Art et technique

Dense avec le bois

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 8 avril 2014 - 767 mots

Chaleur, humidité et pression suffisent à transformer un sapin tendre et léger en « bois densifié », un matériau très solide. Le Musée des arts déco expose les recherches d’un laboratoire de Lausanne.

PARIS - Rares sont les expositions qui prennent le temps de relater les premiers pas d’une technologie nouvelle. C’est le cas avec cette présentation intitulée « Sous pression, le bois densifié », déployée au Musée des arts décoratifs, à Paris.

Montrer une technique en train de s’inventer se révèle passionnant, d’autant qu’elle est ici replacée dans un contexte historique. Car si certaines formes précèdent la technique, l’inverse est également vrai. Dans les années 1830, l’ébéniste Michael Thonet perfectionne ainsi sa technique du « cintrage » du bois – courbure donnée à une pièce – et l’adapte à une production industrielle, ce qui lui permettra de fabriquer la chaise no 14 dite « chaise bistrot ». Dans la même veine, le visiteur peut admirer un berceau de la manufacture viennoise Kohn, dont les volutes en hêtre cintré résultent d’« une mise en forme et [d’]un étuvage à la vapeur ».

Quoique pas très beaux, deux « panneaux de meuble » signés Alfred Latry et ornés de figures symbolisant les Arts valent davantage pour leur étonnant procédé de fabrication inventé au milieu du XIXe siècle, le « bois durci », un mélange de sciure de bois dur et de… sang de bœuf. Après broyage, cuisson et compression « à chaud » dans un moule en acier, l’aggloméré final présentait en effet d’excellentes propriétés mécaniques en densité et en imperméabilité.

S’il est une technique qui remporte nombre de suffrages, c’est celle du contreplaqué – dit aussi « multiplis » –, qui consiste à superposer à 90° et coller sous pression un nombre toujours impair de minces couches de bois, ce qui assure une grande résistance à l’objet. Grâce à cette technique, les designers nordiques, en particulier, ont imaginé courbes généreuses et confortables, ainsi pour la splendide chauffeuse en teck de Grete Jalk ou le Fauteuil 41 d’Alvar Aalto, avec assise et dossier moulés d’un seul tenant en contreplaqué de hêtre. Solidité, légèreté et durabilité de ce procédé séduiront même l’industrie militaire, lors de la Seconde Guerre mondiale. On peut voir, ici, deux attelles moulées conçues par Charles et Ray Eames, une commande de l’US Navy.

Casse-noisettes et talon de chaussure
Les diverses techniques détaillées en préambule ont inspiré cette recherche sur le « bois densifié » que poursuit, depuis 2010, l’EPFL ECAL Lab, un laboratoire fondé à Lausanne par l’École polytechnique fédérale et l’École cantonale d’art. Le bois est transformé par une presse de grande puissance et ce « sans avoir recours à une substance chimique particulière, simplement de la chaleur, de l’humidité et de la pression ». Le procédé permet ainsi à des bois tendres et banals, comme le sapin ou l’épicéa, de devenir aussi durs que certains bois tropicaux. Le visiteur peut se plier à une expérience bluffante en soupesant deux blocs de bois d’une masse identique, le « densifié » affichant un volume trois fois moindre que le « non densifié ».

La pièce la plus récente (2014) est un… casse-noisettes conçu par le designer néerlandais Chris Kabel, dont on peut suivre la fabrication grâce à une vidéo. Cette transformation fondamentale du bois qu’est la « densification » permet d’obtenir la dureté et la résistance nécessaire à la fonction de l’objet. Idem pour une poignée de porte imaginée par le trio helvète Big Game ou, au rayon extrême minceur, pour un casque stéréo dessiné par le duo français Normal Studio. Avantage : l’objet ne subit aucun usinage, ni polissage autre que la simple découpe à sa sortie du moule. Le bois densifié peut, par la même occasion, être « imprimé ». Ainsi Léa Longis a-t-elle réalisé un couvercle de boîte à bijoux facetté tel un diamant. La « densification », enfin, n’est pas nécessairement homogène. À preuve : l’Anglais Paul Cocksedge a conçu un talon de chaussure dont la pointe est densifiée à 100 %, pour assurer la rigidité, et la partie supérieure seulement à 20 %, pour offrir stabilité et confort.
Mise au point par un ingénieur, la presse expérimentale ne peut, pour l’heure, réaliser des pièces supérieures à 24 cm de long. « Mais, selon nos études, on peut imaginer des objets mesurant jusqu’à 50 cm de long sur 4 cm d’épaisseur », avance Nicolas Henchoz, directeur de l’EPFL ECAL Lab. Ne reste plus qu’à trouver une entreprise prête à se lancer dans l’aventure. Outre le bois lui-même, ce sont les contacts avec les industriels qui, cette année, devraient se… « densifier ».

SOUS PRESSION, LE BOIS DENSIFIÉ

Jusqu’au 14 septembre, Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50, tlj sauf lundi, 11h-18h
www.lesartsdecoratifs.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : Dense avec le bois

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