Paroles d’artiste

Claude Viallat

« Qu’en est-il de la peinture ? »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 29 avril 2005 - 862 mots

Avec son motif récurrent qui se répète à l’infini dans sa peinture, Claude Viallat (né à Nîmes en 1936) est l’une des principales figures du mouvement Supports-Surfaces. L’artiste joue avec les principes de la peinture et en analyse ses composantes (toile, châssis, matières picturales...) depuis les années 1970. Nous l’avons rencontré à l’occasion de ses deux expositions personnelles à Toulon et au Cateau-Cambrésis.

Claude Viallat© Frédéric Marigaux

Comment est née cette forme à la fois abstraite et si familière, qui vous sert de motif principal dans votre peinture ?
C’est une forme qui n’est ni figurative, ni représentative, ni décorative, ni symbolique, ni géométrique. C’est une forme quelconque comme n’importe quelle autre, et elle est née d’un hasard. Une mauvaise manipulation a donné cette forme qui est aussi valable que n’importe quelle autre. C’est surtout une manière de ne pas avoir à me poser la question suivante : « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir peindre ? » C’est un système de travail avec des formes, des contre-formes et des intervalles qui vont chaque fois dépendre du support qui les conditionne, et la technique va être inventée chaque fois en fonction du support.

Est-ce une forme de radicalité ou de poésie ?
C’est d’une certaine manière une radicalité qui me donne une très grande liberté. Mais ce qui me préoccupe c’est : « Qu’en est-il de la peinture ? » La poésie est une chose qui doit être dans toutes les peintures.

Quelle matérialité revendique Supports-Surfaces depuis sa création ? Quelles en sont les limites aujourd’hui ?
Depuis la création de Supports-Surfaces, ce qui était important c’était la déconstruction du tableau et les rapports entre des formes souples et des formes dures. Là, je travaille sur des tissus qui sont peints au sol et vont être tendus sur des murs, et peuvent être aussi posés au sol ou présentés de diverses manières. Je crois que c’est l’idée de la déconstruction du tableau qui prévaut, comment à partir de la toile, qui est un des principes, avec le châssis, de la peinture, du support de la peinture, comment est-ce que la peinture va bouger et va s’interroger ou s’inventer à chaque fois. Les limites, je ne les connais pas. Si je les connaissais, je les aurais travaillées.

À quelle analyse de la peinture la répétition de ce motif vous a-t-elle mené au fil du temps et depuis les années 1970 ?
Au fil des ans je me rends compte que ma peinture évolue suivant une spirale dans le temps et l’espace. Et les mêmes thématiques, les mêmes interrogations, les mêmes préoccupations ressurgissent. Je n’abandonne rien. Je déplace et je constate après que le travail a bougé. C’est cette espèce de manière de déplacer le travail dans le temps qui va à la fois servir mon interrogation et marquer un peu l’évolution du temps à l’intérieur de mon travail.

On vous rattache souvent au travail de Matisse sur le motif. Avez-vous le sentiment de prolonger sa réflexion ?
Les peintres qui sont importants pour moi sont Matisse et Picasso, et mon travail oscille entre la réflexion sur l’un et sur l’autre. J’ai fait toute une série d’hommages à Matisse, qui sont actuellement présentés au Cateau-Cambrésis. Des hommages à Picasso, c’est une exposition possible. Il y a plusieurs toiles qui sont effectivement des hommages à Picasso, il doit y en avoir à peu près autant que des hommages à Matisse. Mais il y a aussi des hommages à Chabaud, à Braque, des hommages à beaucoup de peintres qui m’ont influencé, et comme à peu près toute la peinture m’influence, je peux avoir des hommages multiples.

Vous réalisez aussi des « objets ». De quoi s’agit-il ?
Les objets sont rattachés à la culture amérindienne et surtout à l’interrogation sur les points de passage obligés de toute civilisation. Dans toutes les civilisations, il y a des systèmes qui ont permis de faire un pas à l’homme, et qui sont tellement convenus maintenant qu’on ne les interroge plus. C’est un peu ces systèmes que je réinterroge : ce sont l’arc, le fil à plomb, la romaine, la cale, l’arbalète, le garrot ; donc des principes d’équilibre, de poids, de contrepoids que j’interroge et que je déplace, qui me donnent de manière très précaire des objets qui sont ni fait ni à faire, mais qui, chaque fois, parlent à l’inconscient de quelque chose qui est dans la mémoire universelle. Ils sont en général faits de bois, de cordes, donc des matériaux durs, souples, quelquefois de pierre, très peu de métal, des bouts de tissu. Ce sont des objets qui sont très précaires, et qui n’ont d’existence que quand ils sont installés.
Comme dans ma peinture, il y a ici la matière, la forme, la couleur qui sont intimement liées à l’interrogation sur le travail des origines, à la fois la déconstruction du tableau et ce qu’il en est de la culture universelle, depuis la culture primitive jusqu’à ce que l’on appelle la « culture populaire ».

- Claude Viallat, Hôtel des Arts, 236, boulevard du Général-Leclerc, 83000 Toulon, tél. 04 94 91 69 18. Jusqu’au 5 juin. - Claude Viallat, Hommage(s) à Matisse, Musée Matisse, 59360 Le Cateau-Cambrésis, tél. 03 27 84 64 78. Jusqu’au 12 juin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°214 du 29 avril 2005, avec le titre suivant : Claude Viallat

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