Art contemporain

DAU, l’œuvre hors normes d’Ilya Khrzhanovsky, en première à Paris

Par Stéphanie Lemoine · lejournaldesarts.fr

Le 24 janvier 2019 - 572 mots

PARIS

L’expérience à la croisée des arts et sciences imaginée par le réalisateur russe va en déconcerter plus d’un.

Par une ironie savoureuse, l’événement culturel le plus commenté du moment est aussi le moins communicable. DAU, du réalisateur russe Ilya Khrzhanovsky, ne saurait se décrire. Et d’autant moins qu’il est de l’aveu de Martine d’Anglejan-Chatillon, sa productrice exécutive au sein de Phenomen films, « un système plus qu’une œuvre d’art » et « un organisme en constante mutation ».

Empruntant au cinéma, l’expérimentation scientifique, la spiritualité, la musique ou la performance, il se présente comme une « expérience » entièrement personnalisée. On y accède en effet après s’être inscrit sur le site www.dau.com et avoir rempli en ligne un questionnaire psychologique, dont l’analyse par un algorithme détermine chaque parcours. Muni d’un visa de durée variable (entre 6h et un accès illimité 24h sur 24 et 7 jours sur 7), on est ensuite guidé par un « dau-phone » entre le Centre Georges Pompidou, le théâtre de la Ville et celui du Châtelet, où ont été reconstitués chambres, appartements, bureaux, cantines, laboratoires et autres vestiges de l’ère soviétique.

Selon son profil psychologique, le jour et l’heure de la visite, on y verra l’un des 13 films de DAU ou certaines séquences tournées par Ilya Khrzhanovsky et son équipe. On s’entretiendra aussi avec un pope ou un chaman, à moins qu’on n’assiste à une performance de Marina Abramovic, à un concert de Teodor Currentzis, interprète principal du film, ou à une conférence sur le rôle des trous noirs dans l’évolution de l’univers. Impossible de déterminer à l’avance ce qui attend le public parisien : aucun programme n’a été communiqué, ni même fixé, tout s’élaborera au jour le jour au diapason des visiteurs.

Tel est DAU, que le compositeur Brian Eno décrit comme « le projet le plus follement ambitieux » auquel il n’a jamais participé. Ce qui s’annonçait jusqu’en 2009 comme un banal biopic du Prix Nobel de physique russe Lev Landau (DAU est l’abréviation de son nom), s’est transformé en une œuvre démiurgique et plutôt radicale. Pour tourner – sans scénario ni acteurs professionnels – les 700 heures de pellicule 35 mm diffusées à la carte dans les « screening rooms » du théâtre de la Ville, l’équipe de DAU a entièrement reconstitué à Kharkiv, en Ukraine, l’Institut des problèmes physiques où nombre de scientifiques menaient leurs recherches sous l’ère soviétique.

De 2009 à 2011, Ilya Khrzhanovsky y a fait venir chercheurs, artistes et chamans, mais aussi barmaids, cuisiniers et autres travailleurs choisis dans le cadre d’un vaste casting sauvage. En tout, 400 personnes se sont prêtées pour DAU à une reconstitution historique des années 1938 à 1968, avec costumes et échanges monétaires en roubles : ils ont vécu à Kharkiv au quotidien, et y ont pour certains conduit des recherches et de « vraies » expériences scientifiques.

Ce « microcosme de la vie totalitaire » selon l’expression de Martine d’Anglejan-Chatillon a été filmé dans les moindres détails, y compris les plus crus. Le résultat, entre documentaire et fiction, explique que la première mondiale de DAU se tienne à Paris, et non à Berlin comme prévu initialement : certaines séquences sulfureuses avaient choqué outre-Rhin, entraînant l’annulation du lancement programmé en septembre 2018.

« L’expérience continue », suggère pourtant la baseline de DAU : « ce sont les visiteurs qui vont faire vivre le projet, affirme Martine D’Anglejan-Chatillon. DAU sera un miroir de nous tous. » En somme, l’événement s’annonce moins comme une plongée dans le passé soviétique que comme une troublante exploration de l’âme humaine…

 

DAU

du 24 janvier au 17 février – Théâtre du Châtelet, Théâtre de la ville et Centre Georges Pompidou

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