Django Reinhardt ne se séparait jamais de sa guitare Selmer. Retour sur le lien indéfectible entre un musicien et son instrument.
C’est une guitare pas comme les autres. Avec sa toute petite bouche, ses hanches rondes et son épaule découpée, elle s’expose aux regards, un peu gênée d’être là, dans la lumière. Pourtant, elle en a vu. Elle a été vue aussi, scrutée, quand elle était au cœur de ce mystère qu’on appelle le génie. Mais, toujours, elle se sentait protégée entre les mains de celui qui savait caresser ses cordes comme nul autre. Elle s’était faite à sa difformité, à cette main gauche qui n’avait plus que la moitié de ses doigts valides. Il l’a tellement étreinte qu’elle en a gardé la trace sur sa peau, son vernis s’est écaillé, elle est presque à nu. Cette guitare, c’est celle que Naguine, la veuve de Django Reinhardt, a offerte au Musée de la musique, à Paris, en 1962, presque dix ans après la mort subite de son mari. Son homme. C’était en 1953, Django rentrait de Paris pour retrouver son havre de paix, dans le petit village de Samois-sur-Seine (Seine-et-Marne). Il rêvait sans doute à sa peinture qu’il préférait, à ce moment-là, à la musique. Il disait qu’il peignait en Fa dièse mineur et en toute naïveté. Mais, sous le soleil de ce mois de mai, le cœur a lâché, ou autre chose dans ce corps prématurément fatigué. Naguine s’est retrouvée veuve, la communauté manouche orpheline, et le monde du jazz tout entier a pleuré la mort de Django, the « amazing gipsy », comme l’avait surnommé Duke Ellington, pas rancunier après que le guitariste préférant jouer au billard avec Marcel Cerdan lui avait posé un lapin au Carnegie Hall. Sur cette photo en couleurs pour Paris Match, Django est tiré à quatre épingles, comme toujours : moustache finement taillée, cheveux gominés, foulard noué avec soin. Dans sa veste en tweed, il tient sa guitare amoureusement, il semble la regarder dans les yeux. Elle n’est pas peu fière, la Selmer. Elle a même accepté qu’il lui fixe un micro, même si ça lui faisait des trous dans la peau. Django aime tant le son qui sort d’elle quand il l’électrise… Maintenant, la guitare solitaire est dans une vitrine, à chacun d’y apposer ses propres fantasmes. C’est émouvant et un peu triste. Mais ce qui ne l’est pas, c’est que la Maison Selmer, pour ses 140 ans cette année, travaille à la faire revivre, avec les mêmes sensations sous les doigts.
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La guitare à Django
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°788 du 1 septembre 2025, avec le titre suivant : La guitare à Django






