Une défense paradoxale

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 16 janvier 1998 - 417 mots

Cinq commissaires-priseurs parisiens ont été mis en examen à la fin de l’année 1997 pour avoir vendu des fourrures et des tapis neufs. Interrogé sur cette décision de justice, le président de leur compagnie en a minimisé la portée en faisant référence à la loi du 25 juin 1841. Cette argumentation démontre la situation ambiguë de la profession qui combat à fronts inversés.

PARIS - S’il est vrai que les fautes relevées par la justice semblent vénielles – ou du moins répandues –, ces inculpations et la plaidoirie anticipée du président de la compagnie illustrent le paradoxe de la situation des commissaires-priseurs français en ce début d’année 1998, alors que se perpétue leur monopole mis en cause de longue date par les instances européennes, et leur statut civil censé les installer en arbitres impartiaux de la mêlée commerciale.

En effet, la loi invoquée par la compagnie pour minimiser les peines encourues est d’abord édictée pour éviter la confusion entre le commerce et les enchères. Elle stipule, certes, que sont interdites les ventes au détail volontaires de marchandises neuves par voie d’enchères, mais également, ce qui éclaire l’intention du législateur de l’époque, que “nul ne peut faire des enchères publiques un procédé habituel de l’exercice de son commerce”.

Ironie juridique, en d’autres temps, la corporation avait plaidé la désuétude de ce texte lorsque des concessionnaires automobiles l’avaient invoqué pour s’opposer à des importations suivies de ventes aux enchères – à l’époque détaxées – de véhicules de luxe. Les conseils des commissaires-priseurs incriminés avaient même obtenu que ce texte soit déclaré incompatible avec le Traité de Rome (décision de la Cour de justice des communautés européennes du 30 avril 1991).

Un texte réglementant le commerce
Paradoxalement, la profession doit donc articuler sa défense sur un texte réglementant le commerce et dont elle avait elle-même obtenu qu’il soit déclaré incompatible avec les règles du marché commun.

Si on poursuit le raisonnement – à supposer que les magistrats entendent se cantonner à ce texte aux sanctions effectivement légères –, ce sont également les commerçants fournisseurs qu’il faudrait mettre en examen. Mais si la justice doit sanctionner tous les marchands qui, sans vendre de marchandises neuves, ont largement utilisé les ventes publiques pour l’exercice de leur commerce, ainsi que tous les commissaires-priseurs qui ont encouragé et apporté leur concours à ces opérations, les prétoires seront vite encombrés. À moins, évidemment, que la justice ne qualifie plus durement la vente de marchandises neuves qui peut caractériser un abus de confiance au détriment de l’acheteur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°52 du 16 janvier 1998, avec le titre suivant : Une défense paradoxale

Tous les articles dans Campus

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque