Art et communication

Une tranche d’histoire ?

Le Journal des Arts

Le 2 juillet 1999 - 511 mots

Depuis des décennies, on a eu à maintes reprises l’occasion de constater que l’art avait bon dos, et même le dos large, pour se prêter à toutes formes de détournement, plagiat ou autre parodie, avec plus ou moins de réussite.

L’art encaisse bien et c’est heureux, car en la circonstance présente, il va lui falloir du courage ! Sous prétexte de vanter l’excellence et la noblesse du jambon Serrano, lui-même Grand d’Espagne dans sa catégorie, un faux Vélasquez et un faux roi d’Espagne sont mis en scène. Dindons de la farce, ils se prêtent à une mascarade qui frise le ridicule. Non pas dans sa conception à proprement parler, mais plutôt dans sa réalisation, car l’idée originelle n’est pas si absurde que le résultat le laisse paraître.

Après trois ans de communication sur la notoriété, il était temps de franchir un nouveau cap et d’affiner la stratégie. Trois éléments entrent en ligne de compte. D’abord, la qualité très supérieure du jambon Serrano, qui fait de lui un chef-d’œuvre de tradition et d’intemporalité. Ensuite, la signature du produit, “Le Grand d’Espagne”, ajoute à cette notion de chef-d’œuvre celle d’aristocratie. Enfin, il est important de signifier l’Espagne d’une façon ou d’une autre, de trouver une référence compréhensible par le plus grand nombre. De cette réflexion caractéristique du marketing, la démarche créative a suivi en toute logique son petit bonhomme de chemin. L’aristocratie a basculé doucement vers la royauté. Il se trouve que l’Espagne est fortement imprégnée de l’année Vélasquez. Belle aubaine : la réponse se trouve dans ce “deux en un” qui réunit les ingrédients du chef-d’œuvre et de l’Espagne. En outre, la Péninsule ibérique jouit d’une culture et d’un éventail artistique suffisamment riches pour ne pas tomber dans les clichés de pacotille, du type danseuses de flamenco, corridas ou autres. À partir de là, monter un scénario quelque peu humoristique est affaire d’imagination. Nous découvrons donc, sur les écrans de télévision, une saynète dans laquelle Vélasquez s’applique à peindre un portrait, sous l’œil impatient de Sa Majesté dégustant du jambon. La surprise vient du dernier coup de pinceau, qui laisse planer, quelques secondes durant, une certaine ambiguïté. On pense tout d’abord que l’artiste met l’ultime touche à la moustache souveraine, ou qu’il appose son sceau pour parachever le tableau. Il s’agit en réalité du dessin du logo de la marque car, contre toute attente, ce n’est pas Sa Grâce royale qui fait l’objet de l’œuvre mais le très noble jambon Serrano. Voilà un jambon estampillé de main de maître, digne de rejoindre la galerie de portraits des plus grands monarques... du cochon !

À n’en point douter, c’est avec le couteau sous la gorge – et non à découper le jambon – que El Señor Vélasquez lui-même se serait prêté à cette pitrerie, et se serait ainsi laissé traiter en dérision. Avec un peu plus de subtilité et de délicatesse, cela aurait pu être réussi. C’est raté, et, non merci, je n’en reprendrai pas une tranche, fût-ce del mejor jamón español !

Agence : F .O. I / Production : Clasicos (Espagne)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Une tranche d’histoire ?

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