Françoise Cachin

Conservateur

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 6 février 2004 - 1262 mots

Fidèle serviteur de l’État, elle n’en est pas moins forte de convictions personnelles qu’elle sait défendre sans se soucier de leur inadéquation à la politique en vigueur. Du Musée national
d’art moderne à celui d’Orsay, Françoise Cachin ou l’itinéraire d’un conservateur gâté.

Une chaleur policée, une voix feutrée : l’ancienne directrice des Musées de France, Françoise Cachin, est en réserve plus qu’en « devoir » de réserve. Sa généalogie cultive le grand écart. Sans désavouer son grand-père Marcel Cachin, cofondateur du Parti communiste français, elle admet plus volontiers la filiation du peintre Paul Signac. « Marcel Cachin était un grand-père très gentil, mais je n’ai jamais été engagée dans sa direction. J’ai vu très tôt les défauts des idéologies », déclare-t-elle. Née dans une famille de femmes peintres depuis le XVIIIe siècle, nourrie de l’étonnante bibliothèque de Signac, elle s’intéresse à l’art par capillarité. Après des études de philosophie, Françoise Cachin suit les cours de l’historien de l’art André Chastel. À mi-chemin entre l’approche stylistique de Chastel et celle sociologique de Pierre Francastel, les deux pôles alors de référence, elle s’intéresse aux relations entre artistes, écrivains et critiques. Son mémoire traitera du critique Félix Fénéon, dont elle partage le sens de la pointe. Jeune diplômée, elle s’occupe pendant trois ans avec Chastel de la collection « Miroir de l’Art », aux éditions Hermann. Elle publie en 1968 son premier livre sur Gauguin. « Elle ne s’est pas contentée de voir en Gauguin l’inventeur de la modernité ou le libertaire. Elle n’était pas dupe du personnage et des mythes qui étaient très actifs à la fin des années 1960. Sans chercher à les théoriser, elle a réussi à mettre en place tous les éléments d’analyse qui ont été développés par la suite », rappelle l’historien de l’art Stéphane Guégan, auteur d’un récent ouvrage sur le peintre. Sa méthode consiste à donner l’impression de ne pas en avoir, à multiplier les approches plutôt qu’à les exclure. « Elle a un esprit de synthèse que peu de gens possèdent. Elle rattache l’histoire de l’art à celle des idées avec une richesse que n’ont pas les historiens étriqués dans les questions d’attribution. Vingt ans après, on peut lire ses premiers textes avec le même plaisir », conforte Jean Clair, directeur du Musée Picasso. Son univers est alors, comme aujourd’hui, celui du Tout-Paris littéraire et intellectuel, de Jean-François Revel à Pierre Nora, son premier mari. « Elle aime le mélange d’intelligence et d’esprit des salons de la fin du XIXe siècle », résume Jean Clair.

Ayant opté pour l’université plutôt que pour l’École du Louvre, Françoise Cachin s’oriente vers la conservation seulement sous l’impulsion de l’homme de musées Michel Laclotte. Fin 1968, elle rejoint le Musée national d’art moderne et s’attelle à l’ambitieuse exposition « Paul Klee ». Sensible à la question de la fuite des collections, elle se préoccupe des acquisitions. On doit à son entregent l’achat d’une Tête mécanique (L’Esprit de notre temps) de Raoul Hausmann ainsi que du Portrait prémonitoire d’Apollinaire par De Chirico. Peu convaincue par l’intégration du musée dans l’archipel de Beaubourg, elle bifurque en 1978 vers le groupe de préfiguration du Musée d’Orsay piloté par Michel Laclotte. « Cette partie préparatoire était passionnante car, en plus des collections de peintures et de sculptures, il fallait constituer une collection d’architecture, de photos et d’objets d’art. L’ambiance était sympathique. C’était un travail d’équipe, un des aspects du métier que j’apprécie le plus », rappelle-t-elle. En 1986, Michel Laclotte lui confie les rênes de l’établissement. « Elle s’est imposée naturellement. Elle est nette, elle voit clair. Elle exerce une vraie autorité morale sur ses collaborateurs », déclare l’ancien mentor. Certains se félicitent qu’elle n’ait pas « cédé aux engouements idéologiques de l’époque » en réduisant Orsay à « un pur musée de sociologie de l’art ». Elle remet les Pompiers au goût du jour et lance une politique d’expositions lucratives, notamment le quatuor gagnant Manet (1983)-Gauguin (1988)-Seurat (1991)-Cézanne (1995), en collaboration avec les musées américains. Son fait d’armes le plus retentissant ? Avoir décroché en 1993, au bout de deux ans de négociations, la collection Barnes, réputée « imprêtable ».

