Dominique Courvoisier

Libraire-expert

Le Journal des Arts

Le 28 mai 2004 - 1215 mots

Expert de tout premier plan en livres anciens, éditeur, gérant majoritaire
de la librairie Giraud-Badin, cet homme discret a été président du Syndicat national de la librairie ancienne et moderne et s’est beaucoup investi dans la Foire internationale du livre ancien.

Dominique Courvoisier a toute l’apparence d’un homme posé, courtois, « vieille France », un rien passe-muraille. Ce calme cache une nervosité, un brin d’agacement. Quand on le connaît mieux, ce grand libraire extrêmement cultivé se révèle piquant, esthète et doté d’un bel humour teinté d’ironie. « Il a un côté reliure janséniste, note son confrère Alain Nicolas, également expert-libraire, et, par ailleurs, [c’est] une très bonne plume. Autrement dit, cette reliure, très sobre à l’extérieur, se révèle des plus colorées, décorées et riches quand on l’ouvre. Le personnage, que l’on découvre alors, se révèle un bon vivant. D’ailleurs, il collectionne les reliures insolites, c’est dire si c’est un sensuel, un tactile. »
Sur sa carrière à la librairie Giraud-Badin, commencée en mai 1969, l’intéressé ironise : « Il y aura trente-cinq ans ce mois-ci que j’occupe cette place divine. » Créée par Lucien Giraud en 1923, la librairie Giraud-Badin, réputée pour son sérieux – «un peu à l’Anglaise », observe Alain Nicolas –, s’est spécialisée dans l’expertise de ventes publiques (dont 438 animées par Lucien Giraud). Claude Guérin a repris le flambeau (432 ventes publiques à son actif) puis l’a passé à Dominique Courvoisier en 1986. À la mort du premier en 1993, le second, déjà expert auprès de la chambre des commissaires-priseurs depuis 1978, devient libraire-expert de la Bibliothèque nationale tout en conservant sa présidence du Syndicat national de la librairie ancienne et moderne. « Il a repris l’affaire de Claude Guérin – une très belle affaire d’ailleurs –, poursuit Alain Nicolas, grâce à son dur labeur, qui lui a permis de se former un goût et même de devenir le meilleur expert de la place. » Le libraire Bernard Clavreuil renchérit : « Nous avons débuté au même moment, moi chez Thomas-Scheler, lui chez Giraud-Badin. Et nous avons fini par reprendre l’affaire, lui et moi. Dominique est un garçon extrêmement discret, presque introverti. C’est un excellent libraire, l’un des plus fins, des plus curieux de notre génération. »

« Le dernier des romantiques »
Les qualités d’un bon expert, aux yeux de Dominique Courvoisier, sont au moins au nombre de deux : « Ce que l’on peut acquérir par le travail, c’est l’expérience. Mais au départ, il faut le talent, ce que nous appelons le “sens du livre”, auquel il faut ajouter l’amour de l’objet. » Et le sérieux, la curiosité ? « La curiosité est, chez nous, le ressort du travail. Lorsqu’on apprend à faire des fiches pour les catalogues, il faut aller jusqu’au bout, noter toutes les informations bibliographiques nécessaires. En réalité, le problème de l’expert est de maintenir la qualité, le respect du travail, l’efficacité. Pour ma part, je fais partie des dinosaures qui estiment devoir faire bien leur métier et préserver la réputation de la maison. Nous organisons dix ventes par an, d’environ 300 livres chacune, ce qui représente dans une année 3 000 livres. Aucun d’entre eux ne doit poser de problème d’aucune nature que ce  soit. » L’homme au calme apparent s’échauffe un peu :« Parler des seules grandes ventes ne me satisfait pas. Ce n’est pas ainsi que j’ai appris le métier, et ce n’est ni dans mon caractère, ni dans ma manière de concevoir les choses et les êtres. On peut y voir une erreur tactique et financière, mais cela fait partie des caractéristiques de la maison. Ici, les finances ne dirigent pas tout. Mais peut-être suis-je la fin d’un monde. Quand je vois ce qui se passe autour, j’ai l’impression d’être le dernier des romantiques ! »
Le problème éventuel de la coexistence, en une seule et même personne, du libraire et de l’expert l’irrite un peu : « Pratiquer les deux ne m’a jamais posé la moindre difficulté. Quelqu’un qui entre dans la librairie et me confie un livre pour une vente publique représente pour moi un contrat moral. La question ne se pose même pas. » De toute évidence, ce sensuel secret tient profondément à son activité marchande : « Acheter un livre est une chose vraiment amusante ! Le vendre l’est moins, mais acheter ! Je n’aimerais pas en être privé. Comment peut-on être amateur de quelque chose sans désir de possession ? Ce serait comme observer les femmes dans la rue sans jamais avoir le désir d’aboutir – ah non ! Acheter un objet met en jeu le désir, quitte à reconnaître ensuite qu’il était absurde d’y laisser son âme pour l’obtenir… C’est là, à mon avis, que le désir de possession est à mettre en parallèle avec la passion amoureuse. Il joue le rôle d’une épice relevée pour l’équilibre moral et affectif... »

