Profession

Expert

Les professionnels de l’expertise voient leur avenir en noir. En cause, une responsabilité « glissante » qui pèse comme une épée de Damoclès

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2009 - 776 mots

La profession d’expert indépendant en œuvres d’art a-t-elle encore un avenir en France ? La question est crûment posée, mais un certain nombre de professionnels s’interrogent aujourd’hui sérieusement sur l’exercice de leur métier.

L’expert joue pourtant un rôle clé dans la chaîne du marché de l’art. C’est lui qui détermine la nature, l’origine et l’époque d’un objet, en repère les altérations et éventuelles restaurations, et en détermine une valeur d’estimation. Avec une spécificité dans le cas français : les conservateurs de musées n’ayant pas le droit de s’adonner à la pratique de l’expertise privée – sauf dans un cadre judiciaire précis – et les commissaires-priseurs n’en ayant guère le temps, l’expertise est exercée par des professionnels. La plupart sont indépendants, à l’exception de quelques salariés des maisons anglo-saxonnes implantées en France, mais ils exercent une profession non réglementée. Seuls les syndicats professionnels s’évertuent à garantir la probité et la moralité de leurs membres. Les trois principaux d’entre eux, réunis dans la Confédération européenne des experts d’art (Cedea), ont ainsi rédigé un code de déontologie. Par voie de conséquence, les autres syndicats, une vingtaine au total, ne l’appliquent pas…

Dans les faits, n’importe qui peut se proclamer expert, au risque d’une confusion réelle pour les clients. Pas évident, en effet, de séparer le bon grain de l’ivraie parmi les quelque 12 000 experts exerçant dans quelque 70 spécialités, la réputation n’étant pas toujours une garantie suffisante. Et quelques affaires récentes et retentissantes ont contribué à jeter le trouble sur la profession. Lors de la réforme des ventes aux enchères publiques, la création d’un agrément a été proposée. Mais ses limites se sont vite révélées et de nombreux experts réputés ont préféré y renoncer face aux velléités du Conseil des ventes volontaires (CVV) d’exercer un pouvoir disciplinaire. Malgré ce vide réglementaire, les clients sont toutefois garantis par la responsabilité des experts, qui est engagée dès lors qu’un certificat écrit, soumis à des règles strictes, est émis. Et l’épaisseur de la jurisprudence est révélatrice du fait que les clients n’hésitent pas à se retourner vers les tribunaux. C’est justement cette question de leur responsabilité qui est aujourd’hui au cœur de l’inquiétude des professionnels. Car, depuis la réforme des ventes publiques, fixée par la loi du 10 juillet 2000, puis la réforme du délai de prescription de juin 2008, un système à double vitesse a été instauré. Un même expert pour un même objet peut voir sa responsabilité engagée pour cinq ans ou pour une durée beaucoup plus longue. Dans le cas d’une expertise menée lors d’une vente publique, la responsabilité du professionnel, au même titre que celle du commissaire-priseur, est engagée pour cinq années. Mais en dehors de ce cadre, c’est-à-dire lors d’une vente de gré à gré, d’un partage ou d’une succession, elle tombe dans le régime du droit commun. La loi de 2008 fixe néanmoins une limite de vingt années, mais sans précision complémentaire sur le point de départ du délai de responsabilité, signifiant en filigrane que la prescription pourrait courir à partir de la date de la découverte du sinistre. En d’autres termes, si une erreur d’attribution est avérée quinze ans après la vente, la responsabilité pourrait encore courir vingt ans après la date de cette découverte… Une véritable épée de Damoclès susceptible de réfréner les ardeurs des impétrants experts. D’autant que, dans la plupart des autres pays européens, la responsabilité de ceux-ci est très limitée.

Valse des attributions
L’expertise ne tient pas en effet de la science exacte, et encore moins dans le domaine des œuvres d’art où la valse des attributions est une tradition. De même, si la jurisprudence a souvent tranché en faveur d’une obligation de moyens des experts, c’est-à-dire avoir mis tous les moyens nécessaires à la bonne conduite de l’expertise, certaines décisions de justice ont tranché en faveur d’une obligation de résultats… Ce qui laisse peu de place pour se défendre. Inquiets face à ce qu’ils considèrent comme une réelle injustice, les experts ont donc décidé de se mobiliser. Grâce à l’association Art et droit, un amendement proposant de créer un délai de responsabilité unique de cinq ans, à compter de la date de l’expertise ou du certificat, a été rédigé. Il n’attend plus qu’un parlementaire motivé pour le porter devant l’une des assemblées. Sa discussion pourrait être l’occasion d’un échange de fond sur le statut de cette profession atypique.

Formation
Il n’existe pas de formation spécifique et, en théorie, n’importe qui peut se déclarer expert en œuvres d’art. Encore faudra-t-il convaincre une clientèle ! Un solide bagage en histoire de l’art et une expérience au contact des œuvres s’avèrent également indispensables.
Plusieurs syndicats professionnels proposent toutefois des stages de formation continue.

Légende Photo

M. de Bayser examinant un dessin anonyme, galerie de Bayser, Paris - &copy Droits réservés

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°311 du 16 octobre 2009, avec le titre suivant : Expert

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