Collage

Éducation/libération

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 23 avril 2013 - 649 mots

Le LaM met à l’honneur Jockum Nordström et ses curieux dessins qui affranchissent le monde de son organisation normée.

VILLENEUVE-D’ASCQ - L’on convierait volontiers le visiteur à commencer par la dernière salle du parcours, afin d’y laisser son regard se perdre dans une immense vitrine où sont amassées des centaines de formes découpées et colorées, à l’aquarelle le plus souvent. S’y accumulent des animaux et des insectes, des femmes nues et des pièces de mobilier, des instruments de musique ou des plantes, soit autant d’éléments habituellement entassés dans les tiroirs de l’atelier et qui constituent les prémices autant que le vocabulaire d’un étonnant travail de collage.
Qualifier de « singulière » l’œuvre de Jockum Nordström ne relève pas d’une vue de l’esprit, tant l’artiste apparaît rétif à toute tentative de définition formelle autant que de classement au sein d’une tendance ou courant. Né en 1963 à Stockholm, il est relativement méconnu en France et n’affiche pas un parcours institutionnel des plus fournis hors de Suède, mais n’en est pas moins soutenu par des galeries de renom, telles Zeno X à Anvers et David Zwirner à New York. L’exposition proposée par le LaM à Villeneuve d’Ascq est donc une curiosité ; elle dévoile progressivement une pratique qui semble toujours se définir « contre », dans la forme comme sur le fond. Dans la forme car si dessins, collages et sculptures en carton lui tiennent lieu de mode d’expression, c’est qu’une allergie aux composants de la peinture lui a interdit cette dernière. Ses maquettes fragiles et d’apparence instable sont confectionnées à l’aide de boîtes d’allumettes ; ses découpages remémorent l’architecture rigide des immeubles de la banlieue de Stockholm où il fut élevé. Sur le fond, tout le parcours révèle, en même temps qu’une indéniable acuité dans l’observation du monde et de ses contemporains, dont il scrute avec minutie organisation, habitudes et travers, une propension à en contrer la dimension normée.

Planches encyclopédiques
Une première salle emplie de dessins à la mine souligne d’emblée un intérêt pour les écritures marginales, un art d’apparence naïf, enfantin, mais à la construction complexe. S’y mêlent souvent divers motifs (bateaux, oiseaux, crustacés, personnages…) qui, assemblés, tendent à se télescoper et prennent des libertés avec la perspective et la logique. Le tout dépasse largement la seule observation et relève d’une construction mentale où l’esprit de conquête cher aux Suédois esquisse la découverte d’un monde et une remise en ordre de ses fondements. L’esthétique de l’ensemble, néanmoins, semble frôler la coquetterie un peu facile.
Bien plus solides apparaissent en revanche les nombreux collages – revenons-en aux éléments de langage trouvés dans la grande vitrine – jalonnant l’essentiel de l’accrochage. Nombre d’entre eux se donnent à voir telles les planches d’une encyclopédie traitant de l’histoire naturelle et des comportements humains à travers des tentatives typologiques relatives à la vie des gens, aux métiers ou aux animaux. Sauf qu’un grain de sable vient toujours immanquablement perturber l’ordre idéal et empêcher les choses de se figer. Comme dans certaines maquettes, se fait jour une forme d’instabilité, particulièrement lorsqu’apparaissent des objets incongrus ou des contenus sexuellement explicites. La violence est parfois latente également, à travers tel ou tel personnage aux gestes agressifs, tout comme dans la rigoureuse organisation architecturale déployée ici et là. Résonne alors le titre de l’exposition : « Tout ce que j’ai appris puis oublié » rend limpide la description d’un monde contraint par une éducation autoritaire que tente de corrompre un artiste qui, enfant, fugua avec l’espoir de trouver une échappatoire en devenant marin ou cow-boy. L’entre-deux, le flou, les dérèglements et le double sens dans l’œuvre de Nordström se donnent ici à lire telle une farouche rébellion qui émerge d’un atelier en perpétuelle effervescence, où le rationalisme de l’esprit suédois se heurte à la nécessité de se libérer des contraintes et modèles imposés.

NORDSTRÖM

Commissaire : Marc Donnadieu, conservateur pour l’art contemporain au LaM
Nombre d’œuvres : environ 80

JOCKUM NORDSTRÖM. TOUT CE QUE J’AI APPRIS PUIS OUBLIÉ

Jusqu’au 19 mai, LaM – Lille Métropole-Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 1, allée du Musée, 59650 Villeneuve d’Ascq, tél. 03 20 19 68 68, www.musee-lam.fr, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue éd. Hatje Cantz, Ostfildern, 208 p., 39 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Éducation/libération

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