New York

Burden caricaturé

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2013 - 765 mots

Attendue, la célébration décevante de Chris Burden le réduit à un « Monsieur Plus » sans faire l’effort d’une lecture attentive de l’œuvre.

NEW YORK - D’abord rendre à l’artiste ce qui lui revient. Propulsé au début des années 1970 sur la scène artistique californienne par des performances extrêmes défiant la norme et critiquant sans fioritures l’ordre établi – et qui aujourd’hui encore n’en finissent pas d’ébahir par leur radicalité politique et esthétique –, Chris Burden s’est mu au tournant des années 1980 en sculpteur de l’extrême, toujours, manière de mettre à l’épreuve la matière après le corps. Auteur de plusieurs centaines d’œuvres, d’aspect spectaculaire pour beaucoup, l’artiste n’a eu de cesse d’explorer dynamique et symbolique du pouvoir à travers l’inflation et l’expansion dans la représentation, insistant au passage sur l’inquiétude comme ressort nécessaire à la prise de conscience. Tout chez lui est question de tiraillements et de limites, d’aliénation et de résistance.

Un copieux menu que malheureusement l’exposition que lui consacre à New York le New Museum n’explore que bien partiellement, se contentant de centrer son propos sur l’aspect de performance – dans le sens de la prouesse accomplie – du travail, auquel colle parfaitement le titre « Extrême Measures » en effet. Certes, le projet n’a pas été annoncé telle une rétrospective, mais on se serait cru fondé à attendre, dans une exposition muséale d’envergure, une plus grande finesse dans la lecture de l’œuvre.
Des limites, Burden a d’emblée repoussé celles du musée lui-même, installant sur le toit de l’édifice Twin Quasi Legal Skyscrapers (2013), une double structure en tubes métalliques verticaux qui n’est pas sans évoquer les tours jumelles du World Trade Center et fait l’édifice s’approcher de la hauteur limite de construction des immeubles à Manhattan.

Une relecture limitée de l’œuvre
À l’intérieur tout se complique, tant c’est une approche très littérale et simplifiée du propos et du travail qui est déployée dans l’ensemble du musée. Elle s’ouvre au dernier étage sur un espace étriqué, où sur quatre tables, autant de classeurs documentent l’intégralité des performances auxquels répondent quelques films sur un mur. Certes, ces classeurs sont la forme choisie de longue date par l’artiste pour montrer ces années-là, mais ne serait-il pas temps de l’accompagner dans une réflexion sur la manière de relire et de rendre plus aisément au public ce vaste pan de son travail ? D’autant que cloisonné de la sorte, il s’interdit tout dialogue avec l’œuvre sculpté postérieur, ce qui est regrettable. Des trois niveaux suivants, un seul se montre bien vu et accroché, et aborde les problématiques liées à la guerre et à la protection.

Magnifiques sont les All the Submarines of the United States of America (1987), soit 625 maquettes de sous-marins suspendues au plafond, autant que ce qu’en comptait l’armée américaine à l’époque, tandis que leurs noms sont listés sur le mur. Leur fait face A Tale of Two Cities (1981), vaste installation posée sur le sable et faite de 5 000 maquettes et autres jouets abordant non pas l’urbanisme – une question essentielle totalement négligée par l’exposition – mais la guerre à laquelle se livrent deux villes séparées par des rochers dans un environnement pourtant de carte postale. L’ambivalence entre sujet et objets fait montre d’un sens de la critique subversive aussi froid qu’aiguisé. Une fascination ambiguë pour la machine et les capacités de l’ingénierie et de la technologie perce de toutes parts également. C’est le cas avec les fameux ponts en mécano, notamment Triple 21 Foot Truss Bridge (2013), une structure existante dont l’artiste a souhaité « améliorer » l’original en augmentant la hauteur des mâts verticaux. Il est confronté à deux autres exemples dans une salle, là encore inadéquate, qui rend l’ensemble confus alors que partout est perceptible la quête minutieuse de perfectibilité. Tout comme est plate la confrontation de la célèbre The Big Wheel (1979), roue d’acier mue par l’inertie déployée grâce à une courroie de transmission reliée à une moto, et un exercice d’équilibre avec une voiture et une météorite suspendues à un essieu porté par un mât (Porsche with Meteorite, 2013). L’accent est mis là sur les seuls ressorts de l’exploit sans autre forme de subtilité relative aux problématiques du contrôle et du pouvoir symbolique notamment.

La force critique de Burden est toujours incisive et n’est pas exploitée ici à sa juste valeur, au risque de la caricature.

BURDEN

Commissariat : Lisa Phillips et Massimiliano Gioni
Nombre d’œuvres : 20

CHRIS BURDEN : EXTRÊME MEASURES

jusqu’au 12 janvier, New Museum, 235 Bowery, New York, États-Unis, tél. 1 212 219 1222, www.newmuseum.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-18h, jeudi 11h-21h. Catalogue éd. Rizzoli, 256 p.

Consulter la fiche biographique de Chris Burden

Légende Photo :
Chris Burden, The Big Wheel, 1979, en action, New Museum, New York. © Photo : Benoit Pailley/New Museum.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Burden caricaturé

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