Activisme

Des objets loin d’être sages

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2014 - 761 mots

Le V&A à Londres a réuni une multitude d’« objets désobéissants », casseroles, bouteilles en plastique ou pavés détournés de leur fonction pour servir d’« outils de protestation » lors des manifestations dans la rue.

LONDRES - C’est une exposition originale et passionnante que « Disobedient Objects » [Objets désobéissants], déployée au Victoria and Albert Museum, à Londres. Elle explore « des objets d’art et de design du monde entier créés par des mouvements populaires comme outils de changement social ». Ceux-ci sont réalisés par des gens ordinaires, collectivement, avec des ressources limitées et sans but lucratif, « comme des réponses affectives à des situations complexes ». Et leurs méthodes de fabrication bousculent les définitions standard de l’art ou du design.

Le parcours s’étire de la fin des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Y manque un objet qui faisait florès à Hongkong, début octobre, alors que nous mettions sous presse : le parapluie, celui brandi par les manifestants prodémocrates, non pour se protéger de quelque pluie tropicale mais pour esquiver le déluge de gaz lacrymogènes répandu par la police, et qui a donné son nom à cette « révolution des parapluies ». Dans l’exposition, le contexte de chacune des pièces est évoqué par des coupures de journaux et parfois des films.

D’abord, il y a les objets du quotidien simplement « détournés » comme en Argentine, durant la crise économique de 2001, lorsque les manifestants, les « Cacerolazos », frappaient sur des… casseroles. En 2013, lors des sit-in organisés contre le réaménagement du parc de Gezi, à Istanbul, certains se sont fabriqués des masques anti-gaz lacrymogène à partir de bouteilles en plastique de 5 litres coupées en deux, masques devenus aussitôt symboles populaires de résistance. L’appropriation d’un objet usuel dans un but nouveau et subversif est multiple. Ainsi, en 2009, à Copenhague, lors de la marche « Reclaim Power » [Reprenez le pouvoir], en marge de la Conférence sur le climat, les manifestants de l’opération « Bike Bloc » se déplaçaient sur d’insolites engins bricolés avec des morceaux de bicyclettes usagées et du matériel audio soudés ensemble.

« Frivolité tactique »
Certaines créations sont judicieuses comme le robot Graffiti Writer conçu par le collectif d’artistes, d’activistes et d’ingénieurs anonymes baptisé « Institute for Applied Autonomy » : la machine écrit toute seule ses slogans sur le bitume. Ailleurs, les Inflatable Cobblestones en polyester métallisé sont d’encombrants cubes gonflables, version New Age, des antédiluviens pavés de Mai-68. Lors des rassemblements du 1er mai 2012, à Berlin, les manifestants en ont lancé une multitude vers les forces de l’ordre, lesquelles, déboussolées, ont dû gérer, outre les contestataires, ces objets incongrus. Pour Artur van Balen, du collectif Tools for Action, auteur du projet : « L’objet est autant un symbole qu’une arme substantielle de lutte anti-autoritaire. Il a aussi pour but d’apporter des nouvelles stratégies de frivolité tactique dans la manifestation et de renverser la représentation médiatique typique des protestations, habituellement caractérisée par “des pierres jetées par les fauteurs de trouble” ».

L’activisme politique conduit à une richesse d’ingéniosité dans la conception de ces « outils de protestation », des plus traditionnels aux plus high-tech. Dans les années 1970, au Chili, la junte militaire fait disparaître des enfants et les mères protestent en brodant le slogan « Où sont nos enfants ? » sur des pièces de textile. Idem en Colombie, en 2010, où les femmes cousent le vocable Desplazamiento [Déplacement] pour dénoncer massacres et déplacements forcés par l’armée dans une petite ville du nord-ouest du pays. Au rayon travaux d’aiguille toujours, figure le projet « Nike Blanket Petition » de l’artiste Cat Mazza, fondatrice du site microRevolt.org. Entre 2003 et 2008, celle-ci fait tricoter à des fans de crochet un édredon géant avec la célèbre « virgule » de la firme Nike : une forme de pétition contre l’exploitation au travail par les multinationales.

Les nouvelles technologies aidant, la contestation prendra les voies du piratage informatique ou de la plateforme en open source. Le musée distribue même les fiches techniques de certains objets à réaliser soi-même. En 2011, en Italie, MolleIndustria a conçu l’application « Phone Story » qui, en filigrane, dénonce les modes de fabrication du téléphone portable sur lequel le joueur est en train de s’amuser. Pour gagner, il faut forcer des enfants à travailler dans des mines au Congo, empêcher des suicides d’ouvriers en Chine, ou se débarrasser de déchets électroniques au Pakistan. Le célèbre « App Store » d’Apple aurait banni l’application quatre jours après sa sortie.

Disobedient objects

Commissaires : Catherine Flood, conservatrice au V&A ; Gavin Grindon, chercheur invité par le V&A

Disobedient objects

Jusqu’au 1er février 2015, Victoria and Albert Museum, Cromwell Road, Londres, tlj 10h-17h45, jusqu’à 22h le vendredi, www.vam.ac.uk

Légende Photo :
Vue de l'exposition « Disobedient Objects », section consacrée aux Guerilla Girls, Victoria and Albert Museum, Londres. © Photo : Victoria and Albert Museum, London.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°421 du 17 octobre 2014, avec le titre suivant : Des objets loin d’être sages

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