Carlos Nine dernier tango

Par Gérald Guerlais · L'ŒIL

Le 19 août 2016 - 409 mots

DISPARITION - Combinaison facétieuse, selon ses propres termes, d’un trafiquant, d’un détective et d’un explorateur pour façonner un créateur assumé d’illusions, Carlos Nine est décédé cet été à l’âge de 72 ans.

Le dessinateur militait pour la reconnaissance de la BD comme un art majeur et de l’illustration comme digne des musées. Sa pluralité s’est exprimée dans l’animation (La Marcha sobre Ezeiza, en 1973, et Anima Buenos Aires, en 2012), la sculpture, l’illustration et la bande dessinée – Alph-Art du meilleur album étranger au Festival d’Angoulême 2001 pour Le canard qui aimait les poules. L’auteur argentin prolifique aura passé sa vie à alimenter son propre dictionnaire graphique comme un viatique. Il a pu élaborer un langage graphique unique, d’une cohérence inouïe malgré le vocabulaire abstrait et figuratif qui caractérise son esthétique fascinante, composée de créatures grotesques, caricaturales, décadentes et surréalistes à la Goya. Nine remplissait d’infinis carnets durant des séances spontanées où il laissait parler son inconscient débridé. Il piochait ensuite ses personnages dans son bestiaire digne de Bosch, tel un directeur de casting, les entraînant dans d’improbables aventures de western décalés, de farces loufoques, de polars érotiques et de satires politiques. Réduire son expression à un style fantaisiste néofiguratif reviendrait à bafouer la prouesse artistique du maître argentin qui rendait visibles ses introspections comme autant d’univers enfin révélés. Nine prônait l’impérative nécessité de la longue maturation des idées. Il magnifiait ainsi sa propre esquisse ultra-spontanée que d’aucuns qualifieraient de gribouillage pour lui insuffler des vies absurdes et épiques. Jamais dessinateur n’aura autant remis les clés de son identité profonde dans les mains de son inconscient avec autant de confiance, de lâcher prise et de ludisme communicatif. Son plus grand talent aura été de conserver l’énergie et la spontanéité de l’esquisse préliminaire au crayon dans l’étape finale de la mise en couleur. Une prouesse graphique jalousée par ses pairs et confrères qui reconnaissaient mondialement son influence et son génie. Chantre de l’intégrité artistique, Nine exhortait ses confrères à trouver leur propre voie plutôt que de céder aux attentes standardisées. Au Panthéon de Nine : Breccia, Velázquez, Picasso, Saul Steinberg, T.S. Sullivant et Robert Crumb. Car seuls les écritures totalement inédites et les regards novateurs valaient à ses yeux d’être explorés. Dernier clin d’œil de l’artiste espiègle qui maniait l’ironie avec élégance : la mise en scène dans son ultime ouvrage Tropikal Mambo d’une crise conjugale entre le dessinateur et son personnage qui lui reprochait la médiocrité de son dessin.

Tropikal Mambo

Carlos Nine, Les Rêveurs, 144 p. www.carlosnine.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°693 du 1 septembre 2016, avec le titre suivant : Carlos Nine dernier tango

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