Gabriel Kuri « De l’objet au discours, du discours à l’objet »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 14 janvier 2014 - 727 mots

L’artiste mexicain Gabriel Kuri a installé une nouvelle série de sculptures dans le Parc-Saint-Léger de Pougues-les-Eaux.

En s’attachant au contexte spécifique du Parc Saint-Léger, à Pougues-les-Eaux (Nièvre), une ancienne station thermale, l’artiste mexicain Gabriel Kuri (né en 1970) s’installe dans le bâtiment du centre d’art, mais aussi sous le promenoir et dans le pavillon des Sources avec de nouvelles séries de sculptures.

Vous semblez avoir amorcé ici un changement d’échelle de votre sculpture, avec des pièces plus amples qu’à l’accoutumée…
J’ai déjà fait des sculptures assez grandes, mais, naturellement, dans cet endroit, le besoin de grandir m’est apparu évident. J’ai essayé de connecter les trois espaces dans lesquels je suis intervenu ; comme, lorsque vous traversez le parc, vous vous confrontez à une autre dimension, je me suis senti un peu plus « expansif ». Cette connexion n’aurait pas fonctionné avec de petits jeux de mots. Dans le pavillon des Sources sont présentées plusieurs pièces, mais, d’une certaine manière, elles forment deux éléments : un groupe d’objets couverts de goudron placés sur un même axe, et des distributeurs de papier entourant un mur octogonal. Il s’est établi un dialogue avec l’espace, les volumes de lumière et d’air, et la nécessité d’augmenter l’échelle a paru évidente. La même chose s’est produite dans les salles d’exposition. C’est un espace très capricieux, avec des petits coins, des angles et beaucoup de petits détails. Je me suis dit que mon intention n’était pas d’établir un dialogue avec ce lieu. Je voulais faire un geste un peu plus radical avec de grands rouleaux de papier, de manière à capturer l’attention du spectateur et éviter qu’il ne se perde dans les petits détails.

Le titre de l’exposition, « Bottled Water Branded Water », est-il une manière d’aborder de front une question de valeur à travers l’idée de marque (« branded ») ?

Je pense, bien entendu, que marquer quelque chose par un label commercial revient à créer une distinction sémantique, mais équivaut également à établir une valeur monétaire et commerciale. Ce qui m’intéresse dans l’histoire de cet endroit, qui est maintenant révolue, c’est l’idée de l’eau et de la marquer. C’est très intéressant car c’est un élément qui s’écoule, un flux. On peut marquer et assigner des valeurs, mais l’élément continue et ne s’arrête jamais.

Est-ce pour cela qu’une des œuvres rassemble des bouteilles d’eau remplies d’un liquide jaunâtre évoquant l’urine ?
C’est une bonne question au moment où je dis qu’on ne peut pas arrêter le flux, car même si l’eau traverse votre corps, elle ressort et retourne à la nature, cela fait partie d’un cycle. Donc marquer l’eau et en faire un objet de consommation n’est qu’une petite étape dans le processus d’un cycle. La suggestion de la couleur du liquide est naturellement une référence au corps, mais là aussi j’ai essayé de faire quelque chose de très propre, comme une sorte de produit commercial posé sur le rouleau de papier, un ensemble composé.

À propos de votre processus de travail, aviez-vous en tête l’idée de faire une œuvre avec des bouteilles ou est-ce le fait d’avoir trouvé des bouteilles qui a déclenché quelque chose ?

Je ne suis pas un collectionneur frénétique. J’ai des choses dans mon atelier, mais je ne marche pas dans la ville avec l’intention de ramasser une grande quantité d’objets pour ensuite commencer à les observer. Mon investigation est dirigée sur la précision de l’énoncé. C’est donc un processus qui va de l’objet au discours mais aussi du discours à l’objet. Je fais des notes, des petites images. Il s’agit d’un processus organique. Je ne peux pas vous dire si l’idée est venue quand j’ai vu la bouteille et que je me suis dit « c’est la bouteille », ou pour avoir vu, peut-être, une bouteille remplie d’urine à Paris. Et il y a différentes manières de faire en sorte que ces idées se connectent avec ma vie, mes réalités, mes impressions. À certains moments, c’est matériel, la chance et l’intuition sont en jeu, mais un processus plus rationnel et thématique fait aussi partie de la discipline de mon travail. Si vous regardez mes notes, vous pouvez y voir des références directes à l’eau embouteillée, à la marque, à l’aspect physique des bouteilles, qui datent peut-être d’il y a cinq ans. Mais c’est seulement avec ce projet et la spécificité du lieu que cette idée a vraiment mûri.

GABRIEL KURI. BOTTLED WATER BRANDED WATER,

jusqu’au 9 février, Parc Saint-Léger, avenue Conti, 58320 Pougues-les-Eaux, tél. 03 86 90 96 60, www.parcsaintleger.fr, tlj sauf lundi-mardi 14h-18h.

En savoir plus
Lire la notice d'AlloExpo sur l'exposition « Gabriel Kuri »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : Gabriel Kuri « De l’objet au discours, du discours à l’objet »

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque