Art contemporain

50 artistes du XXIe siècle qui ont déjà marqué la scène française

FRANCE

Plasticiens, peintres, dessinateurs, artistes urbains, du numérique ou de la performance… Les 50 artistes qui suivent témoignent de la diversité et de la complexité de la scène artistique française apparue ces vingt dernières années. Mais aussi de la vitalité et de la richesse de la création visuelle au début du XXIe siècle.

© Montage Michael Burou pour L'Œil
Montage Michael Burou pour L'Œil


Adel Abdessemed 

[né en 1971]
Représenté par la Dvir Gallery (Bruxelles, Tel Aviv)

« Abdessemed adresse des directs aux images du monde. » C’est avec cette métaphore puisée dans la boxe que le directeur du Musée national d’art moderne, Alfred Pacquement, préface le catalogue de l’exposition « Adel Abdessemed, Je suis innocent » au Centre Pompidou, en 2012. À tout juste 41 ans, l’artiste né à Constantine (Algérie), qui a fui le fanatisme en 1994 après l’assassinat du directeur des Beaux-Arts d’Alger pour s’installer à Lyon (où il s’inscrit aux Beaux-Arts de 1994 à 1998), a donc les honneurs d’une rétrospective au MNAM. Et pour cause, en 2012 le plasticien a une carrière internationale déjà bien remplie : exposition personnelle au MoMA PS1 (New York) en 2007, présence aux biennales de Venise, d’Istanbul, de São Paulo, de Lyon, de Gwangju, de La Havane, etc. Collectionnées par François Pinault, ses œuvres ne cessent par ailleurs de faire parler d’elles, pour leur aspect spectaculaire (en 2007, l’artiste dessine attaché par les pieds à un hélicoptère), mais aussi pour leur dimension polémique (en 2008, à San Francisco, une vidéo tournée dans un abattoir provoque l’ire d’associations pour la défense animale). Depuis lors, Adel Abdessemed est abonné aux controverses : en 2013, à Doha, le Qatar déboulonne sa sculpture du fameux coup de boule de Zidane à Materazzi (Coup de tête, 2011-2012), quand, en 2018, l’artiste doit retirer de son exposition au Mac de Lyon sa vidéo Printemps (pourtant réalisée avec trucages), montrant des poules « en flammes ». Faisant sans cesse référence à l’histoire de l’art – Qui a peur du grand méchant loup ? (2011-2012), bas-relief composé d’animaux naturalisés, reprend les dimensions exactes de Guernica de Picasso –,Abdessemed est l’auteur d’une œuvre politique engagée, dénonçant autant le dévoiement de l’islam que la violence, soutenue par des personnalités fidèles à son œuvres, à l’instar du poète Adonis ou de l’écrivaine Hélène Cixous.

Fabien Simode

Caroline Achaintre

[née en 1969]
Représentée par la Galerie Art : Concept (Paris)

Parcours très singulier que celui de Caroline Achaintre qui, après une formation comme forgeronne en Allemagne, est passée par le Goldsmiths College de Londres – où elle vit et travaille. L’artiste a longtemps pratiqué le dessin – qui reste à l’origine de ses créatures. Fantastiques, fantomatiques ou carnavalesques, celles-ci troublent d’autant plus que Caroline Achaintre les réalise à partir de laine, d’osier ou de céramique, matières et techniques encore récemment tenues en marge de l’art contemporain. Pour ses œuvres textiles, elle emploie depuis 2002 la technique du tuftage, utilisée dans la confection de tapis et consistant à insérer la laine dans un canevas au moyen d’une aiguille ou d’un pistolet. Les brins laissés pendants suggèrent un inachèvement, un effilochement, voire un débordement qui confèrent à ses formes un caractère un peu sauvage, ou négligé, entre parure tribale et artisanat gauchi, floutant en tout cas les catégories dans lesquelles on pourrait être tenté de les ranger. On éprouve la même difficulté à assigner une inspiration à ses installations, dans lesquelles les tapisseries murales côtoient les sculptures en osier et les céramiques anthropomorphiques, se référant aussi bien au design du groupe Memphis qu’à la sculpture britannique d’après-guerre, à l’expressionnisme allemand, aux arts premiers, à la musique métal ou aux films de série B. Présente dans plusieurs grandes collections publiques (Tate Britain, Musée d’art moderne de Paris, Cnap, etc.), l’œuvre de Caroline Achaintre fait l’objet d’une rétrospective au CAPC Bordeaux jusqu’au 25 avril 2021.

Anne-Cécile Sanchez

Dove Allouche

[né en 1972]
Représenté par les galeries gb agency (Paris) et Peter Freeman Inc (New York)

Dove Allouche a été diplômé en 1997 des Beaux-Arts de Paris-Cergy et résident à la célèbre Villa Médicis de Rome (2011-2012). Son travail a été présenté dans de nombreuses expositions personnelles en France comme à l’étranger : au LaM (Villeneuve-d’Ascq) et au Frac Auvergne, au Palais de Tokyo, au Centre Pompidou, à la Biennale de Rennes, à la Contemporary Art Gallery de Vancouver ou à la Galerie Peter Freeman à New York. Un travail remarqué qui est entré dans d’importantes collections publiques (Louvre, Centre Pompidou, Frac Auvergne, MoMA de San Francisco entre autres). Depuis le début des années 2000, Dove Allouche développe une pratique hybride, entre dessin, gravure et photographie. Pour Jean-Charles Vergne, directeur du Frac Auvergne, son œuvre est marquante par son « impressionnante virtuosité », par sa « connaissance exhaustive des techniques de reproduction les plus pointues et les plus anciennes, au service d’une pensée d’une très grande cohérence où se mêlent histoire, histoire de l’art et considérations scientifiques. Par cette pratique qui se situe au carrefour des sources et des médiums, du réel et de l’abstrait, mais qui interroge aussi le statut de l’image face au temps et à la reproduction de l’œuvre, le travail de Dove Allouche est caractéristique d’un aspect marquant du dessin aujourd’hui qui se veut volontiers hybride, et remet en question les limites traditionnelles du médium.

Amélie Adamo

Farah Atass

[née en 1981]
Représentée par les galeries Almine Rech (Paris, Bruxelles, 
New York, Londres), Xippas (Paris, Genève, Montevideo, Punta del Este) et François Ghebaly Gallery (Los Angeles)

Sortie des Beaux-Arts de Paris en 2005, Farah Atassi fait partie d’une génération d’artistes qui ont marqué le début du XXIe siècle en questionnant le pouvoir de la figuration en peinture. Hybride, sa pratique s’élabore à partir de motifs géométriques et d’un vocabulaire abstrait issus d’une relecture de l’art moderne, du cubisme à l’abstraction géométrique. Farah Atassi a été lauréate du prix Jean-François Prat (2012) et fut nominée pour le prix Marcel Duchamp en 2013. Révélée en 2010 dans l’exposition « Dynasty » (MNAM/Palais de Tokyo), son œuvre a depuis été exposée dans d’importants lieux de la scène artistique contemporaine, du Centre Pompidou (2016) au Consortium de Dijon (2019), du Kunsthal Extra City d’Anvers (2015) au Mac Val (2014), du centre d’art Le Portique (Le Havre) au Grand Café (Saint-Nazaire) en 2014, de la Fondation Boghossian de Bruxelles (2018) à la Biennale de Moscou (2017). Une œuvre remarquée qui figure dans d’importantes collections : Centre Pompidou, Fnac, Frac Aquitaine, Musée des beaux-arts de Dole, Société Générale…

Amélie Adamo

Kader Attia

[né en 1970]
Représenté par la Galerie Nagel Draxler (Berlin)

Kader Attia voyageait énormément – avant. Ses recherches l’ont conduit en Amérique latine (où il a habité), en Afrique (où il a également vécu), au Congo, au Cameroun et au Sénégal, et, ces dernières années, en Asie (en Corée du Sud et au Vietnam) pour, dit-il, y observer « les liens de l’histoire universelle du XXe siècle et de la colonisation ». Un thème récurrent dans son œuvre qu’à Paris il a choisi d’aborder par l’entremise d’un lieu, la Colonie, ouvert aux débats de société. Il l’a fondé à l’automne 2016, au moment où il recevait le prix Marcel Duchamp, mais a dû se résigner à le fermer l’été dernier. Sa première apparition remarquée sur la scène internationale date de 2003, lors de la 50e Biennale de Venise, où fut projetée sa vidéo La Piste d’atterrissage, regard inédit sur les transsexuels algériens. Mais c’est avec sa pièce Ghost (2007) devenue iconique – des silhouettes prostrées en papier d’aluminium – que sa notoriété a véritablement explosé. En 2012, enfin, l’artiste a élaboré son concept central de « réparation », incarné par une installation remarquée lors de La Documenta 13, à Cassel, The Repair from Occident to Extra-Occidental Cultures. Les expositions monographiques qui lui ont été consacrées se sont multipliées depuis, de même que sa présence dans les biennales (de Shanghai, où il fut en partie censuré, à Gwangju et à Palerme, pour Manifesta 12). À Berlin, où il est basé – ainsi qu’à Alger –, et où vivent sa compagne et leur fils, Kader Attia occupe un petit bureau prolongé par une vaste bibliothèque comptant plusieurs milliers d’ouvrages. Il assurait il y a encore quelques mois conserver « toujours un pied dans l’underground, la précarité, pour ne pas (s’)enfermer dans la tour d’ivoire ». Une chose est sûre, si la numérisation de la culture et l’expérience virtuelle ont gagné du terrain à la faveur de la pandémie, Attia compte au nombre des ardents partisans de la dimension émotionnelle de l’œuvre d’art.

Anne-Cécile Sanchez

Ronan Barrot

[né en 1973]
Représenté par la Galerie Claude Bernard (Paris)

Ronan Barrot est diplômé des Beaux-Arts de Paris en 1997, après avoir obtenu une bourse Erasmus à Berlin et une bourse Collin-Lefranc à Tokyo. Très vite, Ronan Barrot s’impose comme l’une des figures marquantes du renouveau de la peinture figurative en France. Dès le début des années 2000, le peintre multiplie les expositions en solo, révélé à la Galerie Trafic d’Ivry (2001) qui l’exposera plusieurs fois, puis visible dans les galeries Éric Mircher (2006) et Claude Bernard (2007), ces deux derniers montrant aussi son travail sur des foires internationales, à Londres et à Paris. L’institution suit le pas, montrant l’œuvre de Barrot en expositions collectives ou personnelles : Musée d’art contemporain de Lyon en 2005, Musée Marc Chagall en 2006, Musée Picasso en 2006, Musée de Grenoble en 2007, Musée de Sérignan en 2008, Fondation Fernet-Branca de Saint-Louis en 2009, Musée d’art et d’histoire de L’Isle-Adam en 2012, Musée Gustave Courbet en 2013, etc. Ronan Barrot sera aussi invité dans des expositions manifestes-témoins de ce qui a marqué l’art français contemporain, comme « La force de l’art » au Grand Palais (2006) ou « La belle peinture est derrière nous » au Lieu unique de Nantes (2012). Remarquée, son œuvre est entrée dans d’importantes collections publiques et privées : Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, Frac Île-de-France, Fondation Massini de Nice, Collection Salomon, Collection Jean-Claude Volot. Intemporel, Ronan Barrot a su réinventer la peinture en donnant naissance à une œuvre singulière qui doit autant aux classiques qu’à la modernité. Une œuvre à la virtuosité réaliste et à la force expressionniste dont l’hybridité représente une tendance majeure de la peinture figurative aujourd’hui. Marquant l’histoire tout comme il marque ceux qui le rencontrent, l’artiste a imprégné les mémoires tant par la force de sa peinture que par l’intensité de sa personnalité au charisme indéniable.

Amélie Adamo

Éric Baudelaire

[né en 1973]
Représenté par les galeries Greta Meert (Bruxelles) et Juana de Aizpuru (Madrid)

Du prix HSBC pour la photographie en 2005 au prix Marcel Duchamp 2019 pour son dispositif d’exposition Tu peux prendre ton temps, la photographie a progressivement laissé place au film, au son et à différents types d’images sans pour autant disparaître. La polémique née de la présentation à Visa pour l’image du diptyque The Dreadful Details (2006), scène de guerre rejouée dans un studio hollywoodien, a marqué son entrée sur le devant de la scène artistique française et internationale. Si l’image-choc d’actualité rebattue dans ses codes n’est pas du goût des photoreporters, elle l’est du monde de l’art. Très tôt, la question du rapport au réel, aux conflits et à la mémoire a conduit cet artiste, formé par les universités américaines aux grandes crises internationales du Proche-Orient ou à Cuba, à voyager et à mener des enquêtes sur le terrain, de l’Abkhazie au Japon. La forme idoine donnée à chaque projet a privilégié de plus en plus le film. Des longs métrages que sélectionnent régulièrement les festivals internationaux. L’esprit qui gouverne dans ses expositions le distingue aussi. Expositions à l’international ou en France, comme tout dernièrement celle organisée au Crac Occitanie à Sète, toutes relatent en effet les longs work in progress collaboratifs et expérimentaux mis en place pour chaque projet, toujours mené sur un temps long. Tel son dialogue avec le cinéaste Masao Adachi, figure de la Nouvelle Vague nippone, ancien militant de l’armée rouge japonaise et soutien à la cause palestinienne, ou plus récemment encore son dernier long métrage Un film dramatique, fruit de quatre années de tournage avec un groupe de 21 élèves du collège Dora Maar, à Saint-Denis.

Christine Coste

Neil Beloufa

[né en 1985]
Représenté par la Galerie Kamel Mennour (Paris, Londres)

Nominé pour le prix Marcel Duchamp 2015, Neil Beloufa a bénéficié d’une exposition personnelle au MoMA (New York) en 2016 et d’une invitation du Palais de Tokyo en 2018 où « L’ennemi de mon ennemi » réunissait sur 2 000 m2 des œuvres, des documents, des fac-similés, des images d’archives, des vidéos, des objets divers… déplacés mécaniquement sur des rails au gré d’un algorithme. « Dispositif scénographique » davantage qu’exposition, le procédé visait à mettre en évidence « l’interchangeabilité des discours » (issus de la propagande, de la publicité, des jeux vidéo…), le refus dialectique étant un thème cher à l’artiste franco-algérien. Au risque de la redondance ? La même année, Neil Beloufa voyait son deuxième long métrage, Occidental, sortir discrètement sur les écrans avant de quitter la Galerie Balice Hertling pour rejoindre celle de Kamel Mennour. Des plateaux télé (La Clique sur Canal+ en 2018) à la K11 Art Foundation de Hong Kong (à l’automne 2020), en passant par la Biennale de Venise en 2019, Neil Beloufa poursuit son chemin, a priori tracé, de nouvelle star de la scène contemporaine.

Anne-Cécile Sanchez

Abdelkader Benchamma

[né en 1975]
Représenté par la Galerie Templon (Paris, Bruxelles)

Abdelkader Benchamma est diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2003. Dès lors, son travail est rapidement montré dans de nombreuses expositions personnelles ou collectives, dans des institutions de renom, privées ou publiques, à l’étranger aussi bien qu’en France : galerie du jour agnès b, Carré Sainte-Anne de Montpellier, Frac Auvergne, Centquatre, Collège des Bernardins, Galerie Templon, Fondation Lambert, Abbaye de Lagrasse (dans le cadre d’« In Situ : art contemporain et patrimoine »), entre autres. Résident à la Villa Médicis de Rome en 2018-2019, il a été lauréat de plusieurs prix, dont le prix Drawing Now en 2015. Remarquée, son œuvre est entrée dans d’importantes collections publiques ou privées, parmi lesquelles celles des Frac Auvergne, Languedoc Roussillon et Occitanie Montpellier, du Musée des beaux-arts d’Orléans, du Musée arabe d’art moderne et contemporain (Qatar), de la Barjeel Art Foundation (Émirats arabes unis), etc. Questionnant tous les possibles de son médium, la pratique du dessin d’Abdelkader Benchamma se décline entre la minutie du graveur et une plus libre gestualité. Envahissant l’espace réel, ses environnements ont un caractère organique et ambivalent qui explore les frontières entre figuratif et invisible. Une pratique hybride qui mêle les sources artistiques à l’apport de la philosophie, de la littérature ou de l’astrophysique. En cela, sa démarche représente un aspect marquant du dessin aujourd’hui et repousse sans cesse les limites du médium et des catégories.

Amélie Adamo

Hicham Berrada

[né en 1986)] 
Représenté par la Galerie Kamel Mennour (Paris, Londres)

Finaliste du prix Marcel Duchamp en 2020, Hicham Berrada présentait une installation vidéo de sa série Présages (à voir au Centre Pompidou jusqu’au 4 janvier 2021) réalisée en filmant la réaction, dans un aquarium, de minéraux soumis à des produits chimiques, puis projetée sur un écran semi-circulaire pour un effet panoramique immersif. L’artiste franco-marocain génère ainsi des paysages entre nature et artifice. Ses pigments et ses pinceaux, explique-t-il, sont « le chaud, le froid, le magnétisme, la lumière ». Il a également recours à des algorithmes de morphogenèse pour sculpter ses Augures mathématiques, que l’on a pu découvrir dans l’exposition que le Louvre-Lens lui a consacrée l’an dernier, à l’issue de sa résidence dans la Pinault Collection. Artiste alchimiste et un peu magicien, il combine un art divinatoire consistant à lire l’avenir dans les formes prises par la cire plongée dans l’eau chaude, avec la technique ancestrale de la sculpture à la cire perdue, pour ses Kéromancies, réflexions sur l’esprit et la matière.

Anne-Cécile Sanchez

Mohamed Bourouissa

[né en 1978]
Représenté par la Galerie Kamel Mennour (Paris, Londres)

En 2008, l’exposition « Périphérique » à la Galerie Les Filles du Calvaire révèle des photographies en grand format qui bousculent les codes de la représentation des jeunes de banlieue, qu’il repense à travers des toiles de maîtres de la peinture. Mohamed Bourouissa sort depuis peu des Arts décoratifs ; le succès est immédiat. Résidence, prix, expositions et départ des Filles du Calvaire pour la Galerie Kamel Mennour se sont enchaînés ensuite très vite, vidéos, films, installations et dessins élargissant les modes d’expression. Dans la foulée, l’international a déroulé son propre agenda : Biennale de Venise en 2011, foires de Bâle et de Miami, invitation en 2017 de la Barnes Foundation et exposition à Atlanta Contemporary ont participé à étendre la renommée de l’artiste, finaliste du prix Marcel Duchamp 2018. L’altérité est fondamentale chez ce natif de Blida en Algérie, confronté lors de son arrivée en Courbevoie à cinq ans à une langue inconnue. Jeunes de banlieue, chômeurs inscrits à Pôle Emploi ou cavaliers des écuries de Fletcher Street du ghetto noir de Philadelphie : le travail de Mohamed Bourouissa parle de communautés marginales ou marginalisées, de ségrégation, mais aussi de résistance aux stéréotypes et schémas inhérents de représentation. Ce que l’exposition « Libre échange » aux Rencontres d’Arles 2019 développe dans ses différentes dimensions, non sans succès dans sa tournée européenne : l’exposition a reçu en septembre dernier le prix annuel prestigieux de la Deutsche Börse Photography Foundation Prize 2020 créé par The Photographers’ Gallery pour soutenir la pratique photographique la plus innovante, originale et pertinente. Car l’exposition, qu’elle s’organise dans un lieu prestigieux ou non, est avant tout pour Bourouissa un espace où se génèrent des rencontres, des discussions et des collaborations, que ce soit avec d’autres artistes ou les personnes photographiées ou filmées tels les jeunes détenus de l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Porcheville.

Christine Coste

Émilie Brout et Maxime Marion

[nés en 1984 et 1982]
Représentés par la Galerie 22,48 m2 (Paris)

Couple à la ville, Émilie Brout et Maxime Marion arpentent depuis une petite dizaine d’années les territoires du numérique, et tout particulièrement celui d’Internet. Ils s’y infiltrent, en détournent les objets, les interfaces et les images avec une même obsession : personnaliser le standard, débusquer la part d’intimité et de singularité, sinon de spiritualité, dans ce que le digital charrie de plus générique. Leur collaboration commence à l’Ensad Lab à Paris en 2007. Un an plus tard, le duo commence à détourner Google Earth Movies pour y rejouer sur les lieux du tournage, en musique, mais sans personnages, quelques séquences cinématographiques célèbres empruntées à Rocky ou à Apocalypse Now. Ce détournement au long cours en appelle d’autres, le cinéma constituant la première matière du couple. À partir de 2013, Émilie Brout et Maxime Marion élargissent leur spectre, et s’intéressent tour à tour aux jeux vidéo (Cutting Grass, 2013), au fond d’écran de Windows XP (Bliss, 2013), aux photographies de touristes diffusées sur les réseaux sociaux (Ghosts of Your Souvenir, 2014-2016), aux vitres brisées des smartphones (Return of the Broken Screens, 2015-...), au bitcoin (Nakamoto, 2014-2018) ou aux banques d’images en ligne (A Truly Shared Love, 2018). Entre sculpture, vidéos et installations, ils suivent une même logique d’hybridation et de détournement, voire de retournement, pour mieux saisir le basculement des formes et des imaginaires à l’œuvre depuis les débuts de la révolution numérique.

