Profession

Taille-doucier

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 2006 - 755 mots

Imprimeur spécialiste des techniques de gravure en taille-douce, cet artisan produit des épreuves d’artiste originales.

Ne pas avoir peur de mettre les mains dans l’encre et la couleur. Telle pourrait être la première des recommandations à formuler aux aspirants taille-douciers. Car s’il est un geste récurrent dans la pratique, c’est bien celui de l’encrage et de l’application des couleurs, jusqu’à l’obtention des nuances recherchées. Apparue au milieu du XVe siècle en Allemagne et en Italie, la taille-douce appartient au vaste registre des techniques de gravure, avec une spécificité : l’impression en creux sur plaque de cuivre, contrairement à l’impression classique, où seuls les reliefs sont encrés. « Autrefois, la gravure était le seul et unique mode de communication visuelle. Aujourd’hui, elle n’est plus utilisée que dans le domaine de la création contemporaine », explique Pierre Lallier, maître d’art de la promotion 1995, qui a repris en 1968 le célèbre atelier Leblanc de la rue Saint-Jacques, à Paris (créé en 1793). Il y travaille désormais seul, après avoir employé plus d’une dizaine de salariés. Mode de reproduction et d’édition des épreuves originales d’artistes, la pratique de la taille-douce s’établit sur la base d’une relation de confiance entre l’imprimeur et l’artiste, qui confie son travail sous la forme d’une plaque gravée d’après les différents procédés de la gravure en taille-douce (lire l’encadré). « Certains artistes, qui maîtrisent la gravure, font leur plaque eux-mêmes, explique René Tazé, célèbre taille-doucier parisien qui vient d’être nommé maître d’art par le ministère de la Culture et de la Communication. D’autres, qui ne l’ont jamais travaillée, font appel à mes conseils et à ma collaboration technique ». Une fois la plaque créée, celle-ci est souvent amendée par des états successifs, fruits d’un échange entre l’artisan et l’artiste, afin d’obtenir précisément l’image recherchée, fixée par un « bon-à-tirer ». Celui-ci sert de repère, fixe les nuances de couleurs à obtenir ainsi que le nombre d’exemplaires à tirer. Reste ensuite à l’imprimeur à exécuter l’étape décisive de l’impression, en noir ou en couleurs, tout en restant le plus fidèle à l’œuvre originale. « Il faut être doté d’un bon sens de l’observation mais aussi d’une grande attention afin de respecter le travail de l’artiste », précise René Tazé. La plaque est encrée ou mise en couleurs sur ses parties « mordues », essuyée au chiffon puis à la main, avant d’être glissée sous une feuille de papier et passée sous presse, permettant ainsi aux couleurs de s’insinuer uniquement dans les creux. « En général, nous utilisons trois plaques, parfois quatre, et ce pour une cinquantaine de couleurs », commente Pierre Lallier.

« Les procédés se perdent »
Entré comme apprenti en 1970 dans l’atelier Leblanc et passé ensuite chez Crommelynck, où l’on achevait, après la mort de l’artiste, la série des 365 gravures de Picasso éditées pour la galerie Louise Leiris, René Tazé a ouvert son propre atelier en 1978. Aujourd’hui, il produit des tirages pour Zao Wou-ki ou Barceló, qui apprécient le procédé « pour sa finesse et son côté soyeux », même si la technique ne connaît plus le succès d’antan. « La taille-douce est une technique très souple qui permet à n’importe quel artiste de graver sur le cuivre et de créer un chef d’œuvre, même avec un clou s’il a du talent, renchérit Pierre Lallier. Mais si beaucoup de jeunes artistes la pratiquent, le marché reste désespérément plat car la gravure est passée de mode. Quand on tirait cent exemplaires, il y a quelques années, maintenant, nous n’en tirons plus que dix ». Si René Tazé a choisi de devenir maître d’art, c’est aussi parce qu’il constate un appauvrissement de la maîtrise technique. « Ce secteur a été sabré par les beaux-arts où il n’est plus enseigné correctement. En tant que membre du jury du prix de gravure Lacourière [un prix biennal réservé aux graveurs en taille-douce], je peux constater à quel point les procédés se perdent. Sur près de 70 dossiers, seule une quinzaine relève d’une maîtrise correcte de la technique, déplore l’artisan. Je veux donc agir en transmettant mon savoir-faire, avant qu’il ne soit trop tard ».

Formations

- Centre de formation et d’apprentissage (CFA), Chambre de commerce et d’industrie de Saumur, Espace formation du Saumurois, square Balzac, 49412 Saumur Cedex, tél. 02 41 83 53 53. CAP métiers de la gravure option gravure d’impression, durée 3 ans. - École supérieure Estienne des arts et industries graphiques (ESAIG), 18 bd Blanqui, 75013 Paris, tél. 01 55 43 47 47, www.ecole-estienne.org : DMA arts graphiques gravure, durée : 2 ans.

Les techniques de la gravure en taille-douce

Le burin consiste à creuser des sillons plus ou moins profonds dans la plaque avec une tige d’acier, en ôtant du métal. Cette technique procure une grande netteté du trait à l’impression. .La pointe-sèche, à l’inverse, consiste à griffer la plaque au repoussé, sans ôter la matière (contrairement au burin) et en laissant des « barbes ». Ces dernières créent un effet estompé. .La technique à l’eau-forte requiert l’utilisation d’un acide, qui permet de « mordre » - c’est à dire de creuser - la plaque, préalablement vernie, dans les parties qui ont été rayées à la pointe d’acier. Les bains peuvent être répétés pour obtenir le style recherché. .L’aquatinte consiste à utiliser une plaque déjà traitée à l’eau-forte en la chauffant, puis en la protégeant de poudre de résine, avant de la replonger dans un nouveau bain d’acide. Cette opération adoucit le rendu de l’eau-forte et produit des effets de lavis. .La « manière-noire » produit des variations de gris et de noirs. Introduite au XVIIe siècle, elle consiste à ériger de très fines pointes de cuivre sur la plaque, qui sont ensuite plus ou moins écrasées pour l’obtention des nuances.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°248 du 1 décembre 2006, avec le titre suivant : Taille-doucier

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