Rencontre

Art sacré

Au Collège des Bernardins, à Paris, Anthony McCall solidifie la lumière

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 28 février 2011 - 449 mots

PARIS - « On n’entend rien ». Ainsi Jean de Loisy pourrait-il pasticher Daniel Arasse (1) pour convoquer l’art d’aujourd’hui, qui ne « parle » pas à un (trop) grand nombre de ses contemporains.

Initiateur du programme pluridisciplinaire (musique, arts vivants, art plastique) au Collège des Bernardins, à Paris, adroitement intitulé « La parole de l’art », Jean de Loisy voit, dans la place faite à l’art au cœur des réflexions théologiques et sociétales du collège, un lieu privilégié pour penser l’œuvre, et par elle, le monde, à l’écart de l’abondance médiatique et des excès du marché : une retraite. Sous les voûtes du collège datant du XIIIe siècle se joue une rencontre inédite et audacieuse, sans concession ni instrumentalisation, entre deux mondes à priori très éloignés l’un de l’autre – une belle leçon d’ouverture. Le titre même de l’œuvre d’Anthony McCall choisie par le commissaire Alain Berland pour inaugurer la saison est un hommage fortuit à ce courageux parti pris. Between You and I peut s’éprouver comme une allégorie du dialogue, dans lequel l’expression de l’un modifie imperceptiblement la posture de l’autre. 

Incarnation 
Dans l’ancienne sacristie, l’installation lumineuse de l’artiste britannique (né en 1946, vivant à New York) dessine sur le sol deux formes évolutives constituées de lignes courbes qui se répondent, tandis que leur projection dans la salle emplie de fumée fait apparaître deux halos de lumière. Anthony McCall a mené ses premières expériences sur la projection filmique dans les années 1970. Alors proche des idées du compositeur John Cage et des artistes du minimalisme, il s’emploie à déconstruire le médium en dessinant directement sur la pellicule avant de supprimer l’écran. Reste une salle traversée de lumière, solidifiée, capturée par la fumée (de cigarette à l’époque). Un cinéma fait sculpture, dit-il, et des spectateurs « pratiquants » de l’art.
Le geste engagé substitue au spectacle l’expérience sensible, à la représentation la présence, ici et maintenant : une incarnation. La symbolique du lieu ouvre des pistes interprétatives auxquelles le formalisme est traditionnellement rétif. Impossible cependant que l’artiste n’ait pas intégré la portée méditative de son œuvre en invitant à traverser physiquement cette épiphanie dédoublée, dans un espace autrefois impénétrable pour le commun des mortels. Alors, quand le théologien Jérôme Alexandre affirme, dans la revue Questions d’artistes qui accompagne cette programmation, que « le temps est venu d’une théologie ouvertement réconciliée avec le sensible », la formule pourrait être la transposition du déplacement qui s’observe dans la perception du formalisme aujourd’hui. Et devrait faire loi pour toute œuvre d’art : non pas une forme pure, mais un creuset de sens pour réfléchir sur le monde.

(1) Auteur d’On n’y voit rien, éd. Gallimard, coll. « Folio essais », 2003.

ANTHONY MCCALL, BETWEEN YOU AND I

Commissariat : Alain Berland, critique d’art
Jusqu’au 16 avril, Collège des Bernardins, 20, rue de Poissy, 75005 Paris, tél. 01 53 10 74 44, www.collegedesbernardins.fr, tlj 10h-18h, dimanche 14h-18h. Publication, Questions d’artistes no 1, 2 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°342 du 4 mars 2011, avec le titre suivant : Art sacré

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