Industrie

Avant l’objet

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2014 - 794 mots

Au Design Museum, à Londres, « In the Making » révèle la beauté ou la spécificité technique de près de 25 objets en cours de fabrication. Une exposition très originale.

LONDRES - C’est une exposition étrange et singulière dans sa manière de montrer des objets usuels, tels une balle de tennis ou un billet de banque. Au Design Museum de Londres, ces derniers ne sont pas « achevés », mais sont restés figés à des stades différents de leur fabrication, avant donc cette phase ultime qui fait d’eux des « objets » au sens propre du terme. Là est l’objectif de « In the Making » : montrer non pas le résultat, mais le développement. « Nous avons toujours été fascinés par le processus de fabrication et c’est une part essentielle de notre travail. Nous ne débutons jamais un projet sans avoir en amont visité le site de production et nous sommes souvent étonnés par ce que nous y découvrons, expliquent les deux designers Edward Barber et Jay Osgerby, ses commissaires. Cette exposition révèle un moment, dans le processus de fabrication, qui dévoile des objets du quotidien dans leur état inachevé. Nous voulions démystifier la manière dont ils sont faits. Souvent l’objet est beau, parfois même plus que le produit fini. »

L’exposition se déploie en deux sections : d’un côté, 24 objets interrompus dans leur fabrication, suite de formes curieuses et pas immédiatement reconnaissables ; de l’autre, le produit réalisé, du moins sa photographie et quelques dessins qui évoquent ce chemin du matériau brut jusqu’à l’objet fini. La partie la plus intéressante est évidemment la première. Chaque objet a été choisi soit pour sa forme singulière, soit pour la technique de production employée, qu’elle soit traditionnelle et artisanale ou bien industrielle.

Tranches et puces
D’emblée, Barber et Osgerby plantent le décor avec ce que les usagers de l’Underground londonien n’ont jamais vu de cette manière : un élément d’une voiture du métro, arrêté à 25 % de sa fabrication. La « carcasse » d’aluminium préformée tout juste sortie du moule est, ici, comme mise à nu, montrant de fait sa robustesse. Les surprises sont légion. Si, jadis, les briques étaient fabriquées à l’unité, en moule individuel, elles sont aujourd’hui extrudées à la chaîne, comme le montre ce long « spaghetti » de terre cuite, juste avant qu’il ne soit sectionné en modules individuels. Stupéfiante aussi est la malléabilité de l’aluminium, lorsqu’il s’agit de presser ces « canettes » de boisson en tout genre. Saviez-vous qu’il fallait deux « losanges » de feutre pour concevoir une balle de tennis, comme l’évoque ce pan de textile tissé jaune fluo dans lequel on remarque une multitude de perforations à l’emporte-pièce ? Qui pourrait penser que de ce bloc informe de silicium – 30 cm de diamètre, 7 kg –, l’on pourrait tirer de très fines « tranches » qui deviendront des puces destinées aux appareils électroniques ?

Les deux designers anglais n’oublient pas non plus de célébrer la fameuse chaise Thonet ou « chaise bistrot », « sûrement la plus iconique composante de tous les articles de mobilier de l’Histoire ». Avec cet élément arrêté à 50 %, ils démontrent que cette technique de courbure du bois a non seulement inventé une silhouette mobilière forte, mais aussi donné une forte personnalité à l’entreprise.

Certaines méthodes de production n’ont fondamentalement jamais changé, à l’exemple des crayons à papier produits depuis 1832 par une firme de la région du Lake District, au Royaume-Uni. On peut voir ainsi un morceau de cèdre dans lequel sont agglutinés une dizaine de crayons, opération arrêtée à 60 %, juste avant leur séparation à l’unité. La présentation vante la beauté naturelle du matériau brut, tel ce « lingot » de liège entièrement perforé dont les parties manquantes sont devenues bouchons. Idem avec ce « corps » en aluminium moulé dont le caractère primitif et tactile montre une beauté non raffinée, objet ici arrêté à 20 % mais appelé à devenir ordinateur portable siglé Apple.
Moult objets « interrompus » apparaissent comme des œuvres d’art abstrait, tels ce bulbe d’halogène au cou de verre non cisaillé – opération arrêtée à 10 % – ou ce long tuyau de cuivre s’achevant en un large pavillon (75 %) dont le développement, s’il s’était poursuivi jusqu’au bout, aurait pu livrer un splendide cor.

Le parcours est riche en enseignements tant du point de vue de l’élaboration des formes que de leur réalisation « physique ». Trois vidéos montrent encore chacun des objets en train de se faire. À la sortie de l’exposition, une brochure passionnante décortiquant le processus complet de fabrication de chacun des 24 objets attend le visiteur.

In the Making

Commissaires de l’exposition et scénographie : Edward Barber et Jay Osgerby, designers

Nombre de pièces : 24

IN THE MAKING

Jusqu’au 4 mai, Design Museum, Shad Thames, Londres
tlj 10h-17h45, www.designmuseum.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Avant l’objet

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