Stéphanie Lemoine

Clément Cogitore

[né en 1983]

Cet ancien pensionnaire de la Villa Médicis distingué en 2015 par le prix de la Fondation Ricard et en 2018 par le prix Marcel Duchamp a tout du surdoué. Son premier long métrage Ni le ciel ni la terre (2015) fut nominé pour le César du meilleur premier film. Quatre ans plus tard, l’Opéra Garnier, après lui avoir passé commande d’une œuvre pour sa plateforme numérique « 3e Scène », lui confiait la mise en scène des Indes galantes de Jean-Philippe Rameau. Auparavant, la vidéo éponyme (Les Indes galantes) réalisée par l’artiste, qui faisait se rencontrer la musique baroque du compositeur et des danseurs de krump (une danse exutoire cousine du hip-hop née après les émeutes de 1992, à Los Angeles), avait en effet rencontré un succès viral immédiat. Projetée pour la première fois au Bal à Paris en 2017, elle comporte plusieurs des thèmes qui traversent son œuvre, comme la rémanence de certains archaïsmes, une forme d’émancipation qui passerait par le corps, mais aussi la ductilité des frontières séparant le sacré du profane. Dans Braguino ou la communauté impossible (2017), parabole à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, Cogitore filmait deux familles vivant en autarcie – et en ennemies – au fin fond de la taïga et évoquait alors une « traversée des ténèbres vers un petit Éden lumineux ». C’est à nouveau le motif du paradis perdu qui hante The Evil Eye (2018), réalisé à partir de séquences de banques d’images et illustrant un monologue aux accents tendrement apocalyptiques. Clément Cogitore est officiellement sans galerie depuis la fermeture de celle d’Eva Hober.

Anne-Cécile Sanchez

Isabelle Cornaro

[née en 1974]
Représentée par la Galerie Balice Hertling (Paris)

Lauréate (ex aequo) du prix de la Fondation Ricard en 2010, Isabelle Cornaro a une formation initiale d’historienne de l’art (elle est spécialiste du maniérisme du XVIe siècle). Pour ses installations, elle chine des objets – vases chinois, tapis persans, bijoux – qu’elle veut à la fois familiers et culturellement symboliques  d’une conquête du monde, par leur représentation. Dans une de ses séries les plus connues, Paysage avec poussin et témoins oculaires, poursuivie entre 2008 et 2012, socles et panneaux placés en perspective offrent une transcription en volume d’un paysage du peintre Nicolas Poussin, archétype du classicisme. Installation, dessin, peinture, sculpture et vidéo : de cette réflexion autour des systèmes de valeur et d’usage, que l’on pourrait penser très cérébrale, le corps n’est cependant jamais absent ; c’est celui du spectateur, à l’échelle duquel sont ordonnés les points de vue, afin de renouveler son expérience de la perception des objets, et de leur image.

Anne-Cécile Sanchez

Raphaël Dallaporta

[né en 1980]
Représenté par la Galerie Jean-Kenta Gauthier (Paris)

La présentation aux Rencontres d’Arles en 2004 de son inventaire des mines antipersonnel a propulsé immédiatement l’ancien étudiant de l’école des Gobelins au rang des jeunes talents à suivre. Les travaux photographiques qui ont suivi ont tout autant été remarqués et exposés dans des institutions ou festivals reconnus pour la qualité de leur programmation, que ce soit en France ou à l’international. Comme la série Antipersonnel, née d’une collaboration avec l’armée, ces travaux ont toujours associé des spécialistes du sujet investigué. Une spécificité du travail à laquelle il n’a jamais dérogé. L’ancien résident de la Villa Médicis, prix Niépce 2019, collabore ainsi régulièrement avec des scientifiques et des artistes, sur la notion de progrès. La commande passée en 2018 par l’École nationale supérieure de la photographie à Arles pour son nouveau bâtiment a ainsi abouti à une création avec le vidéaste scénographe Pierre Nouvel tandis que son dernier projet, Équation du temps, poursuit les expériences à la fois artistiques et scientifiques entamées, depuis deux ans, avec l’Observatoire de Paris. En attendant la monographie que lui consacrera le Getty en 2024 à Los Angeles, Raphaël Dallaporta expose jusqu’au 19 décembre 2020 dans les deux espaces de la Galerie Jean-Kenta Gauthier qui le représente depuis sa création.

Christine Coste

Dewar et Gicquel

[nés en 1976 et 1975]
Représentés par les galeries Loevenbruck (Paris) et Clearing (Bruxelles, New York)

Le premier est né à Forest of Dean, en Angleterre, le second à Saint-Brieuc, en France. Tous les deux ont étudié à l’École des beaux-arts de Rennes, où ils se sont rencontrés à la fin des années 1990. En 2012, Daniel Dewar et Grégory Gicquel remportent le 12e prix Marcel Duchamp, organisé par l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (Adiaf), pour leur sculpture monumentale intitulée Gisant. Projet à l’origine d’une stèle funéraire, l’œuvre représente un plongeur de près de deux mètres, encore équipé de sa combinaison de plongée et de ses palmes, en dolérite. Référence immédiate à l’histoire de la statuaire et des monuments, Gisant rappelle que le duo de sculpteurs manie l’humour depuis ses débuts. En 2006, à propos de leur raie manta géante en caoutchouc noir affublée d’un nunchaku façon raie sadomasochiste, le Journal des arts parlait déjà de « calembours visuels et mentaux ». Cet humour naît chez les deux artistes de l’hybridation et du télescopage chers, en d’autres temps, à Lautréamont. Leur travail passe toujours par l’exécution artisanale – ils revendiquent le retour aux savoir-faire – et par les matériaux « classiques » de la sculpture (le marbre, le bois, la céramique, l’argile…). Présents dans l’exposition « Dynastie » sur la scène française au Palais de Tokyo et au Musée d’art moderne de Paris en 2010, Dewar et Gicquel se voient attribuer, neuf ans plus tard, deux étages du Mac de Lyon lors de la Biennale d’art contemporain de la ville. Ils y présentent alors une série de bas-reliefs et de meubles en bois sur lesquels sont sculptés des seins, des pis de vaches … racontant une fable fantastique (Mammalian Fantasies). Présentes dans de nombreuses collections publiques (Fnac, MNAM, Frac…) et privées, les œuvres de Dewar et Gicquel sont, depuis 2012, régulièrement exposées en Europe (Suisse, Allemagne, Pays-Bas, Belgique) et aux États-Unis.

Fabien Simode

David Douard

[né en 1983]
Représenté par la Galerie Chantal Crousel (Paris)

Comment le travail d’un sculpteur peut-il rencontrer l’abstraction des technologies qui façonnent notre environnement, en rendre compte et y ouvrir des perspectives permettant d’en réchapper ? De son adolescence en milieu rural, David Douard a gardé une sympathie pour les outils et les interfaces numériques qui, par rapport aux médias de masse, semblaient offrir une possibilité d’action. Il conserve depuis une distance critique vis-à-vis de cette promesse dévoyée et s’intéresse à la façon dont on peut s’emparer d’une technologie existante, voire invasive, pour s’en libérer. L’enseignement d’un Richard Deacon, aux Beaux-Arts, lui a fourni des pistes quant à la possibilité de créer des formes abstraites, et a orienté sa pratique, qui utilise le plâtre ou la céramique, afin de ramener la matérialité des machines et des systèmes dans le champ de notre perception immédiate. Ainsi, « O’ Ti’ Lulaby », son exposition au Frac Île-de-France, Le Plateau, commence-t-elle par l’image scannée d’un lieu de guerre en Afghanistan où David Douard a, explique-t-il, virtuellement erré tout en restant dans sa chambre. « Je voulais que l’on entre dans l’exposition avec cette impression de rentrer dans un lieu entre-deux. » L’architecture des lieux de stockage de données (data centers) donne une ligne directrice à une scénographie pensée comme une déambulation dans ces espaces intermédiaires, et qui pourra faire songer à la formule du théoricien de la communication Marshall McLuhan, selon lequel « une frontière n’est pas une connexion, mais un intervalle de résonance ».

Anne-Cécile Sanchez

Félicie d’Estienne d’Orves

[née en 1979]

Il aura fallu du temps à Félicie d’Estienne d’Orves pour donner la pleine mesure de son talent. C’est désormais chose faite : la décennie écoulée lui a permis de s’affirmer comme l’une des artistes les plus fécondes de sa génération, et de se faire une place de choix dans les festivals et institutions. Diplômée de l’l’Ensad en 2003 après un master à l’atelier de recherche interactive, où elle s’initie aux nouvelles technologies et à la programmation, l’artiste travaille d’abord dans la scénographie. Il faut bien vivre, et ses projets personnels passent au second plan. En 2008, l’installation qu’elle présente à l’église Saint-Roch à Paris pendant la Nuit blanche marque un tournant. Monolithe est une œuvre quasi psychédélique associant lumière et musique, et vaut à l’artiste d’être remarquée. Il faut toutefois attendre sa rencontre en 2010 avec Fabio Acero pour que Félicie d’Estienne d’Orves soit propulsée dans l’espace qui est, depuis, son territoire privilégié de recherche et de création. Avec l’astrophysicien, elle crée l’installation Supernova. Exposée en 2011 à la Maison des arts de Créteil, celle-ci donne à voir via des fréquences lumineuses et sonores le cycle de vie de Cassiopée. Cette première collaboration en appelle d’autres, avec des scientifiques, des laboratoires et très souvent des musiciens (Éliane Radigue, Julie Rousse, Franck Vigroux, etc.). Grâce à la lumière, son matériau premier, Félicie d’Estienne d’Orves renouvelle de fond en comble le genre du paysage. Elle nous convie à une série d’expériences que les limites terrestres rendent a priori inaccessibles, à suivre la course du soleil et son coucher sur Mars (Continuum, Sol 24h39min35s), à entendre le son d’objets célestes (EXO), à faire l’expérience du temps-lumière qui nous sépare du soleil (SUN) ou à observer de lointaines galaxies à la lueur vacillante d’une bougie (Deep Field). Cette façon qu’a l’artiste d’éclairer les dimensions invisibles du réel excède l’astrophysique : à l’abbaye de Maubuisson ou dans l’église Saint-Nicolas à Caen (Kyil Khor, 2020), ses œuvres acquièrent aussi une dimension spirituelle. Comme si la méditation et les recherches sur le big bang procédaient d’un même élan métaphysique…

Stéphanie Lemoine

Marina Gadonneix

[née en 1977]
Représentée par la Galerie Christophe Gaillard (Paris)

Depuis Remote Control, photographies de plateaux de télévision sans présence humaine, prix HSBC en 2006, Marina Gadonneix s’intéresse aux dispositifs de représentation du réel. Des prises de vues des studios verts ou bleus des bulletins météo ou de ce qui reste du dispositif d’une reproduction d’une œuvre d’art après qu’elle a été retirée naissent des photographies porteuses d’une abstraction d’une grande épure. Plus récemment ses questionnements sur la fabrique de l’image et l’illusion l’ont conduite à travailler avec des laboratoires de recherches en France ou à l’étranger reproduisant des catastrophes ou des phénomènes naturels. L’ancienne élève de l’École nationale supérieure de la photographie à Arles a l’art de créer des formes, des volumes, voire des monochromes. Remarquée tant par la critique d’art que des responsables d’institutions, elle a fait progressivement l’objet d’expositions individuelles, du Point du Jour à Cherbourg en 2016 aux Rencontres d’Arles en 2019. Exposée dans un premier temps par la Galerie Michèle Chomette, elle est depuis représentée par la Galerie Christophe Gaillard. Le prix Niépce 2020 qui lui a été décerné en octobre s’inscrit dans une reconnaissance nationale d’un travail dont l’exposition « La photographie à l’épreuve de l’abstraction » encore en cours au Frac Rouen, au centre d’art Micro Onde à Vélizy et au CPIF à Pontault-Combault, rappelle la pertinence et l’originalité sur le sujet.

