien moins cruciale que les questions que certains se posent sur le grand cycle de la vie, et qui reflètent, à n’en point douter, quelques angoisses de l’époque. On passe ainsi d’un trait de la naissance – la Nursing Room de la Slovène Nika Zupanc, avec ces berceaux en polycarbonate translucide – à la mort. Entre les deux, les virus – les vases Crystal Virus de Pieke Bergmans –, les épidémies – le papier peint Bird Influenza de Rogier Corbeau, au motif reprenant le graphisme du H5N1 –, la maladie – une « histoire dessinée » poignante d’une étudiante de la Design Academy d’Eindhoven, Tessa Van Dam, morte à 24 ans de la maladie d’Hodgkin –, les squelettes – le mobilier Perished de Studio Job chez Dilmos. Présentée à la Faculté théologique de l’Italie septentrionale, à Milan, l’exposition « Post Mortem » des étudiants de la Design Academy d’Eindhoven (Pays-Bas) évoque justement les cérémonials autour de la mort et des funérailles, et imagine de nouveaux rituels, objets et accessoires, comme des urnes aux formes insolites, des parures de deuil ou des couvertures pour cercueil sur lesquelles on peut broder un dessin ou quelques mots. Sur l’une d’elles, on peut lire : « Until you die, live ». Plus qu’une épitaphe, une piqûre de rappel !

Salon du meuble de Milan

- Superficie : 222 000 m2 - Nombre d’exposants : 2 549 - Nombre de visiteurs en 2006 : 200 000

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°236 du 28 avril 2006, avec le titre suivant : « In-A-Gadda-da-Vida »

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