Julia Lohmann

Animal domestique

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 14 avril 2006 - 625 mots

C’est l’histoire d’une petite fille qui aimait les animaux. Elle les aimait tellement que, une fois grande, elle partit en Islande pour travailler dans une ferme pour chevaux. C’était en 2002. L’année suivante elle y retourna afin d’aider le maréchal-ferrant à faire redescendre ses moutons de la montagne. À 29 ans, la passion de Julia Lohmann ne l’a toujours pas quittée. Elle la conduit même, aujourd’hui, à utiliser l’animal comme matériau – au sens propre comme au sens figuré – pour son travail de designer. Celui-ci « explore la frontière entre l’animal et la matière animale, précise Julia Lohmann. Nous sommes entourés de produits animaux et nourris grâce à eux. Or nous ne voulons pas que notre nourriture nous rappelle l’animal duquel elle provient et, dans le même temps, nous sommes capables, à travers les avancées de la biotechnologie, de créer des tissus vivants artificiels. Mon but est donc de faire changer le regard que les gens ont sur les produits animaux, à travers des objets fabriqués à partir d’une matière animale jugée obsolète ou sans valeur. »
Avec Ruminant Bloom, Julia Lohmann nous fait ainsi prendre des vessies pour des lanternes, en transformant des estomacs de mouton – en bon état de conservation, il va sans dire – en luminaires. Chacun possède évidemment une forme, une couleur et un degré de translucidité distincts. De loin, ces lampes paraissent éthérées, telles des méduses ou quelque flore sous-marine. Leur texture en nid-d’abeilles pourrait presque passer pour de la dentelle, avant que l’on ne s’aperçoive, en s’approchant, qu’il s’agit tout bonnement de… tripes. « Cette série de lampes provoque un sentiment qui oscille entre l’attraction et le dégoût », admet Lohmann. L’an passé, le Fonds national d’art contemporain (FNAC) a acheté une lampe à poser version panse de vache de 30 cm x 15 cm x 15 cm, pour sa section « Arts décoratifs, métiers d’art et création industrielle ».

Cicatrices
Mais le projet « animal » le plus impressionnant de Julia Lohmann est sans aucun doute « Cow Benches » [« bancs-vaches »], une série de bancs en cuir à la silhouette de vache, la tête, les pattes et la queue en moins. Ces bancs ont été baptisés des vrais prénoms de vaches défuntes : Olivia, Luzy, Rosel, Belinda, Eileen, Carla, Elsa ou encore Radia. Avec une structure de bois et de la mousse de polyuréthane, Julia Lohmann sculpte une vache grandeur nature dans une attitude bien précise : affalée par terre. Elle habille ensuite sa « bestiole » d’une peau entière qu’elle a récupérée chez des industriels de la viande puis teintée de couleurs caramel ou chocolat. Chaque banc est évidemment unique car chaque peau est unique. De près, on remarque des os saillants. Dans le cou, se distinguent aussi des plis, certainement dus aux mouvements de la tête de la bête, voire des cicatrices laissées par les fils barbelés des clôtures. Bref, toute une série d’indices qui nous rappellent, par défaut, la vie de l’animal. Le résultat est bluffant. « Le cow bench sert également de mémorial à l’animal qui est mort pour devenir une assise », estime cette designeuse née en 1977 à Hildesheim (Allemagne) et qui a obtenu un mastère en design produit au Royal College of Art de Londres. Aussi polémique que puisse être son travail, tout ce que dessine Lohmann tend à être utile : « Je détesterais dessiner quelque chose d’inutile », affirme-t-elle. On ne demande qu’à la croire.

Le Design Museum de Londres présente jusqu’au 4 juin une exposition intitulée « Design Mart » qui réunit la jeune garde des designers britanniques ou œuvrant sur le sol anglais, dont Julia Lohmann, laquelle a fondé à Londres, en 2004, avec le graphiste Gero Grundmann, le Studio Bec. Rens. : www.designmuseum.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°235 du 14 avril 2006, avec le titre suivant : Animal domestique

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