Droit - Faux

ART EN DROIT

1967, de Vlaminck ne peut pas effacer sa signature

Par Pierre Noual, avocat à la cour · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2025 - 983 mots

Le peintre avait gratté sa signature sur un tableau qu’il estimait être un faux. Il est condamné à dédommager son propriétaire.

Berlin, 1941. Maurice de Vlaminck (1876-1958) participe avec d’autres artistes issus de l’avant-garde du début du XXe siècle – Kees van Dongen, André Derain et Othon Friesz – au « voyage d’études » en Allemagne de peintres et de sculpteurs français, organisé par Joseph Goebbels. Celui-ci mène une politique habile visant à faire jouer au vaincu lui-même le rôle d’agent de propagande. Van Dongen et Derain ne s’en expliquent guère à leur retour, mais Vlaminck signe, en juin 1942, un article nauséeux dans la revue Comoedia où il fustige un art cosmopolite dont Pablo Picasso serait le parangon. À la Libération, le Comité national d’épuration des artistes peintres frappe Vlaminck d’une interdiction professionnelle d’exposer, de vendre et de publier pendant un an.

L’Occupation n’empêche pas Vlaminck, peintre autodidacte et instinctif, de réaliser en 1943 son paysage Les Meules qui constitue « le bilan d’une œuvre riche et complexe, tout à la fois perméable aux formules artistiques de son époque et libérée des carcans conceptuels et plastiques que s’imposent les représentants des avant-gardes du XXe siècle ». Les champs de blé permettent à Vlaminck d’exprimer son amour de la campagne et du monde rural, dont il pleure la lente agonie, tout en s’inscrivant dans une tradition ancienne qui a inspiré à Jean-François Millet ses Glaneuses ou à Claude Monet la série des Meules. C’est ainsi qu’en 1948, un certain Fernard Depas fait l’acquisition de Champ de blé, signé du nom de Maurice de Vlaminck pour la somme de 50 000 francs (environ 1 640 euros).

Cinq ans plus tard, un collectionneur propose à Depas de racheter l’œuvre pour 500 000 anciens francs (environ 12 800 euros). Depas se met en quête d’un certificat d’authenticité pour revendre l’œuvre et la confie à Jean Metthey, le marchand attitré du peintre. Lorsque ce dernier lui restitue l’œuvre quelle n’est pas la surprise de Depas en constatant que la signature a été grattée ! C’est Vlaminck lui-même qui l’a retirée car il estime que l’œuvre n’est pas de sa main et est un faux. L’artiste porte plainte contre X pour escroquerie, complicité et recel. Furieux Depas assigne l’artiste et Metthey pour faire rétablir la signature sous astreinte par le peintre, sauf si 2 millions d’anciens francs de dommages et intérêts lui sont versés. La question est simple : un artiste peut-il, après la vente de son œuvre, retirer à cette dernière sa signature, apposée plusieurs années auparavant ?

Le 7 juin 1957, le tribunal de grande instance de Paris déboute Depas de son action contre les héritiers de Mettey et refuse de contraindre Vlaminck à signer l’œuvre. En revanche les juges reconnaissent que « l’artiste, en effaçant la signature du tableau qui lui était confié aux fins d’authentification, a commis une faute dommageable dont il devait réparation ». Vlaminck est condamné à verser des dommages et intérêts à Depas, bien qu’il faille attendre la décision pénale sur l’authenticité du tableau pour ne pas entrer en contradiction avec celle-ci. Mécontent de cette solution, Depas fait appel, mais Vlaminck décède en 1958. Le 27 avril 1959, l’instruction pénale s’achève par un non-lieu et les trois experts concluent « à la parfaite authenticité du tableau ».

Le 19 avril 1961, la cour d’appel de Paris confirme le jugement du tribunal car en effaçant volontairement la signature sur la toile, Vlaminck a commis une faute dommageable pour le propriétaire dont il doit réparation. Pour les juges d’appel soit Vlaminck est bien l’auteur de l’œuvre et il « est entièrement libre de dire quand celle-ci lui paraît indigne de lui [et] perd son droit de repentir au moment où il livre cette œuvre, qui, dans l’espèce, est de plus revêtue de la signature, marque de son achèvement », soit la toile n’est pas de Vlaminck et « rien n’autorisait ce dernier à mutiler lui-même un tableau dont il n’était pas propriétaire ». C’est pourquoi les juges condamnent les héritiers de Vlaminck à indemniser Depas à hauteur de 5 000 nouveaux francs (9 000 euros), bien loin des 10 millions de nouveaux francs qu’il sollicitait à raison du décès de Vlaminck et de l’envolée de sa cote. Sans réelle jurisprudence depuis, la solution est tenue pour acquise, d’autant que le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre a pu indiquer en 2015 que Bernard Rancillac, qui avait désavoué la paternité de deux œuvres exposées à la Patinoire royale de Bruxelles, ne pouvait être contraint de délivrer des certificats d’authenticité sur celles-ci. En conséquence, l’artiste qui considère que l’œuvre qui lui est présentée n’est pas de sa main ne peut se faire justice lui-même en effaçant la signature.

Au-delà, la « loi Bardoux » du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique précise que le faux est puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, sans préjudice d’éventuels dommages et intérêts. Cependant, la loi dresse une vision parcellaire puisqu’elle cantonne le faux au cas de la signature apocryphe qui consiste en l’apposition d’une fausse signature sur une œuvre qui peut être la reproduction totale ou partielle d’une œuvre préexistante, ou bien sur une œuvre nouvelle, mais réalisée « à la manière de » ou « dans le style de ». Ceci explique que lorsque se présente l’hypothèse d’un faux qui est également une contrefaçon, ce sont les articles du Code de la propriété intellectuelle, relatifs à la contrefaçon, qui trouvent à s’appliquer et non la « loi Bardoux », comme a pu le rappeler la Cour de cassation en 2021 dans deux arrêts concernant Marc Chagall et Amedeo Modigliani.

L’affaire Vlaminck montre encore une fois que le droit moral de l’artiste entre en contradiction avec le droit de propriété du collectionneur. Plus critiquable est que la cour d’appel a soigneusement évité de se prononcer sur l’authenticité du tableau. Ainsi que le résume le dicton allemand « le blé et la reconnaissance ne poussent qu’en bonne terre ».

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : 1967, de Vlaminck ne peut pas effacer sa signature

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque