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Paroles d'artiste

Christophe Berdaguer et Marie Péjus : « Comment le psychisme peut modifier l’environnement ? »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2012 - 794 mots

À l’Institut d’art contemporain, à Villeurbanne, Christophe Berdaguer et Marie Péjus ont conçu un brillant parcours synthétisant leurs préoccupations relatives à l’espace et à la psyché.

Frédéric Bonnet : En position centrale de l’accrochage préside une photographie du cabinet de Freud imprimée sur un miroir sans tain (Salle de consultation, 2012). Envisagez-vous votre travail sur l’architecture et le paysage comme une manière de symboliser le rôle de l’environnement sur le comportement psychique ?
Christophe Berdaguer : Oui et inversement, c’est-à-dire comment le psychisme peut modifier l’environnement ? Et effectivement, on retrouve cette dualité, le « devant » et le « derrière », qu’est-ce que l’entre-deux ? Que voit-on ?

Marie Péjus : L’œuvre provient d’une photo prise dans la maison de Freud à Londres, une partie de son cabinet où est recadrée une fenêtre sur laquelle est accroché un miroir. « Dedans » et dehors nous intéressaient, mais aussi la mise en scène que Freud opérait avec les statuettes, les reliques, etc. Tout était calé au millimètre près. C’est donc aussi cette notion d’espace qui nous a interpellés.

C. B. : Ce n’est pas le Freud psychanalyste mais le Freud scénographe, le scénographe de nos psychés, c’est-à-dire comment le corps et l’espace vont conditionner la parole et créer des conditions.

F. B. : J’ai eu la sensation que l’exposition avait un peu été conçue tel un organisme vivant. Est-ce le cas ?
C. B. : Le terme « organisme vivant » est peut-être trop fort. Mais en effet, si on pense à une communauté vivant sous le même toit – je fais-là un lien avec le terme « Insula » qui renvoie à un bâtiment collectif – il s’agit également d’un organisme vivant. Si on l’élargit, les communautés qui sont présentes à travers les communautés de maisons, de traumas, de phalanstères liées à l’Utopia Bianca (2009-2012), toutes sont des organismes qui habitent l’exposition et dialoguent ensemble. Donc peut-être dans ce sens oui.

F. B. : Une préoccupation essentielle de votre travail est cette manière de lier l’activité cérébrale à l’environnement construit. Qu’est-ce qui vous a conduit à cette réflexion et comment en voyez-vous le développement ?
M. P. : Je crois que la Forêt épileptique (1998) est peut-être la première pièce… Non, dans Les Maisons qui meurent (1996) nous avions déjà relié le bâti au comportement et à la façon d’habiter par rapport à…

C. B. : … à l’individu ou à la personne qui vit à l’intérieur. Donc cette question de porosité entre l’espace construit et le corps au sens large, pas obligatoirement le cerveau qui est un des moteurs qui nous fait avancer, mais aussi le corps et nos organes, effectivement…

M. P. : … elle a été posée dans l’architecture, et avec l’architecture, dans notre travail au départ. C’est-à-dire qu’il ne s’agit plus simplement d’habiter juste avec une carcasse mais avec son cerveau et son comportement.

C. B. : Nous pensons en effet qu’habiter un espace, c’est habiter une architecture, mais la question première que nous soulevons est : comment habiter son propre corps ? C’est une question à la fois poétique et politique. Finalement les œuvres nous questionnent là-dessus. La politique peut déjà partir d’une prise de conscience de notre propre organisme au sens large : au sens neuronal comme physiologique ou musculaire. On le voit ici, cette notion d’œuvre comme quelque chose de déterminé, achevé, n’a pour nous aucun sens. Car finalement une œuvre se transforme, évolue, comme un organisme vivant. Et là, je rejoins votre question précédente.

F. B. : Il y a ici beaucoup de contraires, autant dans le plan de l’exposition que dans les œuvres et la manière dont elles se répondent. Vous placez la discussion parfois sur le terrain de l’utopie, parfois sur celui de la dystopie, et l’on navigue parfois entre des sensations contradictoires…
C. B. : Je crois que la question de l’utopie ne peut être pensée sans son opposée. Effectivement, cette ambivalence est là dans tous les projets. Il y en a peu qui se positionnent soit dans la dystopie pure, soit dans l’utopie. Sinon ce serait une manière bien simple et manichéenne de voir les choses, et ce serait trop démagogique de dire au spectateur « regarde, ça, c’est mal ou ça, c’est bien ». Nous le positionnons au contraire dans des territoires flous où il doit lui-même un petit peu travailler.

M. P. : Le regard du spectateur est très sollicité et parler d’esthétique au service de la politique va aussi dans ce sens ; c’est-à-dire que l’approche de l’œuvre n’est jamais donnée pour elle-même, mais demande une participation.

BERDAGUER & PÉJUS. INSULA

Jusqu’au 13 mai, Institut d’art contemporain, 11 rue du Docteur Dolard, 69100 Villeurbanne, tél. 04 78 03 47 00, www.i-ac.eu, tlj sauf lundi-mardi 13h-19h. Catalogue à paraître.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°366 du 30 mars 2012, avec le titre suivant : Christophe Berdaguer et Marie Péjus : « Comment le psychisme peut modifier l’environnement ? »

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