Profession

Illustrateur scientifique

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 13 avril 2010 - 662 mots

Au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, les fossiles reprennent vie
grâce au crayon d’une jeune dessinatrice.

L’exposition « Dans l’ombre des dinosaures », ouverte depuis le 14 avril au Muséum national d’histoire naturelle de Paris (lire p. 9), est l’occasion de découvrir l’un des pans de sa prolifique production. Au sein de cette ambitieuse exposition destinée à présenter le monde tel qu’il était il y a 85 millions d’années, Charlène Letenneur, illustratrice scientifique attachée au laboratoire de paléontologie et d’anatomie comparée du muséum, a dessiné une vingtaine d’images de cette faune disparue, connue aujourd’hui uniquement par des vestiges fossiles.

Car, derrière ces dessins qui permettent au grand public de visualiser l’aspect des dinosaures ou autres mammifères disparus, il y a bien le crayon d’une professionnelle, capable de retranscrire par l’image des vérités scientifiques. « Je suis un outil de communication pour les chercheurs », précise d’emblée Charlène Letenneur. Pour cette jeune femme, titulaire d’un bac en arts appliqués, d’un BTS en communication visuelle et d’une spécialisation en dessin scientifique et médical à l’école Estienne de Paris – l’une des rares spécialisations existantes en France –, le quotidien consiste d’abord à répondre aux demandes très spécifiques des paléontologues du muséum, qui souhaitent s’appuyer sur des dessins pour illustrer leurs travaux et articles scientifiques.

Dans ce cas, il n’est alors nullement question de restitution, mais plutôt de retranscription très précise des fossiles. « Les chercheurs ont besoin de ces images, notamment pour établir des typologies, et le dessin améliore la lisibilité des photographies », souligne Charlène Letenneur.
Mais avant de saisir le crayon, un long travail de documentation s’impose. « C’est la partie la plus longue. N’étant pas moi-même paléontologue, il me faut aller chercher l’information pour comprendre ce que je dois montrer. » Après maintes discussions avec les chercheurs, consultations d’ouvrages et relevés dans la galerie d’anatomie comparée du muséum – « une formidable bibliothèque ! » –, l’illustratrice parvient à concevoir un dessin qui servira de support aux publications scientifiques.

Les fossiles sont ainsi souvent mesurés au millimètre près, avant d’être mis en volume, au prix d’un long travail de dessin, quasiment toujours exécuté au crayon, « médium le plus sécurisant ». « Au départ, j’aime utiliser des valeurs très claires puis monter le volume avec des crayons plus gras », explique Charlène Letenneur. Les dessins sont ensuite amendés puis validés par les chercheurs. L’outil informatique intervient enfin pour retoucher ou « nettoyer » l’image finale.

Rendre les squelettes parlants pour le visiteur
Parfois, l’intervention de l’illustratrice va au-delà de ce travail de relevé, puisqu’il s’agit de restituer l’aspect hypothétique d’espèces éteintes afin de rendre parlants les squelettes pour le grand public. « En paléontologie, il n’existe que des fossiles. Les parties molles n’existent pas. Il faut donc les imaginer. » Reconstituer par le dessin un smilodon (tigre à dents de sabre) en train de chasser relève donc d’une gageure. Les os sont d’abord repositionnés par les chercheurs afin d’être photographiés puis modélisés grâce à un logiciel informatique. Un long travail consiste alors à apposer un écorché sur le squelette à partir des indications scientifiques, puis à ajouter la graisse et la peau.

La posture de l’animal est elle aussi déterminée grâce aux remarques des chercheurs. « Le smilodon ne devait probablement pas utiliser ses dents pour tuer l’animal, car celles-ci semblent trop fragiles », commente Charlène Letenneur. Les couleurs, qui participent à rendre l’animal plus vivant, sont en revanche totalement hypothétiques. « Les tout premiers pigments animaux viennent seulement d’être découverts par les chercheurs sur un oiseau ! », souligne la dessinatrice, qui a pleinement conscience d’exercer un métier rare au sein des institutions publiques. Et d’insister : « Je n’ai pas les moyens de concevoir seule ces images, c’est un travail de collaboration ». Non dénué d’un indéniable et indispensable talent de dessinateur.

DANS L’OMBRE DES DINOSAURES, jusqu’au 14 février 2011, Muséum national d’histoire naturelle, Grande galerie de l’évolution, 36, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, 75005 Paris, www.mnhn.fr, tlj sauf le mardi 10h-18

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°323 du 16 avril 2010, avec le titre suivant : Illustrateur scientifique

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