Christine Coste

Laurent Grasso

[né en 1972]
Représenté par les galeries Emmanuel Perrotin (Paris) et Édouard Malingue (Hong Kong)

Dans le travail de Laurent Grasso, on pourrait distinguer, d’une part, les interventions dans l’espace public : SolarWind (2016), installation lumineuse faisant écho aux tempêtes solaires au bord du périphérique ; Nomiya (2011), restaurant éphémère sur le toit du Palais de Tokyo… Et, d’autre part, les incursions dans les espaces de pouvoir, comme son film Élysée (2017), tourné dans le bureau présidentiel, ou celui qu’il envisage, depuis son année à la Villa Médicis, de tourner au Vatican. Consacré en 2008 par le prix Marcel Duchamp et en 2012 par une exposition monographique au Jeu de paume, Laurent Grasso a rejoint la puissante Galerie Perrotin en 2014. Peintures, sculptures, installations lumineuses, vidéos, ses dispositifs varient, au service de thématiques constantes : l’imminence de la catastrophe, la fascination exercée par les images, l’utopie en germe dans toute théorie scientifique, la réalité de ce que nous voyons, ou croyons voir. Ainsi de ses Studies into the Past, un ensemble de tableaux à la manière des maîtres flamands et italiens des XVe et XVIe siècles exécutés par des experts, où se retrouvent, dans un troublant télescopage d’époques et de genres, des éléments extraits des vidéos de l’artiste, éclipses, soleil double et nuée d’étourneaux. En lien avec l’exposition du Musée d’Orsay sur Les Origines du monde, l’invention de la nature au XIXe siècle, son nouveau film est à découvrir sous forme d’installation monumentale au fond de la grande nef. Explorateur du siècle, Laurent Grasso y compile des images (mer artificielle en Tunisie, fours solaires, fonte du permafrost…) afin de « saisir les mutations et métamorphoses du monde ». Pour filmer ce « moment post-anthropocène », ce passionné de technologie a également utilisé une caméra laser lidar de relevé topographique. Mais peu importe, au fond, les moyens. « Les artistes sont là pour capter les vibrations du monde », estime-t-il, et pour faire apparaître une réalité à laquelle on ne peut accéder.

Anne-Cécile Sanchez

Corentin Grossmann

[né en 1980]
Représenté par la Galerie Art Concept (Paris)

Corentin Grossmann obtient son DNSEP en 2006. Exposé en solo-show dès 2002 à Metz (Galerie Octave Cowbell), puis quelques années plus tard dans plusieurs galeries parisiennes, comme Jeanroch Dard, Backslash ou Art Concept, son travail a aussi été repéré dans d’importantes manifestations collectives, du Consortium (2012) au Musée des beaux-arts de Nancy (2010), de la Fondation d’entreprise Ricard (2011) à Drawing Now Art Fair (2009), du Centre Pompidou (2020) au Palais de Tokyo (2019-2020). Pour Adélaïde Blanc, curatrice et coordinatrice de la direction artistique du Palais de Tokyo, le travail de Corentin Grossmann marque son époque par sa singularité et son écho aux enjeux contemporains : « Dans ses visions hallucinées se rencontrent nos objets de consommation et des personnages hybrides qui nous projettent dans d’autres modes de coexistences et d’interactions ; l’artiste déploie dans ses dessins des univers acidulés empruntant aussi bien à la peinture de Brueghel qu’à la modélisation 3D. » Au carrefour du dessin, de la sculpture et de la vidéo, mêlant les sources « nobles » et populaires, le passé à l’ultra-contemporain, l’œuvre de Corentin Grossmann est représentative d’une tendance hybride du dessin aujourd’hui. Tendance à laquelle l’artiste insuffle une singulière dimension surréaliste et onirique, tant intemporelle qu’en écho à l’histoire actuelle, et non dénuée d’un certain humour.

Amélie Adamo

Camille Henrot

[née en 1978]
Représentée par la Galerie Kamel Mennour (Paris)

En 2012, Camille Henrot faisait partie des artistes sélectionnés par Okwui Enwezor pour la Triennale de Paris « Intense proximité ». La jeune plasticienne y présentait Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs ?, installation savante au croisement de la littérature et de l’art de l’ikebana. Deux ans plus tard, pour sa première exposition personnelle dans une institution française, à Bétonsalon, son installation The Pale Fox, constellation d’images, de sculptures et d’objets sur un fond bleu accrocheur, était titrée en référence au texte de l’ethnologue Marcel Griaule (Le Renard pâle). Dans cette même veine anthropologique, Grosse Fatigue, vidéo qui lui a valu le Lion d’argent à la 55e Biennale de Venise, en 2013, est sans doute son œuvre la plus médiatisée, et celle qui illustre le mieux son génie du montage : le film, rythmé par la musique du compositeur Joakim ainsi que par l’ouverture et la fermeture de « fenêtres » sur fond d’écran d’ordinateur, a l’ambition de raconter l’histoire de l’univers en treize minutes : constat d’échec, visuellement très efficace, de l’esprit d’encyclopédisme à l’heure d’Internet. Depuis, le Palais de Tokyo lui a confié en 2017, après celles dont avaient déjà bénéficié ses aînés Philippe Parreno et Tino Sehgal, une carte blanche dont Camille Henrot s’est emparée avec énergie, au point – on le lui a reproché – d’occuper l’espace de sculptures, de peintures ou de films comme on meuble la conversation : par peur du vide. Intitulée Days Are Dogs, cette exposition démontra que la critique aussi peut parfois se faire mordante.

Anne-Cécile Sanchez

Eva Jospin

[née en 1975]
Représentée par la Galerie Suzanne Tarasieve, Paris

Sa sculpture s’est nourrie d’architecture, qu’elle a étudiée, avant d’exercer son œil par un patient apprentissage de la peinture sur chevalet. Depuis quelques années, Eva Jospin déploie à une échelle de plus en plus monumentale des forêts en bas-reliefs cartonnés, des cavités introspectives en forme de grotte de jardin (Folie, à Chaumont-sur-Loire), des treilles ouvragées entre deux immeubles (Le Passage, à Nantes). Rapport au plan et à la perspective, acharnement dans le détail et la découpe, son travail traduit sans le trahir l’ouvrage de la main. En 2016, c’est au beau milieu de la Cour carrée du Louvre qu’avait pris place son Panorama, dont les parois d’acier poli reflétant les façades du musée recelaient un décor de crypte végétale taillé dans le carton. Deux ans plus tard, après sa résidence à la Villa Médicis, elle signait sa première installation pérenne dans l’espace public, à Paris, à l’entrée du micro-quartier Beaupassage. Loin de l’épure esthétique, ses œuvres imposent dans le paysage un mélange de préciosité et de mauvais goût, d’obscurité primitive et d’enjolivements.

Anne-Cécile Sanchez

JR

[né en 1983]
Représenté par la Galerie Perrotin (Paris, Hong Kong, Tokyo, Shanghai)

En 2010, JR n’est pas précisément un inconnu, malgré les lunettes noires dont il apparaît toujours affublé : il a déjà arpenté le monde pour renverser à coups d’affiches photographiques en noir et blanc et de films les clichés circulant sur la banlieue, le conflit israélo-palestinien, les femmes ou les favelas. À moins de 30 ans, il est aussi coutumier des unes de presse et des tapis rouges. Cette année-là s’avère pourtant un jalon décisif dans sa carrière. Couronné par le prix TED en 2011, l’artiste se voit nanti de 100 000 dollars et invité à formuler « un vœu pour le monde ». Un an plus tard, il intègre la Galerie Perrotin et lance Inside Out. Collaboratif et viral, le projet accompagne l’essor des réseaux sociaux et fait de la circulation des visages dans l’espace public l’une des formes contemporaines de l’engagement. Il offre à JR une omniprésence mondiale et un accès aux institutions les plus prestigieuses. Après le New York City Ballet (Les Bosquets, 2014), le Panthéon (2014) et la MEP à Paris (Momentum, 2018), ses collages se déclinent en trompe-l’œil et en anamorphoses sur la pyramide du Louvre (2019) ou le Palais de Tokyo (2020). L’ascension de l’artiste se marque aussi côté cinéma : après une collaboration avec Robert de Niro (Ellis, 2015), il cosigne Visages Villages avec Agnès Varda (2017), puis collabore activement à l’ouverture de l’école Kourtrajmé avec Ladj Ly, vieux compère sacré à Cannes pour Les Misérables. De quoi achever sa mue en star internationale, bien au-delà des cercles du street art et de l’art contemporain.

Stéphanie Lemoine

Jean-Benoît Lallemant

[né en 1981]

Jean-Benoît Lallemant rappelle volontiers qu’il a eu 20 ans en 2001, au moment où les tours jumelles s’effondrent en direct sur les télévisions du monde entier. Depuis, l’artiste prend à rebours le spectaculaire de l’événement et opte pour l’abstraction comme moyen de représenter la géopolitique contemporaine et ses évolutions à l’aune des nouvelles technologiques. Son premier champ d’investigation est Internet, qu’il sonde en recourant à des médiums classiques, à commencer par la peinture. Dans la lignée de Supports/Surfaces, sa peinture est sans pinceaux ni palette : c’est une réflexion sur la notion d’écran dont les matières premières sont le lin, la paille et les données collectées en ligne – sur le jihadisme (Birth of a Nation), les frappes de drones (Trackpad) ou l’accumulation des richesses (Matérialisme). Au gré de séries au long cours, Jean-Benoît Lallemant produit ainsi une peinture d’histoire où se dessine un territoire global, fait de flux et d’informations. En 2017, dans la série Territoriality, il délaisse l’ordinateur pour aller à la rencontre de personnages emblématiques de toutes sortes de frontières (géographiques, de genre, etc.). Ses entretiens se concluent par le prélèvement d’un centimètre carré de peau, qui est ensuite numérisé et converti en fichier 3D, puis en sculpture. Depuis, l’artiste se fait discret. Les données qu’il a collectées sur le changement climatique et l’épuisement des ressources dessinent les contours d’un nouveau projet : fabriquer lui-même en Normandie les matériaux qu’il emploie.

