Centre d'art

Un drapeau Martiniquais retiré de la façade du Palais de Tokyo

Par Éva Hameau · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2025 - 663 mots

Une journée après avoir été hissé, le drapeau constitutif d’une œuvre de Cameron Rowland a été ôté au nom du principe de neutralité du service public.

Paris. Le drapeau aux couleurs de la Martinique n’aura pas surplombé le centre d’art parisien plus de 24 heures. Cet étendard de la lutte pour l’indépendance martiniquaise, devenu drapeau officiel de l’île en février 2023, avait été hissé sur la façade du bâtiment le soir du vernissage de l’exposition « Echo Delay Reverb. Art américain, pensées francophones », le mercredi 22 octobre. Dès le lendemain, les visiteurs venus découvrir l’exposition consacrée à l’héritage des auteurs de la French Theory outre-Atlantique, curatée par Naomi Beckwith, conservatrice au Musée Guggenheim de New York, n’ont trouvé que le drapeau républicain en lieu et place de l’œuvre Replacement (2025) de l’artiste étasunien Cameron Rowland. Si le drapeau a bel et bien disparu, son cartel trône désormais à l’intérieur de l’exposition, dans la section portant sur la critique des institutions, avec une mention indiquant la cause de ce retrait précipité : l’œuvre risquait d’« être considérée comme illégale » selon le Palais de Tokyo.

Le drapeau retiré selon le principe de neutralité

« Il avait été convenu en amont que le drapeau ne resterait que 24 heures », assure une personne membre de l’équipe contactée par le Journal des Arts. Cette décision a été prise à la rentrée, dans un contexte de crispation politique au sujet des drapeaux palestiniens hissés au fronton des mairies françaises. Alors qu’au printemps le Palais avait donné son feu vert pour que l’œuvre de Rowland remplace le drapeau français sur la façade du bâtiment pendant toute la durée de l’exposition, l’équipe a été contrainte de revoir sa copie lorsqu’elle a reçu, le 18 septembre, une note du préfet relative au principe de neutralité du service public, à la suite des déclarations de l’ex-ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau sur le pavoisement des établissements publics.

Les deux avis juridiques sollicités dans la foulée par le centre d’art ont estimé que « le dispositif initial pensé par l’artiste pouvait contrevenir au principe de neutralité du service public », indique la membre de l’équipe. En cause, le caractère militant de l’œuvre, son auteur étant connu pour sa critique du « racisme systémique », du colonialisme et de l’esclavage. Car si la présence d’un drapeau régional sur la façade d’un établissement public n’est, en soi, pas problématique (quoique celui-ci doive figurer aux côtés du drapeau tricolore, et non à la place de celui-ci), « le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques » selon la formule du Conseil d’État dans l’arrêt « Commune de Sainte-Anne » daté du 27 juillet 2005, jurisprudence rappelée par la note du préfet. Signe de cette « revendication d’opinion politique » , d’après les avis juridiques, le cartel de Replacement cite un passage du manifeste du Mouvement indépendantiste martiniquais (MIM), selon lequel « la Martinique demeure un territoire dominé politiquement, exploité économiquement, occupé militairement, aliéné culturellement », et comporte le lien du site Internet du parti.

Seulement, en optant pour le retrait du drapeau martiniquais, le Palais de Tokyo ne s’enlise-t-il pas dans l’autocensure ? « L’institution est consciente de ses limites », reconnaît notre interlocutrice. Cette affaire est symptomatique d’un équilibre souvent difficile à trouver entre la liberté de création et respect des obligations d’un lieu de service public. Faut-il uniquement retenir la dimension artistique de l’œuvre, comme semblent l’avoir préconisé les trois avocats contactés par Cameron Rowland, qui n’ont pour leur part pas considéré Replacement comme illégale, ou bien prendre en compte le message politique sous-jacent ?

Dans le cas de l’œuvre de Rowland, la grande ressemblance entre les drapeaux martiniquais et palestiniens pose également question, alors que le Palais de Tokyo a été secoué par une polémique en raison de son supposé engagement propalestinien en 2024. Dans un post Instagram cité par Médiapart, la critique d’art Élisabeth Lebovici s’interroge : « Si le drapeau martiniquais n’avait pas été rouge, vert et noir, cela serait-il arrivé ? »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°665 du 14 novembre 2025, avec le titre suivant : Un drapeau Martiniquais retiré de la façade du Palais de Tokyo

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