Profession

Gaufreur, imprimeur et façonneur de velours

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2006 - 1035 mots

La nouvelle promotion des maîtres d’art 2006 est l’occasion de découvrir le savoir-faire unique d’un artisan « ennoblisseur textile ».

Parmi les sept maîtres d’art nommés cette année par le ministère de la Culture et de la Communication (lire l’encadré), Yves Benoît fait à la fois figure de pionnier et d’archéologue. Pionnier, car il est le seul à pouvoir recréer les velours façonnés des garnitures de mobilier des XVIIIe et XIXe siècles. Archéologue, puisque, pour y parvenir, il lui aura fallu retrouver, à partir de simples échantillons, des tours de main disparus sans laisser de traces écrites, et réunir un fonds de gravures unique au monde. Près de dix années auront ainsi été nécessaires pour mettre au point ce procédé spécifique, qui consiste à transformer des velours unis et écrus en velours colorés et décorés de motifs, en relief ou non, par le biais de plusieurs techniques mises en œuvre après le tissage.
Né dans le velours comme d’autres naissent dans la pourpre – il est le cinquième représentant d’une famille picarde de teinturiers de velours –, Yves Benoît n’était pourtant pas destiné à devenir le sauveur de ces savoir-faire anciens. Ingénieur textile spécialisé en chimie tinctoriale, il se forme en autodidacte aux teintures à base de pigments naturels, notamment l’indigo, issu de la culture de la waide, longtemps produite dans la vallée de la Somme. Et c’est « le hasard » ainsi que cet intérêt pour l’histoire industrielle locale qui le confrontent à l’existence des méthodes de gaufrage, de sculpture et d’impression en relief des velours, évanouis avec la fermeture des derniers ateliers amiénois.

Achat de 360 cylindres gravés
Au XVIIIe siècle, la capitale picarde était un centre de production de velours de premier plan. En 1756, Alexandre Bonvallet y met au point une méthode, unique au monde, pour l’impression en relief sur velours qui fit le succès des Manufactures royales d’Amiens. Mais la fermeture progressive des ateliers picards va provoquer la dispersion de l’outillage et de leurs précieuses archives et, à terme, le déclin inéluctable du façonnage de velours. « Nous avons racheté des dessins de la collection des Manufactures royales, ainsi que de nombreuses gravures sur cuivre provenant d’ateliers amiénois, explique Yves Benoît. En tant que spécialistes du velours d’ameublement, c’était à nous de tenter de redécouvrir ces procédés. » Au total, près de 130 planches et 360 cylindres gravés ont été collectés par l’atelier Toscan, créé en 1999 pour permettre la réédition de ces textiles de luxe. « Depuis deux cents ans, c’était la première fois que ce patrimoine était réuni dans un seul atelier », témoigne l’artisan, conscient de détenir entre ses mains une part de l’histoire de la création textile. Encore fallait-il pouvoir exploiter ce fonds exceptionnel. Pour cela, il aura fallu étudier les particularités de chaque plaque et de chaque cylindre, redécouvrir les formules d’impression et mettre au point des presses spécifiques permettant leur utilisation. Après de multiples expérimentations, Yves Benoît et son fils Germain sont progressivement parvenus à leurs fins. Six années de recherche ont ainsi été requises pour produire à nouveau, avec la perfection du rendu du XVIIIe siècle, des velours imprimés en relief en trois dimensions, selon la technique de Bonvallet, disparue il y a vingt-cinq ans. Les velours patinés à la main ont pour leur part été recréés à partir des archives des velours d’Utrecht, alors que les velours sculptés sont réalisés grâce à une double teinture fortement contrastée effectuée sur un même velours – entre le poil et le dossier –, un gaufrage à chaud puis des ciselages successifs faisant réapparaître l’opposition de couleurs.
Restait à trouver une clientèle, qui ne fut pas difficile à convaincre de la qualité des productions de l’atelier Toscan, offrant enfin une solution pour la restauration des garnitures anciennes de mobilier. « Sans ces recouvrements en relief, de nombreux sièges anciens n’auraient aucune d’allure », commente l’artisan, qui travaille désormais pour des professionnels et des particuliers exigeants quant à l’authenticité des restaurations. L’atelier compte notamment à son actif des interventions pour le Mobilier national – un velours de soie pour un salon Jacob meublant le palais Farnèse, à Rome – ou pour la salle du trône de la Couronne des Pays-Bas.