Esprit de corps
L’année suivante, Jacques Toubon, alors ministre de la Culture, lui propose la direction des Musées de France (DMF). Première femme à ce poste, elle insuffle une légèreté à l’administration. « Elle a une façon allègre de traiter les affaires. Elle est apparemment réservée, mais il s’agit plus de pudeur que de froideur », souligne son ancien bras droit, Bernard Schotter. Pour cette Parisienne forcenée, plus proche de New York que de Rouen, la DMF sera l’occasion de découvrir les musées de province. On lui reproche toutefois d’avoir ignoré les musées de société. Françoise Cachin est surtout mise sur la sellette par l’affaire des MNR (Musées nationaux Récupération), œuvres rapatriées d’Allemagne en France après la guerre mais que leurs propriétaires n’ont pas réclamées. À partir de 1996, la presse évoque le demi-silence, voire l’inertie des musées français pour retrouver les propriétaires de ces œuvres en souffrance. Françoise Cachin parle d’une « campagne injuste » : « L’État français avait déjà tout rendu à 95 % après la guerre. Le travail que nous avons fait face à cette polémique a été soutenu par la communauté juive de France. » Ses familiers reprochent à certains de ses pairs de l’avoir laissée seule face à l’ordalie de la conférence de Washington sur les biens spoliés en 1998. Cette même année fait aussi date au niveau des acquisitions. Les liens de Françoise Cachin avec la famille Rouart précipitent l’achat pour Orsay du Portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes par Manet.

Certains observateurs regrettent que son goût du pouvoir ait mis en sourdine ses compétences d’historienne. De fait, on voit surtout en elle une « grande dame » issue du sérail des musées internationaux. Sans doute parce qu’elle relève d’une école, celle d’un Fénéon ou d’un André Fermigier, lequel, se défiant de la pédanterie universitaire, a musardé entre critique et histoire de l’art. Depuis sa passation de pouvoir à Francine Mariani-Ducray en 2001, Françoise Cachin a repris le chemin de la recherche. Elle prévoit prochainement une publication sur l’origine du flamboiement fauve dans le néo-impressionnisme.

Plus en retrait du monde des musées, elle n’en a pas moins l’esprit de corps bien harnaché. « C’est un serviteur de l’État, mais elle a des convictions personnelles et n’hésite pas en faire état sans se demander si elle est politiquement correcte », rappelle Bernard Schotter. « Elle estime que les musées sont une famille », souligne de son côté Michel Laclotte. Un esprit de « famille » qui la conduit à créer en 1999 avec Elizabeth Rohatyn le réseau French Regional and American Museum Exchange (FRAME), pour activer des partenariats entre neufs musées régionaux français et neuf institutions américaines. En porte-à-faux avec la politique actuelle pour les musées, Françoise Cachin affiche son scepticisme face à leur autonomie croissante : « Le système de la Réunion des musées nationaux était envié par tous nos collègues étrangers. Je ne suis pas spécialement élitiste ou jacobine, mais on avait cette chance de ne pas être obligé de courir après l’argent. La responsabilisation des musées n’est pas absurde, mais déresponsabiliser l’État est une erreur. Personne n’ose le dire dans les musées, mais beaucoup de gens sont inquiets. »

Françoise Cachin en cinq dates

1969 : Conservateur au Musée national d’art moderne,à Paris.

1978 : Rejoint le comité de préfiguration du Musée d’Orsay, à Paris.

1986 : Directrice du Musée d’Orsay.

1994 : Directrice des Musées de France (DMF)

2001 : Départ de la DMF.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°186 du 6 février 2004, avec le titre suivant : Françoise Cachin

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