Pastel exotique

La jurisprudence Poussin confirmée

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 13 février 1998 - 648 mots

Que peut espérer une société de droit panaméen, dont le siège est domicilié 53 Road Street, Urbanizacion Obarrio Torre Boncosur, 16th Floor, à Panama, de la Cour de cassation siégeant à Paris ? Tout, dès lors qu’elle introduit un pourvoi dans une affaire portant sur la vente à Paris d’un pastel de Marie Cassatt.

PARIS. Il faut dire que la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, statuant le 13 janvier, n’a eu qu’à se reporter quinze ans en arrière dans l’affaire du vrai/faux Poussin qui a donné sa physionomie actuelle à la jurisprudence française en matière d’authenticité. À l’époque, après avis divers, expertise et contre-expertise, on ne savait plus si l’œuvre était ou non authentique. Des juges d’appel avaient excipé de cette incertitude pour rejeter la demande d’annulation de la vente. La Cour avait censuré leur décision en estimant que le doute n’interdisait pas d’invoquer la nullité pour erreur, dès lors que l’une des parties avait contracté dans une conviction erronée (dans le cas du Poussin, les vendeurs avaient été convaincus par l’expert et le commissaire-priseur que le tableau ne pouvait être du maître).

Absence de preuve
Telle était la situation de nos acquéreurs exotiques. Ayant acheté en 1989 un pastel de Marie Cassatt, ils avaient appris du Comité Mary Cassatt, fondé un an plus tard, qu’il existait un doute sur l’authenticité. L’expert nommé par le tribunal avait conclu que “l’authenticité de l’œuvre ne pouvait être établie de manière formelle“. La Cour d’appel de Paris en avait déduit le 17 octobre 1995 que l’acheteur ne rapportait pas la preuve du défaut d’authenticité. Sur pourvoi, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel en relevant que “en statuant ainsi, sans rechercher si la certitude de l’authenticité de l’œuvre ne constituait pas une qualité substantielle et si (l’acquéreur) n’avait pas contracté dans la conviction erronée de cette authenticité, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision”.

Acceptation par la Cour de l’action pour erreur
C’est en fait, en miroir, la même situation que celle de l’affaire Poussin, à quelques nuances que l’on peut tenter d’interpréter. Tout d’abord, le recours émanait de l’acheteur et non du vendeur. Mais comme, normalement, le vendeur est mieux à même de connaître l’œuvre qu’il propose que l’adjudicataire, la décision de la Cour acceptant le pourvoi de ce dernier s’inscrit dans la logique de sa jurisprudence sur l’erreur. Moins évidente est l’acceptation par la Cour de l’action pour erreur alors qu’il semble que, dans cette affaire, l’état de la connaissance au moment de la vente semblait permettre d’affirmer l’authenticité de l’œuvre. Certes, dans l’affaire Poussin, la Cour de cassation avait estimé que les plaideurs pouvaient faire état d’informations postérieures à la vente, mais tout en réaffirmant que l’erreur devait s’apprécier à la date de la vente ; l’action en nullité trouvait donc sa limite dans l’état de l’histoire de l’art au moment de la transaction. Il n’est cependant, et heureusement, pas évident que la Cour ait voulu modifier cette position de principe. Les attendus de la Cour d’appel de Paris étaient peut-être inutilement compliqués puisqu’elle aurait pu s’en tenir à la constatation, reprise du rapport de l’expert, selon laquelle “le catalogue raisonné (...) auquel se référait le catalogue de vente de l’œuvre litigieuse, faisait autorité sur l’œuvre de l’artiste... à la date de la vente“, pour rejeter la demande d’annulation. Mais en complétant leur argumentation par des considérations sur l’incertitude d’authenticité, les juges d’appel se sont exposés à la cassation.
Par contre, il n’est pas à exclure que la 1ère chambre civile, dans une affaire où étaient mis en cause un commissaire-priseur et un expert réputé, ait au moins voulu réaffirmer que l’affirmation de l’authenticité était un acte rigoureux qui nécessitait plus que la seule référence à un catalogue raisonné ou, d’une autre manière, que l’acheteur d’une œuvre décrite comme authentique par un commissaire-priseur et un expert a un “droit de certitude“.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°54 du 13 février 1998, avec le titre suivant : Pastel exotique

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