Stéphanie Lemoine

Lek et Sowat

[nés en 1971 et 1978]
Représentés par les galeries Polka (Paris) et Wunderkammern (Rome)

Il en va de certains artistes comme des éléments chimiques : leur association fait parfois naître des réactions spectaculaires, voire explosives. C’est le cas de Lek et Sowat. Ces deux graffeurs arpentaient de longue date, chacun par-devers soi, le versant « urbex » du graffiti. À l’actif du premier, une solide réputation acquise dans les friches du nord de Paris au gré de pièces abstraites in situ. Au second, une pratique du graffiti à Marseille au sein du crew Da Mental Vaporz et diverses publications sur le mouvement, dont La France d’en bas (2003). Dans les deux cas, leur passion dévorante se menait plus ou moins en amateur, faute d’opportunités. Leur rencontre en 2010 scelle l’une des plus belles ascensions de la décennie. Pendant un an, dans le plus grand secret, les deux compères convoquent dans un ancien supermarché du nord-est parisien les grandes figures du graffiti hexagonal. Leur « Mausolée », comme ils le nomment, est une exposition « sauvage » et sans visiteurs, dont ne sont publiées que les traces, sous forme d’un livre et d’un film. Remarqué, le projet leur ouvre les portes du Palais de Tokyo. De 2012 à 2014, sous le commissariat d’Hugo Vitrani, ils y ouvrent avec une cinquantaine d’artistes des brèches où infiltrer le graffiti sans en corrompre l’esprit au contact de l’institution. En naîtra notamment un film, Tracés directs, qui figure désormais dans la collection permanente du Centre Georges Pompidou. En 2015, Lek et Sowat seront aussi les premiers graffeurs à franchir les portes de la Villa Médicis à Rome. Cette résidence d’un an leur permet de sonder les interstices de la ville et de s’ouvrir à d’autres médiums, dont le mapping. Depuis, le duo enchaîne expositions et collaborations, tout en menant en galerie une carrière solo. Parmi leurs derniers faits d’armes, une série d’interventions sur le tunnelier conçu pour prolonger la ligne 14 du métro parisien. Cet hommage aux origines du « subway art », se double d’un autre retour aux sources. Revenus en 2019 sur les lieux du Mausolée, Lek et Sowat caressent en effet un vieux rêve : l’ouvrir enfin au public. 

Stéphanie Lemoine

Levalet

[né en 1988]
Représenté par les galeries Openspace et Joël Knafo (Paris)

En une succession de collages, une galerie de personnages se trouve empêtrés dans toutes sortes de situations burlesques. Leur dessin à l’échelle 1 en noir et blanc et leur dimension narrative identifient d’emblée leur auteur : Charles Leval, alias Levalet. L’homme vient du théâtre et de la vidéo. D’ailleurs, les premières saynètes qu’il livre à la ville sont des projections, avant qu’il ne s’oriente vers le dessin à son arrivée à Paris en 2011 pour préparer l’agrégation d’arts plastiques. Ses références aussi sont à chercher dans le cinéma : dans ses dessins, Levalet se met en scène comme Charlie Chaplin ou Buster Keaton pour dire l’absurdité du monde, et parfois sa poésie. L’ingéniosité de ses œuvres et leur habileté à tirer parti du contexte ont valu à l’artiste d’être très vite distingué dans le milieu de l’art urbain. Peu après ses premiers collages parisiens, les invitations se succèdent dans divers festivals (de Nuart en Norvège à Völklinger Hütte en Allemagne). Les expositions aussi : la prochaine devrait avoir lieu au printemps prochain à la Galerie Openspace.

Stéphanie Lemoine

Adrien M. et Claire B.

[nés en 1979 et 1978]

Fondée en 2011, la compagnie Adrien M. et Claire B. est un hybride entre danse contemporaine, édition et arts numériques. Diplômée de l’école Estienne et de l’ENSAD (Paris), Claire Bardainne se tient sur le versant « plastique » et scénographique du duo. Adrien Mondot est jongleur et informaticien. C’est lui qui assure l’interaction, omniprésente dans leurs œuvres, entre dispositifs numériques, corps et mouvement. En 2011, leur première création, XYZT, esquisse en dix installations un paysage abstrait et interactif, que le visiteur danse plus qu’il ne le traverse. Depuis, les créations de la compagnie se déploient sur un vaste éventail d’espaces et de médiums. Elles prennent la forme tantôt de spectacles, tantôt celle de livres ou d’installations immersives. Elles mobilisent le mapping (L’Ombre de la vapeur, 2019), la VR ou la réalité augmentée (La neige n’a pas de sens, 2016, Acqua Alta, 2019-20) sans pour autant dédaigner les formes artisanales ou naturelles – fantômes de Pepper, bois, galets, etc. Les œuvres d’Adrien M. et Claire B. annulent en effet les frontières entre monde animé et inanimé, entre matériel et immatériel. Elles s’offrent au contraire comme autant d’intercessions et convoquent les nouvelles technologies pour mieux en sonder la part de magie et de poésie. Cette ambition, sensible dans l’exposition « Faire corps » à la Gaîté Lyrique (2020), retourne la distraction en attention et invite qui s’y plonge à épouser le mouvement de la matière et du vivant.

Stéphanie Lemoine

Madame

[née en 1982]
Représentée par la Galerie Openspace (Paris)

Il y a dix ans tout juste, Madame affichait dans les rues de Paris ses premiers collages. Ils forment un bric-à-brac intime en noir et blanc pétri d’iconographie ancienne et de textes découpés à la première personne. Leur lignée n’est pas celle du dadaïsme et du cut-up, comme on s’y attendrait : les œuvres de Madame s’abreuvent bien davantage aux images d’Épinal qui ont nourri son enfance et surtout au théâtre, qu’elle a pratiqué en comédienne et en scénographe avant de sortir prendre l’air. En 2014, alors qu’elle participe au festival K-Live (Sète), elle est remarquée par Nicolas Laugero-Lasserre. Le collectionneur lui ouvre les portes de la galerie Artistik Rezo, où elle fera ses premières expositions. L’artiste enchaîne ensuite les expositions et collaborations (avec le Louvre et la RMN, ou au Musée de l’homme). Cette reconnaissance marque une évolution sensible des œuvres de Madame : aux simples collages succèdent des installations et sculptures minutieuses, que le public est invité à actionner, à réagencer à son gré. L’intimité des situations et des textes cède aussi devant une portée plus universelle : désormais, c’est le monde et ceux qui le peuplent que Madame met en scène.

Stéphanie Lemoine

Benoît Maire

[né en 1978]
Représenté par la Galerie Obadia (Paris, Bruxelles)

Benoît Maire est diplômé au début des années 2000 d’un DEA de philosophie (Panthéon Sorbonne) et d’un DNSEP à la Villa Arson. Dès lors, il multiplie les expositions collectives en France comme à l’étranger avant de recevoir, en 2010, le prix de la Fondation Ricard. En solo show, son parcours témoigne d’une belle ascension, qui le conduit récemment chez Nathalie Obadia (2018), au CAPC de Bordeaux et aux Tanneries (2020). Un repérage par l’institution dont témoigne la présence de son œuvre dans d’importantes collections : FNAC, Centre Pompidou, Capc de Bordeaux, Mac Val, Frac Franche Comté, Île-de-France et Aquitaine. Pour Éric Degoutte, directeur de la programmation du Centre d’art Les Tanneries, l’œuvre de Benoît Maire marque son époque en ce qu’elle ouvre « les circonstances d’une continuation de la peinture » grâce à un « rapport d’exploration » qui conjugue sa pratique de l’assemblage « à l’immédiateté du monde ». Par cette pratique de l’assemblage, où la forme peinte s’ouvre à la photo, sculpture, performance ou cinéma, Benoît Maire est représentatif d’une tendance de la peinture aujourd’hui, conceptuelle, hybride et protéiforme.

Amélie Adamo

Mathieu Mercier

[né en 1970)]
Représenté par les galeries Maruani Mercier (Bruxelles), 
Mehdi Chouakri (Berlin) et Lange+Pult (Zurich)

Nul autre artiste de sa génération ne s’est approché du monde des objets avec une telle appétence. Entre esthétique perfectionniste et sens de l’absurde, Mathieu Mercier déplace les créations issues de la production industrielle, du design ou du graphisme dans le champ de l’art, selon une filiation assumée avec l’inventeur du concept de ready-made – dont, par ailleurs, il collectionne l’œuvre avec une rigueur passionnée depuis l’obtention, justement, du prix Marcel Duchamp en 2003. En 2007, Mathieu Mercier bénéficie précocement d’une rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Il y expose des lassos en néons suspendus à des patères (Sans titre, 2005), « tautologie “mettant en boucle” le lien et la communication » ; des peintures (Sans titre, 2007) « aérosol sur papier coloré altéré à la perforeuse évoquant une nostalgie automnale » ; des photographies (100 Cars on Karl Marx-Allee, 2004), « gros plans monochromes de véhicules stationnés sur l’avenue portant le nom d’un célèbre philosophe révolutionnaire, renvoyant le produit fétiche de l’industrie capitaliste à une évocation du cosmos ». Ou encore, parmi ses pièces iconiques : la Lampe double-douille (1999), structure bourgeonnante lumineuse et l’installation Drum and Bass 100% Polyester (2003), « échantillonnage d’objets de couleurs primaires remixant le thème urbain de la série Boogie-Woogie de Mondrian ». Beaucoup d’humour, bien sûr, dans ces associations d’idées et d’objets. Mais allié à un purisme conceptuel, qui interdit à l’œuvre toute démonstration spectaculaire, au risque de passer pour hermétique, dans une époque privilégiant l’immédiateté. En parallèle, Mathieu Mercier assure régulièrement des commissariats d’expositions, comme celle, en 2016, au Musée des arts décoratifs, sur « L’Esprit du Bauhaus ». Ce qui lui manque aujourd’hui ? Sans doute une galerie hexagonale, et une rétrospective dans une institution étrangère qui fasse un point sur l’évolution de son travail, prolifique.

Anne-Cécile Sanchez

Théo Mercier

[né en 1984]
Représenté par la Galerie Mor Charpentier (Paris)

Sa réussite a été si rapide qu’elle en devient insolente. À peine repéré en 2009 au Salon de Montrouge, le diplômé de l’ENSCI (Paris) et d’un master à l’université (Berlin) est nommé au prix Marcel Duchamp en 2014 – raflé cette année-là par Julien Prévieux –, avant d’obtenir le Lion d’argent à Venise pour la Biennale de… danse (avec Steven Michel). Car Théo Mercier n’est pas seulement un sculpteur, il est aussi un performeur et un metteur en scène programmé par des salles exigeantes, de Montpellier à Nanterre, en passant par New York et Genève, qui travaille à l’abolition de la frontière entre l’exposition et le spectacle vivant (« Je cherche une sorte de magie grise que je n’ai pas encore totalement trouvée, et qui serait de créer un théâtre de l’exposition ou une exposition pour visiteurs assis », explique l’artiste). En 2010, Le Solitaire, sculpture aux multiples matériaux (dont des spaghettis cuits), sorte de yeti assis, échappé d’un film de Matthew Barney auprès duquel Mercier a été assistant en 2008, posait certaines constantes de son travail : la mort, la nourriture, l’humour et le bizarre. Car, régulièrement qualifié d’« original », le travail de Théo Mercier tranche avec certaines esthétiques froides de l’art contemporain, à l’instar de son goût pour les accumulations et pour le macabre, tout en s’inscrivant dans l’héritage des ready-made de Duchamp (en 2019, l’artiste exposait sa collection de faux rochers d’aquariums au Musée de la chasse et de la nature). Pensionnaire de la Villa Médicis en 2013, Théo Mercier a de nombreux fervents défenseurs de son travail, à l’instar de Gabrielle Maubrie, Yvon Lambert, Antoine de Galbert et Stéphane Corréard.

Fabien Simode

Marlène Mocquet

[née en 1979]

Diplômée des beaux-arts de Paris en 2006, Marlène Mocquet est très tôt propulsée sur le devant de la scène aux côtés d’une génération de peintres ayant renouvelé la peinture figurative au début du XXIe siècle. Dès sa sortie de l’école, en 2007, Marlène Mocquet expose en Solo Show son travail, repérée par la Galerie Alain Gutharc qui la montrera plusieurs fois à Paris mais aussi à New York – où elle reçoit les éloges d’une célèbre journaliste américaine dans le New York Times. Très vite s’enchaînent aussi les expositions dans les musées : elle sera exposée en 2009 au Musée d’art contemporain de Lyon, en 2012 au Musée des Sables-d’Olonne, à la Maison des arts de Malakoff en 2013, au Musée de la chasse et de la nature en 2017, entre autres institutions. Représentée par la Galerie Gutharc ou, dès 2014, par Laurent Godin, sa peinture fut également visible dans de nombreuses foires et biennales nationales et internationales (de la Fiac à l’Armory Show, en passant par la Biennale de Lyon) et dans d’importantes expositions collectives en musées ou centres d’art (comme « La belle peinture est derrière nous » en 2012 au Lieu unique de Nantes, exposition qui réunissait les peintres les plus talentueux de sa génération). Cumulant les aides (CNAP) et les résidences (Manufacture de Sèvres), son parcours a plusieurs fois été récompensé – elle est lauréate en 2008 du prix Pierre Cardin (Académie des Beaux-arts, Institut de France) et, en 2007, des prix Hiscox et Alphonse Cellier. Marquante, son œuvre fait partie de plusieurs collections publiques, dont le Mac Val, le Musée d’art contemporain de Lyon et le FNAC. Marlène Mocquet a su s’imposer par la singularité de sa démarche : ouvrant aux profondeurs d’un imaginaire surréel et d’une libre matière expressive, elle a inventé une constellation fourmillante qui n’appartient qu’à elle, oscillant entre noirceur et enchantement.

Amélie Adamo

Eva Nielsen

[née en 1983]
Représentée par les galeries Jousse Entreprise (Paris), 
Selma Feriani Gallery (Londres) et The Pill (Istanbul)

Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2009, Eva Nielsen a depuis montré sa peinture dans maintes expositions collectives et individuelles, en France comme à l’étranger. Lauréate dès 2009 du prix des Amis des Beaux-Arts/Thaddaeus Ropac, puis du prix Art Collector (2014) et du grand prix de la Tapisserie d’Aubusson (2017), soutenu par la Galerie Jousse Entreprise, son travail fait partie d’importantes collections publiques et privées : Mac Val, Musée de Rochechouart, Cnap, Frac Auvergne, Fondation François Schneider, collection Evelyne et Jacques Deret… Pour le collectionneur Jacques Deret, « ce qui frappe dans son travail, c’est la puissance peinte de la forme, des lignes et du paysage cadré : détournant des vues urbaines et périurbaines abandonnées, elle crée un univers entre romantisme et brutalisme. » Par son caractère équivoque et hybride, qui interroge la notion d’architecture et de nature, le travail d’Eva Nielsen est représentatif d’un aspect marquant de la peinture actuelle : entre tradition et modernité, peinture et photographie, abstraction et figuration.

Amélie Adamo

Mathieu Pernot

[né en 1970]
Représenté par la Galerie Éric Dupont (Paris)

Le diplômé en génie civil et en histoire de l’art a fait du chemin depuis sa sortie de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, en 1996. La découverte dans les archives départementales des Bouches-du-Rhône des carnets anthropométriques des gitans internés au camp de Saliers a ouvert à un corpus d’images autour des survivants et des enfants de cette communauté. Les non-dits de l’histoire française, Mathieu Pernot les remet en lumière en redonnant aux êtres toute leur place. L’archive dès le début a été au cœur de la démarche d’un travail précurseur en la matière. Famille Gorgan, immigrés afghans, prisons, barres d’immeubles de cité ou archives d’un asile psychiatrique explorées avec l’historien Philippe Artières : le photographe construit depuis plus de vingt ans une archéologie visuelle bien spécifique, où, l’humain relégué ou stigmatisé devient visible, et l’archive le terreau de réflexions sur la représentation et l’histoire, petite ou grande. La monographie que le Jeu de paume lui a consacrée, en 2014, a fait date. Représenté par la Galerie Éric Dupont, et régulièrement exposé, le lauréat du prix Nadar (2013) et du prix 
Niépce (2014) a reçu en 2019 le prix Henri Cartier-Bresson, aide financière à un projet que l’on découvrira l’année prochaine à la Fondation HCB, tandis que le Mucem lui consacrera à la fin 2021 une grande exposition.

Christine Coste

Abraham Poincheval

[né en 1972]
Représenté par la Galerie Semiose (Paris)

Enfermé pendant treize jours dans un ours naturalisé au Musée de la chasse et de la nature (Dans la peau de l’ours, 2014), ou à l’intérieur d’un rocher pour son exposition au Palais de Tokyo (Pierre, 2017), perché près d’une semaine en haut d’un mât de 20 mètres de haut (Vigie/Stylite, 2016) : Abraham Poincheval est un artiste de la performance, à tous les sens du terme. De l’exploit, même. Dès 2011, l’artiste réalise Gyrovague, le voyage invisible qui le mène, à travers les Alpes et sur quatre saisons, jusqu’en Italie, poussant devant lui un cylindre métallique qui lui sert à la fois d’habitacle et de « camera obscura » filmant le trajet parcouru. Davantage que le record, c’est bien le voyage intérieur, l’expérience initiatique d’états et de temporalités différentes, qui sont au cœur de la démarche, spirituelle, de l’artiste. Qui semble approcher du but : son dernier film, Walk on Clouds, projeté en 2019 lors de la 15e Biennale de Lyon, le met en scène marchant sur les nuages.

Anne-Cécile Sanchez

Nazanin Pouyandeh

[née en 1981]
Représentée par la Galerie Sator (Paris)

Depuis son apprentissage de la peinture dans l’atelier de Pat Andrea, Nazanin Pouyandeh (diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2005) n’a eu de cesse de perfectionner la maîtrise de son art pour très vite s’imposer aux côtés des peintres les plus talentueux de sa génération. Très tôt, sa peinture est montrée dans des galeries parisiennes de renom, comme la Galerie Éric Mircher (dès 2009) et la Galerie Vincent Sator (dès 2013), mais aussi à l’international, de Berlin à Téhéran. L’institution publique reconnaît dès 2007 son travail, le Fonds d’art moderne et contemporain de Montluçon lui consacre une exposition, et l’artiste multiplie ces dernières années d’importantes expositions personnelles, bénéficiant d’un regain d’intérêt du monde de l’art pour la peinture figurative, du Centre d’art et de culture de Cotonou en 2017 à la Fondation Salomon (2020), en passant par le Centre d’art contemporain de Meymac en 2018 et le Musée du quai Branly (dans une exposition collective orchestrée par l’historien de l’art Philippe Dagen , qui soutient la peintre, depuis ses débuts,  dans maints catalogues et articles du Monde). Multipliant les résidences (en Corrèze, à Cotonou ou à Montluçon) et les prix (prix spécial Erró en 2008, prix Alphonse Cellier en 2003…), l’artiste est également présente dans d’importantes collections publiques et privées en France et particulièrement à l’étranger : Fondation Fiminco, Fondation Colas, Städtisches Museum d’Engen, Frissiras Museum d’Athènes, Ramin Salsali Private Museum de Dubai, etc. Marquante, l’œuvre de Nazanin Pouyandeh représente une tendance forte de la peinture aujourd’hui, partageant certains enjeux fondamentaux avec toute une génération de peintres. Une œuvre qui se veut résolument figurative et hybride, nourrie d’un vaste musée imaginaire mêlé au souffle de la modernité dans lequel elle puise sa force et son pouvoir de subversion.

Amélie Adamo

Laure Prouvost

[née en 1978)]
Représentée par la Galerie Nathalie Obadia (Paris)

Elle nous a fait rêver lorsqu’elle a été choisie pour représenter la France à Venise en 2019. Laure Prouvost était auréolée de son Turner Prize – elle vivait alors en Angleterre –, venu récompenser en 2013 une installation vidéo, Wantee, mettant en scène sa grand-mère imaginaire, et mélangeant « les faits, la fiction, l’histoire de l’art et les technologies modernes ». On avait envie de croire à toutes « les salades » qu’elle racontait (We Will Tell You Loads of Salades on Our Way to Venice, tapisserie, 2018). Elle avait imaginé un pavillon qui abriterait, disait-elle, une pieuvre tentaculaire, tour de Babel bruissant de jeux de mots flottant sur les eaux de la lagune, où chacun serait invité à faire son voyage, à éprouver des sensations pures. Au final, Deep See Blue Surrounding You/Vois ce bleu profond te fondre comprenait un film, narration fantaisiste d’un périple sans éclat menant de Roubaix en Italie en passant par le palais du facteur Cheval, mais aussi des sculptures en verre de Murano, des objets en résine, des plantes, des débris évoquant un ressac, une humidité dans l’air… C’était une installation accueillante. Et un peu décevante ? Il avait fallu, sans doute, faire avec ce principe de réalité que l’artiste ne cesse de vouloir déjouer, à travers ses fictions immersives où elle tente des hybridations de langage, de disciplines, entre artisanat et numérique, convoquant non-sens britannique et sensualité régressive, tout en cultivant une forme d’incertitude… Deep See Blue Surrounding You est à (re)découvrir jusqu’au 21 mars 2021 au LaM, à Villeneuve-d’Ascq.