« Velours clinquants »
Résolument tourné vers la recherche, Yves Benoît n’entend toutefois pas limiter son activité à ses acquis et explore d’autres voies, parmi lesquelles celles de la création. Plusieurs collaborations avec des décorateurs lui ont permis de produire des velours contemporains utilisant le répertoire de motifs issus du fonds d’archives de l’atelier, mais jouant la carte de l’originalité par les associations de couleurs et l’utilisation de matériaux textiles autres que le velours, naturels ou synthétiques. « Notre savoir-faire très spécialisé nous permet de détourner les techniques et les supports de leur usage initial pour créer des produits de luxe », explique Yves Benoît. Depuis deux ans, des impressions en relief sur drap de laine, cashmere ou toile tailleur sont ainsi produites pour des créateurs de vêtements, alors que d’autres applications sont à l’étude pour la fabrication d’accessoires de mode ou de papeterie haut de gamme. La petite équipe – quatre personnes au total – s’attelle donc à teinter, gaufrer, frapper, échantillonner, apprêter, ciseler, imprimer, presser et brosser les velours et autres textiles destinés à ces commanditaires prestigieux. Aucune formation spécifique n’existant, les deux employés ont acquis leur savoir-faire au contact d’Yves Benoît, alors que l’allocation de formation du programme des maîtres d’art permettra de transmettre ce patrimoine à son fils, déjà actif dans l’atelier. Le dernier « ennoblisseur textile » de France – selon la terminologie de la liste officielle des métiers d’art – pourra ainsi se concentrer sur la prospective. « En ce moment, je travaille sur les velours de siège Art déco. Il s’agit de velours de mohair imprimés à la planche de bois, appelés “velours clinquants” à cause de la vivacité de leurs coloris. Or rien n’existe à ce jour pour les restaurer et ils sont souvent remplacés par des satins. » Nul doute qu’une fois mis au point ce procédé rencontrera à son tour un vif succès auprès des nombreux amateurs d’ensembles Art déco.

Formation

Il n’existe aucune formation spécifique au gaufrage, à l’impression en relief et au façonnage d’art des velours.

La promotion des maîtres d’art 2006

Les maîtres d’art sont des artisans indépendants, maîtrisant des techniques ancestrales et des savoir-faire exceptionnels, tournés vers l’innovation et la recherche. Ils s’engagent à transmettre leur savoir-faire à un élève de leur choix, pendant une durée de trois années, contre une allocation annuelle versée par l’État, d’un montant de 16 000 euros, imputable sur leur chiffre d’affaires – et donc soumise à impôt. Sept maîtres d’art seront promus officiellement le 27 novembre, ce qui porte à 70 leur nombre depuis 1994, date de la création de ce titre par le ministère de la Culture et de la Communication : - Yves Benoît, gaufreur, imprimeur et façonneur de velours ; - Christopher Clarke, facteur d’instruments anciens à clavier ; - Bernard Dejonghe, sculpteur sur verre et céramique ; pGérard Desquand, graveur, héraldiste ; - Isabelle Emmerique, laqueur, créatrice d’objets en laque ; pPietro Seminelli, créateur textiles, art du pli ; - René Tazé, graveur en taille-douce. Pour la première fois, quatre chefs d’ateliers salariés de l’industrie du luxe seront par ailleurs nommés maîtres d’art, à titre honorifique : - Jean-Marie Delhoume, maroquinier, Louis Vuitton ; - Martine Houdet, modéliste flou haute couture, Chanel ; - Arnaud Philippe, maroquinier, Hermès Sellier ; - Serge Vanesson, tailleur, graveur sur cristaux, Baccarat. Dévoyant le principe du titre de maître d’art, cette nomination correspond à une volonté de valoriser les savoir-faire issus de l’industrie du luxe. Les quatre chefs d’atelier ne s’engagent dans aucun projet pédagogique et ne percevront pas d’allocation.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : Gaufreur, imprimeur et façonneur de velours

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