Hommage

Voix hainspirées

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 18 novembre 2005 - 829 mots

Raymond Hains est décédé à Paris le 28 octobre à l’âge de 78 ans. Évocations d’un artiste « immense ».

 PARIS - La disparition de Raymond Hains le 28 octobre à l’âge de 78 ans, signant la perte d’un personnage rare et attachant, laisse un sentiment de tristesse. Mais demeure la conviction qu’il reste beaucoup à découvrir, que le chantier qu’est son œuvre est encore en devenir. C’est que Hains a construit une œuvre sans précédent, imprédictible, animée par une verve d’exception, une œuvre où se croisent l’image et le verbe pour former un édifice de mises en relation et de circulation d’idées entre littérature, histoire, moments de vie, rencontres et signes. Les méandres de sa parole dessinent les contours d’une œuvre cultivée et joueuse, entre coïncidence et référence, une œuvre aux images denses et aux dispositifs à la fois précis et ouverts, commencée en 1945.

« Apparents coq-à-l’âne »
Liliane Vincy, l’une de ses galeristes (galerie Lara Vincy, à Paris), ne cache pas son estime pour le personnage, bien au-delà des paradoxes de l’artiste vis-à-vis du marché (son retrait, sa défiance) ou de l’exposition elle-même. « La première exposition de Raymond à la galerie date de 1976, et nous n’avons depuis cessé d’entretenir des relations quasi familiales. Il venait de commencer à travailler avec la photo. Mais faire des expositions n’était pas son affaire, craignant de voir les choses s’y figer : je me souviens d’avoir passé ce premier vernissage à faire l’accrochage, après l’avoir attendu en vain, alors qu’il était à deux pas, à son hôtel, sans doute dans son lit, à lire. Au fond, Raymond n’a jamais quitté un rapport d’enfant au monde, capable de caprices, d’ingratitude voire de méchanceté, mais plus que tout généreux, attentif, avec une forme de naïveté, et fascinant dans son rapport au monde, au verbe. L’écouter, c’était rentrer dans la toile d’araignée infinie qu’il tissait sans cesse autour de vous de connaissances, de références, d’apparents coq-à-l’âne, de jeux de mots, de malice révélant le dessous des évidences et des noms. » Patrick Alton, qui a souvent accompagné Raymond Hains depuis 1972, dans sa vie quotidienne mais surtout dans la production technique de beaucoup de ses œuvres, confirme cette attitude paradoxale. « Ses expositions, Raymond en laissait volontiers la préparation aux commissaires, à leur risque et péril car son exigence n’en était pas moins féroce. Ainsi se ménageait-il jusqu’au dernier moment une porte ouverte contre le définitif, prêt qu’il était à glisser un complément du discours, un constat “téléobjectif”, préférant contre l’aspect figé des choses garder sa machine poétique en mouvement. J’ai souvent choisi pour lui ses supports, ses formats, même ses images. C’est aussi cette manière de travailler qui permet que beaucoup de projets restent aujourd’hui à réaliser, à concrétiser. Il laisse tant de notes, de fiches, de fichiers photos, d’enregistrements. Il disait souvent : « Tout est là ! », incitant à continuer le travail entrepris. »

« Mythologie appliquée »
Pour l’historien de l’art Marc Dachy, Hains est un « immense ». Chez lui, le « miroitement du sens, pas facile à rendre aux regardeurs habitués à des expositions et à des catalogues bien conventionnels et, en somme, insupportables, constitue un grand défi qui fascine les connaisseurs, et d’abord les artistes eux-mêmes. […] Car il avait cette grâce de poser un acte comme si de rien n’était, et qui chaque fois contenait tout ». L’artiste Marc Couturier parle à son tour de « cette oralité de barde breton » et relève que le cliché de nécrologie de comptoir « c’est une bibliothèque qui disparaît ! » est à prendre au pied de la lettre avec Hains. Catherine Elkar dirige le FRAC (Fonds régional d’art contemporain) Bretagne, qui réunit plus de cinquante pièces de l’artiste. Elle a conduit avec Raymond Hains un projet d’exposition montré à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) au cours de l’hiver 2003-2004. « Travailler à Saint-Brieuc, où Hains est né, c’était une occasion de travailler sur ses souvenirs d’enfance, entre réminiscence de cours d’école et référence à ses attachements littéraires et historiques, à des figures, des symboles et des lieux bretons : Chateaubriand, Louis Guilloux, Jacques Cartier, Saint-Malo… Le travail était éprouvant et passionnant, car tout, tout le temps, pouvait prendre sens pour lui, donnant de l’intensité aux choses autour de lui – les rencontres, les situations, les images, les figures. »
De calembour en étymologie, de correspondances en notes dans les marges, « Raymond l’abstrait » aura inventé, comme le note Jacques de La Villeglé (La Traversée urbi & orbi, Transédition, 2005), une discipline indisciplinée, sa « mythologie appliquée », qui court toujours.

À lire :
Les Trois Cartier, catalogue, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris, 1994 ;
Langue de cheval et facteur temps, entretien Raymond Hains/Marc Dachy, coéd. Le Collège, FRAC Champagne-Ardenne/Actes Sud, Arles, 1998 ;
R. H., J’ai la mémoire qui planche, catalogue, Centre Pompidou, Paris, 2001 ;
R. H., Uns romans, Philippe Forest, Gallimard, 2004 ;
R. H., La Boîte à fiches, FRAC Bretagne, Châteaugiron, 2005.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°225 du 18 novembre 2005, avec le titre suivant : Voix hainspirées

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