Anne-Cécile Sanchez

Olivier Ratsi

[né en 1972]

Formé aux arts graphiques, Olivier Ratsi est, de longue date, féru de musiques électroniques. C’est d’ailleurs pour animer des soirées technos et traduire rythmes et sons en images qu’il cofonde en 2007 le label AntiVJ. À la faveur d’évolutions technologiques, celui-ci s’affranchit bientôt des écrans et devient pionnier du mapping hexagonal. Le médium conforte l’intérêt de l’artiste pour l’architecture, dont il avait fait le point de départ en 2005 du projet photographique d’anarchitecture WYSI*not*WYG (What You See Is Not What You Get). Surtout, il l’initie à l’anamorphose. Cette contrainte de toute projection 3D deviendra peu à peu la matière première de son œuvre. À distance d’un mapping architectural usé par « l’effet waouh », Olivier Ratsi change d’échelle et s’oriente avec Onion Skin (2012), première étape du projet Echolyse, vers des installations in situ dont la lumière est à la fois le médium et le sujet. Immersives, puissamment hypnotiques, ses œuvres recourent alors à divers dispositifs (lumière diffuse des LED, vidéoprojecteurs, miroirs et reflets…) pour révéler ou perturber l’espace. Dans la lignée du Quattrocento et de l’art cinétique, elles jouent avec nos perceptions et se veulent autant d’illusions conçues pour déstabiliser le regard, sinon pour mieux mettre le réel en question. Dans Delta, il s’agit de simuler une chute sans fin. Dans Frame Perspective, de créer le mouvement d’une vague ou d’une respiration sur une succession de cadres lumineux. L’effet produit tient aussi, dans certaines œuvres, à un design sonore conçu en collaboration avec le compositeur Thomas Vaquié. La capacité d’Olivier Ratsi à engager le spectateur dans ses œuvres lui vaut d’être régulièrement convié dans divers festivals, dont Exit à Créteil ou Constellations à Metz, où il montre en 2019 une version de Frame Perspective dans l’église Saint-Nicolas. Début 2020, il présentait aussi dans une ancienne boutique à Marseille six installations à l’invitation de Seconde Nature. Cette première rétrospective de son travail se prolongera au printemps prochain à la Gaîté Lyrique, où l’artiste exposera dix installations in situ.

Stéphanie Lemoine

RERO

[né en 1983]
Représenté par la Galerie Backslash (Paris)

Un mot, une phrase, écrits en police Verdana et systématiquement biffés (à moins qu’ils ne soient soulignés ?) d’un trait : autour de ces invariants, RERO élabore une œuvre protéiforme, entre peinture, sculpture, installation et muralisme. Comme beaucoup, l’artiste vient du graffiti. En 2004-2005, un diplôme d’art et design au London College of Communication Londres l’ouvre à d’autres champs esthétiques et d’autres techniques (sérigraphie, typographie…). De retour à Paris, il peaufine son style à distance du graffiti, de préférence dans les friches et usines désaffectées. Épurés, minimaux et déclinés sur une grande variété de médiums, ses textes s’offrent en contrepoint avec leur environnement immédiat et soulignent l’écart entre les faits et leur énoncé, entre les normes et les conduites, entre le réel et le virtuel. Leur caractère oxymorique fait mouche : RERO est invité partout et sa carrière s’internationalise. Il produit beaucoup, presque trop, et s’expose entre autres à Los Angeles (2012), au Brésil (2014), au centre Georges Pompidou (2014). Au pavillon Carré de Baudouin à Paris, il signe aussi en 2015 une exposition remarquée, « Hors sol ». Il y a cinq ans, en pleine ascension, RERO joue pourtant la rupture et part s’installer à Rio de Janeiro. Depuis, l’artiste se fait plus rare, mais plus précis. Au Hangar 107 ou dans le cadre de Rose Béton, il diversifie sa palette et ses thématiques, mais conserve une même intention, dont il emprunte l’énoncé à Jean Cocteau : créer « ce mensonge qui dit toujours la vérité ». Une monographie de son œuvre, Via Negativa, vient de paraître aux éditions Skira.

Stéphanie Lemoine

Lili Reynaud-Dewar

[née en 1975]
Représentée par les galeries Clearing (Brooklyn, Bruxelles) et Emanuel Layr (Vienne, Rome)

Après avoir étudié la danse jusqu’à l’âge de 17 ans, puis le droit public, Lili Reynaud-Dewar a choisi la performance, à ses débuts, parce que celle-ci était alors « complètement ringarde ». Très singulière dans sa façon de mêler les disciplines (sculpture, cinéma, littérature…), autant que les références culturelles et les champs abordés (politiques, historiques, sociologiques), l’artiste privilégie le recours à des formes qui ne sont pas celles que l’on attendrait là où elle les utilise. Dans une série de vidéos qu’elle tourne depuis 2011, on la voit ainsi, nue, le corps couvert de pigment noir, ou rouge, danser en silence dans des lieux d’exposition déserts où elle est invitée, ramenant dans ces architectures normées (centres d’art, galeries, musées…) la réalité charnelle, avec ce que cela suppose de voyeurisme pour le spectateur. Cette expression d’une critique institutionnelle aussi remuante qu’irrévérencieuse emprunte à Joséphine Baker des éléments chorégraphiques que Lili Reynaud-Dewar isole et répète. Joséphine Baker ? Parce que cette figure renvoie à des questions d’appropriation et de minorité culturelles, à la question aussi, du corps objectivé et désiré. Et parce que l’échec de cette tentative d’évocation mimétique place l’artiste dans un rapport parodique à elle-même, tout en rappelant que la création artistique commence toujours par une usurpation. Cette posture décalée, entre vulnérabilité et burlesque, préfère au dogmatisme une ambiguïté assumée, riche d’interprétations. Du New Museum of Contemporary Art de New York (2014) à la Monash University Gallery of Arts de Melbourne (2018), son travail a fait l’objet de nombreuses présentations, y compris dans les Biennales internationales, de Berlin (2000), de Lyon (2013), de Venise (2015) ou de Gwangju (2016). Lili Reynaud-Dewar enseigne à la HEAD (Haute École d’art et de design de Genève), où elle poursuit avec ses élèves divers projets artistiques, tels que Beyond the Land of Minimal Possessions, un film tourné à Marfa (Texas), sur les terres de Donald Judd, autour du phénomène de consécration.

Anne-Cécile Sanchez

Elsa Sahal

[née en 1975]
Représentée par la Galerie Papillon (Paris)

Dans « Ceramix, de Rodin à Schütte », importante exposition sur un siècle de céramique présentée à Maastricht, Paris et Sèvres, elle était l’une des rares artistes à posséder sa propre salle monographique. Elsa Sahal, sortie des Beaux-Arts de Paris en 2000 avant de perfectionner sa technique par un master Création et Technologie à l’ENSCI en 2010, collectionne les récompenses dans la catégorie sculpture : prix de la Fondation Messina, prix Maif pour la sculpture, prix Georges-Coulon, etc. Soutenue très tôt par la critique, dès 2001, l’artiste, née à Bagnolet, expose pour la première fois en 2000 à la Galerie Paillon, qui lui réservera son stand dix-neuf ans plus tard à la Fiac pour un dialogue avec les sculptures d’Erik Dietman (qui fut son enseignant). En 2014, c’est un dialogue avec un autre de ses professeurs que le Festival d’art international de Toulouse avait entrepris : le sculpteur figuratif et expressif Georges Jeanclos (1933-1997). Quand d’autres se font chef de file du retour à la peinture, Sahal incarne le retour à la sculpture ces vingt dernières années, et le renouveau de la céramique – avec Johan Creten, son aîné, qui a émergé avant les années 2000. Son œuvre interroge la représentation des formes féminines et sexuelles, avec beaucoup de sensibilité et d’humour, voire un certain militantisme. L’été dernier à Nantes, l’installation de sa Fontaine, une « Manneken-Pis » au féminin, ne s’est pas faite sans vives protestations. Seins, fesses et vulves composent le répertoire de formes d’Elsa Sahal que l’on peut sans se tromper placer dans la filiation de Dorothea Tanning et Louise Bourgeois.

Fabien Simode

Anri Sala

[né en 1974]
Représenté par la Galerie Chantal Crousel (Paris)

En 2001, la Biennale de Venise lui décernait le Young Artist Prize. Douze ans plus tard, pour la 55e édition de la manifestation, le jeune quadragénaire originaire de Tirana représentait la France avec sa vidéo Ravel, Ravel, Unravel. Depuis, Anri Sala a multiplié les expositions personnelles dans le monde, du New Museum (New York) au Garage (Moscou), en passant par le Tamayo Museum (Mexico) et le Castello di Rivoli (Turin). Il est, ces dernières années, moins présent dans l’Hexagone, où son dernier solo show en galerie date de 2018. L’extrême sophistication de ses dispositifs vidéo immersifs, qu’il conçoit sur mesure pour ses expositions, et qui fait de chacun d’eux un exploit technologique, limite de fait son ubiquité. Et si l’artiste vit à Berlin depuis 2006, son collaborateur le plus proche, Olivier Goinard, en charge de l’ingénierie son de ses projets, est français. Or le son est central dans les créations d’Anri Sala. En 2012, pour son exposition au Centre Pompidou, il conçoit ainsi No Window No Cry (Renzo Piano and Richard Rogers, Centre Pompidou, Paris), une vitre faisant office de caisse de résonance pour une boîte à musique jouant un air des Clash, encadrant la vue sur l’extérieur à la façon d’un tableau. Cette œuvre a été recréée l’an dernier au Centro Botin (Santander), où prenaient place trois pièces majeures, dont As you Go (Châteaux en Espagne), 2019, qui donnait son titre à l’exposition, et déployait trois écrans bifaces géants, jouant chacun une vidéo synchronisée avec la bande-son, selon une chorégraphie invitant le visiteur à évoluer, physiquement et mentalement, dans l’espace et le temps.

Anne-Cécile Sanchez

Massinissa Selmani

[né en 1980]
Représenté par galerie Anne-Sarah Bénichou / Selma Feriani Gallery (Tunis)

Après avoir étudié l’informatique en Algérie, Massinissa Selmani a été diplômé de l’École des beaux-arts de Tours. Dans les années 2010, son travail est montré dans de nombreuses expositions personnelles et collectives, en France comme à l’étranger, qu’il s’agisse de biennales et foires importantes (de Drawing Now à Art Basel), de galeries ou d’institutions publiques comme le Centre de Création contemporaine Olivier Debré (2015 puis 2019), le Palais de Tokyo (2018) ou le Château d’Oiron (2019). Salué par une mention spéciale du jury à la Biennale de Venise (2015), il a aussi été lauréat du prix Art Collector et du prix Sam (2016). Ses œuvres ont intégré d’importantes collections publiques et privées dont celles du Musée national d’art moderne, du Centre Pompidou, du Musée d’art contemporain de Lyon, du Frac Centre ou de la Samdani Art Foundation. Pour la collectionneuse Évelyne Deret, ce qui rend l’œuvre marquante, c’est la façon dont s’y confrontent « le comique, le tragique et l’absurde », ses dessins étant teintés d’un « humour qui en désamorce la violence », « avec une grande sobriété de moyens, avec simplicité, élégance, discrétion et finesse ». Par sa dimension documentaire, s’inscrivant dans l’actualité politique et sociale, jouant sur la frontière du réel et de l’irréel, cette pratique du dessin est aussi représentative des enjeux contemporains posés par la notion de réalisme en art aujourd’hui.