Le calme Courvoisier
Surprenante sera la fin de l’association, débutée dans les années 1990, entre Dominique Courvoisier et le libraire Emmanuel Lhermitte. Elle montre que l’homme mesuré autant que passionné peut aussi avoir la dent dure et qu’il tient en tout cas à rester maître à bord de son entreprise.
Quant à l’autre facette de Dominique Courvoisier, sa qualité d’expert, pour l’exercice de laquelle il n’a pas demandé son agrément auprès du Conseil des ventes : « Les syndicats sont d’une manière générale un filtre plus sérieux que cette institution et, surtout, une reconnaissance par les pairs. » Il est néanmoins tout à fait favorable « à une réglementation du métier, ainsi qu’à l’élimination de gens peu qualifiés qui engendrent des catastrophes ».
Actuellement, il intervient auprès des SVV Pierre Bergé & associés, Piasa et Ribière : « Je travaille pour tout le monde, dit-il, pour tous ceux qui me le demandent. » Ainsi, il prépare pour cette année plusieurs ventes avec Éric Buffetaud (Pierre Bergé), qu’il considère comme « un authentique actif, un passionné de livres », affirmant que ce dernier « sait de quoi il parle (donc il sait aussi s’exciter) ». De son côté, Éric Buffetaud, dont la réputation de colérique n’est plus à faire, s’entend bien avec le calme Courvoisier : « Les extrêmes s’attirent toujours. Nous avons mené nos carrières en parallèle. Et s’il nous est arrivé de nous combattre, je sais que Courvoisier est un honnête homme. En tant qu’expert, il est la compétence même, un être en qui l’on a confiance. Lorsque nous procédons à des inventaires, ce qui nous arrive souvent, nous nous complétons et nous nous entraidons. » Au seul mot d’« inventaire », Dominique Courvoisier se met d’ailleurs à rêver aux innombrables bibliothèques privées qu’en trente-cinq ans il a, d’un seul regard, emmagasinées dans sa mémoire. « C’est sentimental, conclut-il. L’excitation que procure la découverte de nouveaux livres, c’est le vrai sens du métier. On sait dans ces moments-là que l’on ne s’est pas trompé de carrière. »

DOMINIQUE COURVOISIER EN 7 DATES

1945 : Naissance à Paris. 1969 : Entrée à la librairie Giraud-Badin en qualité de bibliographe. 1986 : Association avec Claude Guérin, propriétaire de la librairie Giraud-Badin. 1992-94 : Président du Syndicat national de la librairie ancienne et moderne. 1993 : Libraire-expert de la Bibliothèque nationale. 1994 : Participe à l’Observatoire des mouvements internationaux d’objets d’art. 2004 : Vente de livres anciens et modernes (Pierre Bergé)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°194 du 28 mai 2004, avec le titre suivant : Dominique Courvoisier

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