Lituanie

A Vilnius, le forum des bonnes intentions

États, marchands et maisons de vente se penchent sur la restitution des biens pillés aux victimes de l’Holocauste

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2000 - 818 mots

Le Forum sur la restitution des œuvres d’art volées aux victimes de l’Holocauste a réuni à Vilnius, capitale de la Lituanie, des représentants des États, des maisons de vente et des marchands d’art. Un consensus s’est largement dégagé sur la nécessité d’actions visant à la recherche des spoliations. La question des biens aujourd’hui sans ayants droit a également été abordée. La représentation israélienne a suggéré de considérer le peuple juif comme héritier de ces œuvres.

VILNIUS - Le choix de Vilnius pour succéder du 3 au 5 octobre à la conférence de Washington tenue il y a deux ans est symbolique. Avant la guerre, la population juive de la ville s’élevait à 90 000 habitants. La communauté ne compte aujourd’hui que 2 500 personnes. Aux abords de la ville, les délégués ont d’ailleurs pris part à une cérémonie du souvenir dans la forêt de Paneriai où de nombreux Juifs ont été exécutés. À la veille du forum, le Parlement lituanien avait fait un geste de réconciliation envers la communauté juive en votant la restitution de centaines de manuscrits de la Torah. C’est dans ce contexte que les représentants des trente-sept nations ont signé une déclaration finale sans surprise, hormis l’abandon, à la demande des Américains, d’une référence à la convention Unidroit. Le texte engage les gouvernements à “entreprendre tout effort raisonnable visant à la restitution des biens culturels pillés pendant l’Holocauste”.

Le sujet le plus sensible portait sur le sort des œuvres d’art ayant appartenu à des victimes juives sans héritiers. Sur ce point, le texte final reconnaît “qu’il n’existe aucun modèle universel pour cette question” et “la propriété juive d’origine de ces biens culturels”. Membre de la Knesset, l’Assemblée nationale israélienne, Colette Avital a estimé qu’il fallait “établir que le peuple juif, et ses représentants, deviennent les héritiers naturels” de ces biens. “Nous proposons que la prochaine conférence se tienne à Jérusalem”, a insisté cette dernière. Un vœu interprété par certains comme une suggestion de léguer ces œuvres à des musées israéliens. Sur ce sujet, la délégation tchèque a fait savoir que 66 peintures se trouvant dans ce cas étaient sur le point d’être transférées au Musée juif de Prague.

Une bonne foi à prouver
Président de la Confédération internationale des négociants en œuvres d’art (Cinoa), le Zurichois Walter Feilchenfeldt, s’exprimant comme une personne qui, “bien que n’ayant jamais souffert directement de l’Holocauste, était suffisamment proche pour se sentir une victime”, a mis en garde contre les dangers de “règlements superflus”. Il s’oppose à l’obligation faite aux marchands d’avoir à prouver l’origine légitime des œuvres qu’ils proposent, et refuse l’application du terme de “bien culturel” aux “objets d’art décoratif qui ne méritent pas d’être conservés dans des musées”. Gilbert Edelson, de la Art Dealers Association of America, a convenu que ses membres “ont une obligation morale de coopérer dans la recherche sur la provenance, et de répondre aux demandes d’informations spécifiques lorsqu’ils sont en mesure de le faire”. Il a néanmoins ajouté que l’acheteur innocent avait des droits. Notamment, lorsque le requérant n’a pas agi en bonne et due forme, en ne déclarant pas la perte ou en ne consultant pas les catalogues officiels publiés. Les maisons de vente ont, elles, fait part de leurs actions. Christie’s a annoncé qu’elle avait “contribué à rassembler” plus de 500 000 dollars grâce à deux personnalités américaines, Edgar Bronfman (président du Congrès juif mondial) et Ronald Lauder (président de la Commission pour la restitution des œuvres d’art pillées du Congrès juif mondial, et actuel président du Museum of Modern Art de New York). Les fonds serviront à accéder aux archives russes renfermant des documents saisis à l’Allemagne pendant la guerre, tels les documents du Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), chargé de saisir des œuvres pour le Führer Museum de Hitler à Linz. L’acceptation de cette donation par les autorités russes est un signe encourageant. Le secrétaire d’État adjoint américain au Budget, Stuart Eizenstat, a décrit l’opération de l’auctioneer comme un grand pas en avant, qui devrait mener à “l’ouverture du plus grand trésor d’œuvres pillées”. “Des responsables de la Fédération de Russie, de musées russes et d’une fondation privée ont exprimé leur soutien sans faille à cet effort de coopération”, a rappelé l’Américain qui espère que cette ouverture sera “suivie d’actions semblables dans d’autres pays.”

Sotheby’s a, quant à elle, promis d’offrir son aide à la création d’un site Web appuyé par le Conseil de l’Europe qui fournira un point de référence commun aux requérants et aux enquêteurs. Il a été décidé de créer un portail commun avec des liens vers d’autres sites nationaux et non gouvernementaux. Sotheby’s investit actuellement dans cette opération un capital dont on ne connaît pas le montant, et offre son expérience technique acquise grâce à ses propres opérations Internet. Les regards vont maintenant se tourner vers Washington où, en décembre, le Comité consultatif présidentiel américain sur les biens de l’Holocauste doit publier un rapport très attendu.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°114 du 3 novembre 2000, avec le titre suivant : A Vilnius, le forum des bonnes intentions

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