Paroles d’artiste

Ettore Spalletti

« Les couleurs sont aussi des éléments d’architecture »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2006 - 801 mots

Avec une économie d’effets, Ettore Spalletti a conçu pour la Villa Médicis, Académie de France à Rome, un accrochage d’une rare élégance, bouleversant de vibration contenue. Autour d’une Stanza
azzurra (2006), espace blanc occupé par onze tableaux bleus soumis à un intense éclairage, se déploient des œuvres qui font état, avec retenue, de sa remarquable capacité à ressentir l’espace et de son immense talent de coloriste. L’artiste revient sur son exposition.

Comment s’est effectué le choix des œuvres de cette exposition ?
L’idée globale naît autour de ce qu’évoque la Chambre bleue [Stanza  azzurra], qui est au cœur de l’exposition et de laquelle part la vision des autres œuvres, dont certaines sont récentes et faites pour cette exposition, et d’autres plus anciennes, des années 1980 et 1990. Elle ne tient pas vraiment à des époques différentes, mais à un choix de travaux qui crée une tension sur une ligne de continuité et d’équilibre, qui s’irradie à partir de cette Chambre bleue, comme si on était dans un temps non dit, en quelque sorte.

L’espace d’exposition de la Villa Médicis est difficile à travailler. Comment l’avez-vous abordé ?
Il est vrai que c’est un espace très difficile, mais c’est ce qui le rend très beau et intéressant, car ce fut une façon de me mettre à l’épreuve. En particulier, j’ai laissé l’escalier presque vide, car il est beau en lui-même et il donne une invitation à entrer dans cette Chambre bleue. La petite estrade rouge rosé que j’ai créée spécialement (Base di colore, rosso porpora, 2006) semble en indiquer le chemin et met en valeur l’escalier en délivrant une invitation à le gravir.

Cherchez-vous à créer une atmosphère particulière dans une exposition ?
Créer une atmosphère, c’est tout mon travail et mon souhait. J’en cherche une particulière pour chaque exposition. L’atmosphère générale de mon travail est une recherche de la couleur à l’intérieur même de la couleur.

Votre travail répond tout entier à une problématique spatiale. L’architecture est-elle un lieu d’accueil pour l’œuvre d’art ?
En effet, l’architecture est un lieu qui accueille, mais qui accueille en général, qui accueille la vie, le mouvement… Ce que je fais, c’est accompagner cet accueil à travers la couleur. Les espaces ont toujours des couleurs qui leur sont propres, et j’en ajoute. Je les caractérise avec des couleurs spéciales, parce que les couleurs, dans ma façon de voir, ne sont pas de simples surfaces, mais sont, elles aussi, des éléments d’architecture, des atmosphères. J’utilise beaucoup le bleu, qui est la couleur essentielle de l’atmosphère en général, et qui est presque toujours autour de nous. De la même manière, le rose évoque l’incarnat, mais c’est tout autant une tendresse, un sentiment, de l’affection. Cela aussi, dans un certain sens, envoûte et accueille. Le gris est important également. Il est pour moi la couleur qui restitue et qui accueille le mieux toutes les couleurs autour de moi.

Dans l’exposition sont présentés quatre cadres, deux bleux et deux gris, couverts par du verre dépoli (Vuoti, 1985). Est-ce une manière de créer une autre profondeur ?
C’est une œuvre ancienne, que j’expose pour la première fois. J’ai toujours beaucoup aimé ces tableaux, car je les trouve, moi aussi, très curieux. Ils donnent comme une sorte de sensation de vide. Et la juxtaposition de la vitre, du cadre et du tableau derrière est une succession d’éléments qui participent à la constitution de ce vide. Ce sont comme des boîtes de vide que l’on ne peut pas ouvrir.

Vous partez d’une pâte blanche que vous grattez pour parvenir à la couleur. Est-ce une manière d’aller la chercher en profondeur ?
En effet, je travaille une pâte de couleur à l’huile blanche, que je mêle à des pigments. J’étale des couches sur le tableau, qui doivent avoir au moins dix jours de séchage. C’est le rythme de séchage qui donne sa tonalité à la couleur. Et, comme vous le disiez, c’est le frottement qui rompt les pigments et qui donne une couleur complètement différente de celle qui a été étalée. C’est une façon de chercher la couleur à l’intérieur de la couleur. C’est pourquoi elle est profonde et a une vie propre. Parfois, les couleurs non seulement accueillent, mais encore tentent d’envahir l’espace. Ainsi, certains tableaux ne sont pas collés contre le mur. Ce ne sont pas des tableaux, mais quelque chose qui ressort. C’est comme un échange avec l’espace d’accueil.

Quand vous travaillez un tableau aussi minutieusement, qu’est ce qui vous fait décider qu’il est terminé ?
C’est le tableau qui apparaît miraculeusement du travail d’abrasion. Je ne décide pas, c’est lui !

ETTORE SPALLETTI. LA COULEUR S’ÉTALE, SÈCHE, ÉPAISSIT, SE REPOSE

Jusqu’au 16 juillet, Académie de France à Rome, Villa Médicis, Viale Trinità dei Monti 1, Rome, tél. 39 06 67 61 1, www.villamedici.it, tlj sauf lundi, 11h-19h. Catalogue, éd. Académie de France à Rome, 512 p.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°238 du 26 mai 2006, avec le titre suivant : Ettore Spalletti

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