Opinion

Le statut d’enseignant-chercheur en école d’architecture

Le Journal des Arts

Le 29 septembre 2015 - 844 mots

Afin de répondre aux impératifs d’adaptation des savoirs des architectes,
un nouveau statut d’enseignant-chercheur est à l’étude.

Le 30 juin 2015, Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la communication, annonçait des mesures en faveur des jeunes créateurs. Parmi elles, « la création d’un statut d’enseignant-chercheur pour les enseignants des écoles supérieures d’architecture » et la perspective d’engager « la même reconnaissance des fonctions de recherche pour les enseignants des écoles d’art ». Pourquoi ce chantier alors que la recherche architecturale, urbaine et paysagère se développe depuis quelque 40 ans dans les écoles d’architecture ?

Disons d’emblée que le monde a changé. Partout l’architecture s’affirme autant comme un champ de pratiques professionnelles que de production de savoirs. L’architecte doit reconsidérer nos façons de consommer, habiter, travailler, se déplacer. Il doit « penser durable », être économe, soucieux de la cohésion sociale, intégrer les nouveaux modes de transports, maîtriser les outils numériques de conceptualisation… Pour survivre, l’architecte doit être doué d’une exceptionnelle capacité d’adaptation. Comment l’y préparer ?

Former les professionnels de demain
« Former à la recherche, c’est former des gens qui répondront à des questions que l’on ne connaît pas encore (1). » Foyers reconnus pour la densité de leurs activités pédagogiques et scientifiques, les vingt écoles nationales supérieures d’architecture doivent aujourd’hui parachever la réforme licence-master-doctorat (LMD) mise en place en 2005 avec la création du doctorat en architecture et prendre leur place au sein des nouveaux regroupements territoriaux (2). Les unités de recherche (37) portées par les écoles développent des travaux de qualité et accueillent environ 400 doctorants dont les recherches, marquées par une forte interdisciplinarité, touchent l’histoire, la géographie, l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, la biologie, l’ingénierie, le génie civil, la science des matériaux, la physique, les mathématiques, l’informatique, les arts… Si ces activités scientifiques sont largement saluées par les experts, l’AERES (3) a souligné néanmoins à maintes reprises la nécessité de renforcer la part de l’initiation à la recherche dans les formations de niveau master et prôné la montée en puissance du doctorat en architecture. L’une comme l’autre supposent un rôle accru des chercheurs, docteurs et HDR (4), au sein des établissements. Il est donc essentiel de les attirer et de les fidéliser, de former et élargir la relève.

La recherche suppose temps et durée. Or, Vincent Feltesse (5) dans son rapport d’avril 2013, puis la mission conjointe IGAC-IGAENR (6) en novembre 2014 ont souligné les freins du statut actuel, datant de 1994, des enseignants des écoles d’architecture. En dépit de quelques aménagements ponctuels, il ne permet pas aux enseignants de s’engager suffisamment dans la recherche en raison du volume de leurs obligations d’enseignement (320 heures versus 192 heures à l’université), ni d’obtenir une HDR leur permettant d’encadrer un plus grand nombre de thèses. La prochaine étape, en outre, se profile : celle de l’obtention, par les écoles nationales supérieures d’architecture, de la « coaccréditation » à délivrer le doctorat en architecture. Plusieurs écoles, en qualité d’établissements associés – ce qui limite leurs prérogatives au sein des écoles doctorales – délivrent le diplôme de doctorat en architecture conjointement avec l’établissement porteur de l’école doctorale dont elles sont partenaires. Mais la « coaccréditation », attestant d’une haute capacité de recherche, véritable marqueur d’une insertion réussie dans l’enseignement supérieur, est désormais la condition d’une pleine participation des écoles d’architecture aux COMUE (communautés d’universités et d’établissements). Avec un statut d’enseignant-chercheur, aux modalités que l’on espère souples, les écoles d’architecture jouent leur avenir et leur rayonnement international. Tout en réaffirmant la place prééminente du « projet » et des architectes praticiens en leur sein, en permettant aux enseignements d’être constamment régénérés par la recherche, en soutenant les mutations des métiers, les écoles ouvriront les voies du futur. La décision de la ministre pourrait constituer un tournant décisif.

Geneviève Gallot
 
Notes

(1) Philippe Panerai, « Quelle recherche doctorale ? », in Architecture et construction des savoirs, p. 125, MCC, Éditions Recherches, 2008.
(2) COMUE : Communautés d’universités et d’établissements succédant aux PRES.
(3)Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, remplacée en 2013 par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.
(4) Habilité ou habilitation à diriger des recherches.
(5) Vincent Feltesse, président de la concertation nationale sur l’enseignement et la recherche en architecture.
(6) Une nouvelle ambition pour la recherche, rapporteurs IGAC : Geneviève Gallot et Jean-François de Canchy ; rapporteurs IGAENR : Isabelle Roussel et Jean-Michel Quenet.

Geneviève Gallot, qui contribue à la rubrique Campus, a été coauteure d’un rapport sur la recherche dans les écoles d’architecture dans le cadre d’une mission conjointe Inspection générale des affaires culturelles (IGAC)-Inspection générale de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR). Nous publions ici son analyse de la situation alors que le Parlement procède actuellement à l’examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dans lequel diverses dispositions concernant la recherche dans les écoles d’art sont prévues, notamment la reconnaissance dans le statut des enseignants des écoles territoriales d’art de pouvoir se voir confier des missions de recherche selon des modalités fixées par décret.

Légende photo

Felice Varini, Arcs et cercle imbriqués, 2013, peinture acrylique sur feuille d'aluminium autocollante, 2013, vue de l'intervention sur la façade de La Maréchalerie, centre d'art contemporain de l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Versailles. © Felice Varini. Photo : André Morin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°442 du 2 octobre 2015, avec le titre suivant : Le statut d’enseignant-chercheur en école d’architecture

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