Histoire de l'art

Révisons l’histoire de l’art

De la figuration à l’abstraction : la remise en cause du progrès en art

Par Amélie Adamo · L'ŒIL

Le 22 décembre 2020 - 698 mots

Livres et expositions réétudient, ces dernières années, les rapports complexes reliant l’abstraction et la figuration au XXe siècle.

En 2013, avec le nouvel accrochage de ses collections d’art moderne intitulé « Modernités plurielles », le Centre Pompidou proposait de relire l’histoire de l’art à travers l’angle mondial, remettant ainsi en question la vision linéaire et progressiste traditionnelle de l’art. Cette ouverture visait alors à montrer une plus grande diversité des approches, tant géographiques que stylistiques. Dans cette relecture d’esthétiques plurielles était ainsi remise à l’honneur la question – souvent négligée au nom du progressisme – de la permanence des réalismes. Des premières avant-gardes de 1905 au retour à l’ordre des années 1920, du surréalisme aux abstractions d’après-guerre, œuvres figuratives et abstraites cohabitaient donc dans un même accrochage. On pouvait aussi y voir représentées certaines périodes habituellement écartées au nom de la seule innovation. Il en fut ainsi du retour à l’ordre des années 1920 où la figuration prédominait à nouveau. Idem pour le surréalisme, dont on pouvait percevoir la diversité stylistique : les démarches « modernistes » de Miró, Arp ou Masson, à côté de celles de Chirico, Magritte ou Dalí, volontiers tournées vers l’art classique.

Mondrian et Malevitch figuratifs

Ce point de vue proposé par le Centre Pompidou est emblématique d’une relecture en cours de l’histoire de l’art, qui regarde aujourd’hui la figuration et l’abstraction dans leurs interactions plus que dans une opposition binaire trop réductrice. Car ces deux notions sont en réalité poreuses et interagissent de manière plus subtile que ce que le récit moderniste a bien voulu dire. Ce récit a eu tendance à privilégier les œuvres de « rupture », comme le Carré noir de Malevitch ou les compositions géométriques de Mondrian. Pourtant, certaines expositions récentes, dont « Mondrian figuratif » au Musée Marmottan Monet en 2019, ont par exemple montré comment le passage de la figuration à l’abstraction s’accompagnait d’incessants allers-retours et, surtout, comment il n’était pas définitif.

Henri Matisse et l’abstraction américaine

L’art abstrait d’après 1945 a lui aussi été relu à travers ce prisme nouveau. Il en va ainsi de l’expressionnisme abstrait américain, qui a été largement réétudié à l’aune des sources figuratives, de Monet et de Matisse au surréalisme. Concernant la postérité de Matisse dans l’art américain, l’exposition organisée par le Musée Matisse au Cateau-Cambrésis en 2009 révélait l’apport du maître sur l’œuvre de deux générations de peintres, français et américains, dont Pollock, Rothko, Newman, Frank Stella et Morris Louis. De manière plus approfondie, l’historien Éric de Chassey a étudié avec pertinence les rapports entre Matisse et l’expressionnisme abstrait dans son ouvrage La Violence décorative [éditions Jacqueline Chambon, 1998]. Ce livre déconstruit le récit moderniste et formaliste pour reconsidérer l’abstraction dans sa confrontation au réel et à la figuration. C’est grâce à ces lectures, qui ont reconsidéré l’apport pluriel des sources européennes, que le mouvement américain a pu être vu dans son éclectisme et sa diversité stylistique comme en témoignait par exemple, en 2017, l’exposition au Musée Guggenheim de Bilbao. Une diversité de démarches dont toute une part balance, de Gorky à De Kooning, entre abstraction et figuration, en somme.

Claude Monet,vrai père de l’abstraction américaine

En 2018, le Musée de l’Orangerie présentait l’exposition « Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet ». L’accrochage y révélait l’influence majeure qu’a jouée le maître de Giverny sur l’émergence des peintres expressionnistes abstraits américains. Une nouvelle génération grâce à laquelle l’œuvre du dernier Monet retrouvera ses lettres de noblesse aux yeux d’une critique et d’un public demeurés jusque-là très hostiles. Dès le début des années 1950, des peintres comme Ellsworth Kelly et Barnett Newman s’intéressent au cycle décoratif peint par Monet, dont l’un des panneaux entrera d’ailleurs en 1955 dans les collections du MoMA. L’accrochage au Musée de l’Orangerie était intéressant parce qu’il représentait le mouvement dans sa diversité stylistique à travers de nombreuses démarches : Barnett Newman, Mark Rothko, Jackson Pollock, Morris Louis, Philip Guston, Helen Frankenthaler ou Joan Mitchell, entre autres. Cette diversité permettait de visualiser la richesse des correspondances entre les œuvres américaines et celles de Monet : formes, couleurs, lumières, gestuelles. Des correspondances à travers lesquelles était donnée à voir, de Monet à l’abstraction américaine, la frontière trouble et oscillante qui existe entre le figuratif et l’abstrait.

Amélie Adamo

1917
Aux Pays-Bas, Van Doesburg et Mondrian fondent le mouvement De Stijl (« le style »), qui va marquer, avec ses formes et ses couleurs pures, la création du XXe siècle.
1949
À propos de Pollock, le magazine Life pose la question : « Est-il le plus grand peintre américain vivant ? » En 1964, Rauschenberg recevra le grand prix de la Biennale de Venise.
Art moderne
Plus un paradigme qu’un style, l’art moderne célèbre la nouveauté en rejetant, a priori, les traditions. Le terme englobe les mouvements d’avant-garde de l’impressionnisme jusqu’à la fin des années 1950. Dans les années 1960, l’art moderne est remplacé par l’art dit « contemporain ».

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°740 du 1 janvier 2021, avec le titre suivant : De la figuration à l’abstraction : la remise en cause du progrès en art

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