Deux pièces qui font le vide

Par Céline Piettre · L'ŒIL

Le 17 novembre 2014 - 318 mots

L'une est signée par le metteur en scène le plus en vue du théâtre (plastique) contemporain, dramaturge de la sensation aux élans spirituels, l'autre par trois figures de la scène indépendante post-franquiste, chorégraphes de la déconstruction, ouvriers du conceptuel.

La première revisite le chef-d'œuvre de Stravinsky, la seconde sonne comme un credo rousseauiste. Le Sacre du printemps de Romeo Castellucci et El Triunfo de la Libertad de La Ribot, Dominguez et Loriente, programmées simultanément au Festival d'automne, s'éloignent par leur esthétique, mais partagent un point commun, plutôt rare : celui d'avoir totalement banni acteurs et danseurs de la représentation. Pas l'ombre d'un corps en vue. Ni même d'un double désincarné comme dans 100 % Polyester de Christian Rizzo (1999) où des robes mues par des ventilateurs jouaient les solistes. En lieu et place des interprètes, le Plateau de la Villette (Castellucci) accueille un déluge de poussière, poudre d'os d'animaux servant d'engrais industriels ; celui du Centre Pompidou, des fragments de récit défilant sur des prompteurs. Mais, tandis que Le Sacre se charge d'une puissance cinétique et allégorique, d'une autre forme de corporéité, remplaçant la présence humaine par une chorégraphie de cendres, El Triunfo de la Libertad assume jusqu'au bout son dénuement et sa radicalité. À l'énergie visuelle de l'une (cascades et nuées crachées par une armada de machines) s'opposera la pénurie spectaculaire et la monotonie de l'autre. Dans la pièce du trio espagnol, ironie du sort, le texte – qui domine tout le théâtre classique – aura fini par dévorer ses acteurs comme Cronos ses enfants. Les spectateurs restent seuls en course. Et ne voient pas toujours d'un bon œil cet excès de pouvoir. Pour la première d'El Triunfo à La Bâtie à Genève, certains crient au scandale. « Le cinéma [ ici le théâtre ] est mort. Passons, si vous voulez, au débat » , aurait conclu Guy Debord. Un débat qui devrait être aussi politique qu'esthétique.

Quoi ?
Le Sacre du printemps Romeo Castellucci et El Triunfo de La Libertad de La Ribot/Dominguez/Loriente.

Où ?
Grande Halle de la Villette et Centre Pompidou.

Quand ?
Du 9 au 14 décembre et du 10 au 14 décembre 2014.

Comment ?
lavillette.com et www.festival-automne.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : Deux pièces qui font le vide

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque