USA

Condo le bouffon

Le peintre américain explore les bas-fonds de l’âme humaine

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 28 mars 2011 - 467 mots

NEW YORK - George Condo (né en 1957) est de ces artistes qui intriguent. Son style reconnaissable entre mille est fait d’exagérations grinçantes et parfois outrancières qui font se demander si sa pratique relève de la triste farce ou d’un regard implacablement aiguisé.

Sa popularité a connu un trou d’air à la fin des années 1990, avant de rebondir de façon spectaculaire il y a quelques années, à la faveur de l’emballement d’un marché en quête d’idoles singulières. Alors Condo, bouffon ou formidable scrutateur de son époque ? Les deux, serait-on tenté de répondre. La rétrospective que lui consacre à New York le New Museum, avec un ensemble de travaux datés de 1982 à 2010, enseigne d’abord que Condo est en effet un bouffon, une sorte de bateleur fou dont la liberté de forme et de ton paraît devoir s’exprimer hors de toute contrainte, avec in fine un ressort humoristique… qui rapidement tourne à l’aigre et vire au rire jaune. En contrepoint, l’artiste apparaît comme un infatigable observateur de son époque et de ses dérives, à travers une matrice unique qui est celle de la figure humaine envisagée dans tous ses états. 

Précarité
La grande réussite de l’exposition, répartie sur deux niveaux du musée, consiste à avoir regroupé les œuvres du premier d’entre eux sur un unique mur où cohabitent 46 toiles de toutes époques et formats, accrochées comme dans un salon. Les inspirations de grands maîtres (de Vélasquez à Picasso en passant par Cézanne et le XVIIIe s.), sautent aux yeux. Des inspirations qui semblent avoir été brutalisées afin de dépasser le simple stade de la surface, des apparences. Déformations et exagérations accentuent des états psychologiques instables et tourmentés, où partout se lit une forme de précarité dans la manière qu’ont ses personnages de se donner à voir et de s’inscrire dans le monde.L’aliénation est manifeste, les bas-fonds de l’âme humaine affleurent, l’échec pointe à travers la provocation permanente, la sensation de ne pas être à sa place est souvent patente.

Au second niveau, un portrait de couple intitulé Alone and Together (2000), résume à lui seul l’inconfort d’une époque. Plus loin, l’évocation de la sexualité fait montre d’une infinie tristesse quand elle n’apparaît pas empreinte de sauvagerie. Le délire de l’image n’est pas celui de l’artiste, mais celui qui s’étale sans pudeur dans son quotidien. Dans sa peinture, la décadence du sujet pointe avec une redoutable efficacité la vacuité et l’artificialité d’un mode de vie qui a transformé ses acteurs en autant de pantins et figures marginalisées. Sans concession, la description qu’en dresse Condo ne sacrifie pas la lucidité au tragicomique. C’est ce qui en fait la force. 

GEORGE CONDO

Commissariat : Ralph Rugoff, directeur de la Hayward Gallery, à Londres ; Laura Hoptman, conservatrice au Museum of Modern Art, à New York

Nombre d’œuvres : 86

GEORGE CONDO : MENTAL STATES

Jusqu’au 8 mai, New Museum, 235 Bowery, New York, tél. 1 212 219 1222, www.newmuseum.org, tlj sauf lundi et mardi 11h-18h, jeudi jusqu’à 21h. Catalogue, éd. Hayward Publishing, 168 p., 50 dollars, ISBN 978-1-8533-2289-1

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°344 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Condo le bouffon

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