Amélie Adamo

Julien Serve

[né en 1976]
Représenté par la Galerie Analix Forever (Genève)

Julien Serve est diplômé en 2002 des Beaux-Arts de Paris-Cergy, développant une pratique de peinture et dessin, bien qu’il explore d’autres formes de médiums, comme la photographie. Dès le début des années 2000, l’artiste montre son travail dans des expositions collectives ou individuelles, exposé plusieurs fois à Paris, à la Galerie du 8 et à la Galerie Quang, ou à Genève (Galerie Analix Forever), mais aussi représenté dans des foires et salons reconnus (Drawing Now, Paréidolie à Marseille). L’œuvre de Julien Serve a été repérée par des commissaires de renom, comme Bernard Marcadé (qui l’expose dans une exposition collective « Made in Beyrouth » en 2000) ou l’historien d’art Paul Ardenne. Ce dernier sélectionne en 2012 son travail dans le cadre du festival de création contemporaine Le printemps de septembre à Toulouse et l’exposera plusieurs fois dans des expositions collectives dont une organisée au Musée d’art contemporain de Lyon (« Motopoétique », 2012). Pour Paul Ardenne, l’œuvre de Julien Serve est marquante pour son époque, d’abord parce qu’il utilise le dessin de manière singulière : « Arpenteur du réel qui dessine comme il respire, sous la forme d’un journal, adepte de la création réflexe. » Mais aussi parce qu’il témoigne ainsi d’un positionnement qui « rejoint celui des jeunes adultes d’aujourd’hui, projetés dans un monde dont le sens s’effrite et doit sans cesse être réinventorié, réinterrogé ».

Amélie Adamo

Claire Tabouret

[née en 1981]
Représentée par les galeries Almine Rech (Paris, Bruxelles, 
New York, Londres) et Perrotin (Paris, Hong Kong, Tokyo, Shanghai)

Sortie des Beaux-Arts de Paris en 2006, Claire Tabouret fut très tôt et très vite sacrée talent étoilé de la jeune peinture française. Fulgurant, son parcours témoigne d’une ascension rapide : révélée chez Isabelle Gounod au début des années 2010, repérée dès 2013 par le collectionneur François Pinault, elle est représentée aujourd’hui par les galeries Almine Rech et Perrotin. Un parcours brillant auquel l’artiste a donné une impulsion internationale. Elle étudie et expose très tôt à l’étranger, aux États-Unis particulièrement, où elle finira par s’installer, vivant aujourd’hui entre Los Angeles et Paris. En quelques années, sa reconnaissance institutionnelle est incontestable : l’artiste cumule les prix (prix Jeune Créateur en 2009, déjà !), les résidences, les expositions individuelles ou collectives tant en France qu’en Chine, au Japon ou aux États-Unis. Reconnaissance dont témoigne la présence de son œuvre dans d’importantes collections : en France, de Pinault à Agnès b et Lambert, du Frac Auvergne à celui de Haute-Normandie, mais aussi dans des musées à Shanghai, Los Angeles, Miami ou Montréal. Cette ascension est révélatrice d’un phénomène marquant aujourd’hui, à savoir la façon dont le marché pèse sur la visibilité d’un artiste, au détriment parfois de l’œuvre : celle-ci, devant répondre aux urgences de demandes extérieures, arrachée au temps long nécessaire de la création, ne prend-elle pas le risque de perdre en force ?

Amélie Adamo

Stéphane Thidet

[né en 1974]
Représenté par la Galerie Aline Vidal (Paris)

Sa dernière intervention, l’été dernier à Nantes, est à l’image de toute son œuvre : inattendue, douce, poétique. Rideau est une immense chute d’eau qui tombe du haut de la façade du théâtre Graslin pour s’abattre sur les marches du bâtiment. Diplômé de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2002, Stéphane Thidet est présenté dans Le Monde en 2010 comme « l’un des beaux espoirs de sa génération ». Trois ans auparavant, l’artiste avait littéralement fait tomber la pluie – l’eau déjà – dans une cabine en bois éclairée par un lustre (Le Refuge). De fait, en 2020, le jeune « espoir » représente l’un des dignes représentants de la scène artistique française qui, s’il n’a pas encore dépassé les frontières de la vieille Europe, a participé à tous les événements phares nationaux : Estuaire, la Nuit blanche, le Voyage à Nantes, Un été au Havre, sans oublier la Biennale de Lyon, pour laquelle l’artiste a dessiné en 2019 un cercle noir sur une dune de chaux à l’aide d’un motocross (Le Silence d’une dune). Un an auparavant, dans une autre invitation à la rêverie, Stéphane Thidet avait détourné le cours de la Seine pour le faire passer au sein de la Conciergerie, à Paris (Détournement).

Fabien Simode

Louise Tilleke

[née en 1980]
Représentée par la Galerie DX (Bordeaux)

Louise Tilleke a appris la peinture en autodidacte à la fin des années 2000. Dès 2013, elle sera exposée chez Catherine Houard et Pierre Lévy. Remarquée par la Société nationale des beaux-arts et par la Fédération nationale de la culture française, elle obtient en 2016 le prix Alphonse Cellier de l’Institut de France, soutenue par le peintre Vladimir Velickovic. Ses œuvres se trouvent aujourd’hui dans de nombreuses collections, dont celles de Jean-Paul Cluzel (président du Grand Palais, 2009-2019), Bernard Massini, Olivier Kaeppelin (ancien directeur de la Fondation Maeght), Jean-Louis Costes, Jean et Christina Mairet. Pour Olivier Kaeppelin, qui a exposé le travail de l’artiste à la Galerie DX, Louise Tilleke « pense avec le dessin : une pensée vive, réactive, mouvementée, libre, disons rebelle comme choisit de l’être, aujourd’hui, une artiste qui décide de vivre pleinement cette époque incertaine, qui s’affronte à l’état et aux narrations de ces temps troublés… Il y a dans ses œuvres une précision et une errance qui nous rappellent qu’il faut savoir s’égarer pour trouver son vrai chemin. » Interrogeant les tensions humaines, politiques et écologiques, explorant l’immédiateté expressive et le chaos par la forme, le travail de Louise Tilleke est aussi symptomatique d’une époque marquée par le retour en force de veines expressionnistes où se repense la place de l’homme aux prises avec la violence du monde. Une certaine vitalité expressionniste que l’artiste ouvre à l’installation et à la vidéo, de manière singulière.

Amélie Adamo

Tatiana Wolska

[née en 1977]
Représentée par la Galerie Issert (Saint-Paul-de-Vence), la Galerie Papillon (Paris) et Irène Laub Gallery (Bruxelles)

Tatiana Wolska est diplômée de l’école des Beaux-Arts de Nice en 2007. Elle expose alors très vite son travail dans de nombreuses expositions collectives et personnelles, en France, mais aussi à Bruxelles, en Corse et en Pologne (son pays d’origine), dans d’importantes galeries, fondations, centres d’art et musées. Lauréate en 2014 du grand prix du Salon d’art contemporain de Montrouge, elle est particulièrement remarquée, en France, en solo show à la Galerie Issert (dès 2013), au Palais de Tokyo (en 2014), à la Galerie Papillon (dès 2015), chez Irène Laub (dès 2016) et, plus récemment, au centre d’art Les Tanneries (2019). De nature protéiforme, la pratique du dessin chez Tatiana Wolska est intimement liée à celle de la sculpture, les deux dialoguant de manière singulière. Économie de moyens, répétition et simplicité du geste sont essentiels dans son processus créateur qui nécessite beaucoup de temps et de patience. Il y a dans ses dessins une dimension organique qui renvoie au vivant, tant dans la forme que dans le geste de la main. Cette dimension replace la question du corps au centre des préoccupations et réinterroge la notion de réel, aux frontières de l’abstraction, de l’invisible et de l’intériorité. Par cet aspect-là, le dessin de Tatiana Wolska est représentatif d’enjeux contemporains qui ont marqué l’art de notre époque et que l’on retrouve partagés par d’autres artistes de sa génération.

Amélie Adamo

Jérôme Zonder

[né en 1974]
Représenté par la Galerie Obadia (Paris, Bruxelles)

Diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2001, Zonder s’impose très vite comme l’un des artistes les plus prometteurs de sa génération. Dès 2004, le dessinateur est représenté par la galeriste Eva Hober et multiplie les expositions personnelles dans la galerie parisienne – aujourd’hui fermée – mais aussi dans d’importantes institutions, qu’elles soient publiques ou privées, françaises ou étrangères : Gana Art Gallery (Séoul, 2006), U37 Raum für Kunst (Berlin, 2012), le Lieu unique (Nantes, 2014), La Maison Rouge (2015), Galerie Obadia (Bruxelles, 2016), Musée Tinguely (Basel, 2017), Transpalette de Bourges (2018), Domaine de Chambord (2018), Musée des beaux-arts Le Locle (Suisse, 2020), entre autres. Remarqué et récompensé, Jérôme Zonder remporte le prix Marin en 2005, il est finaliste du prix du dessin contemporain de la Fondation Guerlain en 2018 et réalise plusieurs résidences dans les années 2010, notamment en Allemagne et en France. Son œuvre est aujourd’hui présente dans de nombreuses collections publiques et privées : Istanbul Modern Museum (Turquie), Collection Antoine de Galbert, Collection Florence et Daniel Guerlain, Fondation Émerige, Collection Laurent Dumas, Maison particulière - Collection Amaury de Solages, Fonds municipal d’art contemporain de Paris, les Frac Auvergne et Picardie, etc. Jérôme Zonder a marqué le début du XXIe siècle par sa pratique du dessin, qu’il choisit comme médium de prédilection et dont il ne cesse de repousser les limites. Pour Christine Phal, présidente et fondatrice de Drawing Now Art Fair, l’artiste est marquant parce qu’il « a su perfectionner sa technique et faire évoluer son travail » en multipliant les expérimentations formelles, créant un « univers complexe, sombre et grinçant qui lui est propre ».

Amélie Adamo

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°739 du 1 décembre 2020, avec le titre suivant : 50 artistes qui ont déjà marqué le XXIe siècle

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