Tuileries : l’ahurissante bataille

Un lobby milite pour la reconstruction par le secteur privé du château rasé en 1882.

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 28 octobre 2008 - 883 mots

Depuis 2002, le Comité national pour la reconstruction du palais des Tuileries, une émanation de l’Académie du Second Empire, milite pour que l’ancien palais, incendié sous la Commune en 1871 et finalement rasé en 1882 sous la IIIe République, puisse renaître de ses cendres.

Le Palais des Tuileriesaprès l'incendie de 1871

PARIS - L’association affiche la bienveillance de Jack Lang, Philippe Séguin et Bertrand Delanoë et compte parmi ses zélateurs l’amiral de Gaulle, l’historien Jean Tulard ou l’ancien ministre des Affaires culturelles Maurice Druon. Mais aussi quelques fonctionnaires des Monuments historiques, qui, oubliant pour certains leur devoir de réserve, n’hésitent plus à s’afficher ouvertement en faveur du projet. L’idée serait de revenir à son état Second Empire – en s’autorisant toutefois l’adjonction d’une terrasse belvédère qui n’a jamais existé. « Il est impossible de revenir à cet état, explique l’historien de l’architecture Alexandre Gady, car cela impliquerait de détruire le pavillon de Marsan et une partie de l’aile des Arts décoratifs, [des bâtiments] qui sont postérieurs. » Pour qui s’étonnerait de la volonté de bâtir un pastiche, les partisans de la reconstruction brandissent des comparaisons douteuses avec les exemples allemands de la Frauenkirche de Dresde ou du château de Berlin – lesquels ont suscité de très vifs débats outre-Rhin. Comme si les brûlures de la Commune étaient encore aussi vivaces, près d’un siècle et demi plus tard, que celles de la Seconde Guerre mondiale.
À force d’amabilités, les porteurs du projet gagnent du terrain. Le 23 septembre, Alain Boumier, président du Comité, faisait ainsi salle comble à la Sorbonne. L’argumentaire amalgame une série de justifications des plus hétérogènes, mêlant nostalgie, préoccupations identitaires et volonté de « rétablir l’harmonie de l’ensemble indissociable Louvre-Tuileries [ainsi que] de reconquérir un espace de 2,5 hectares au cœur historique de la capitale, actuellement sans éclairage public, livré à l’insécurité [sic] et à des baraquements provisoires depuis vingt ans ». Mais, à y regarder de près, le projet ne s’apparenterait-il pas plutôt à une juteuse opération immobilière ? La construction du palais sera, en effet, accompagnée du creusement d’un lucratif parking souterrain comportant sept niveaux, situé sous le jardin des Tuileries. Et, dans son contenu, le programme est également ambigu. Initialement, il était prévu d’y installer un petit musée des Tuileries, et surtout, dans l’enfilade de 200 mètres de long, un « espace de prestige » comprenant un auditorium de six cents places destiné à accueillir des séminaires « qui feront vivre le palais ». Alain Boumier tente désormais de se trouver des soutiens du côté des musées voisins en leur offrant des mètres carrés : au Louvre un espace côté pavillon de Flore, la même chose côté pavillon de Marsan pour les Arts décoratifs. Se défendant d’avoir été directement sollicités, les responsables de ces musées semblent vouloir éviter la polémique. Si d’aventure le projet venait à se concrétiser, ne vaudrait-il pas mieux en être ? Pourtant, selon nos informations, le Louvre aurait commandé en interne un rapport très défavorable à ce sujet.

Bail emphythéotique
Enfin, à ceux qui se scandalisent d’une construction aussi pharaonique dans le contexte de crise et de pénurie des crédits alloués aux monuments historiques, le Comité rétorque qu’il n’en coûtera pas un sou ni à l’État, ni à la Ville de Paris. Évalué à 350 millions d’euros pour 20 000 mètres carrés de plancher (soit un prix au mètre carré inférieur à celui d’un équipement scolaire parisien !), le projet serait entièrement financé par du mécénat étranger. L’État étant propriétaire du terrain, l’opération serait menée dans le cadre d’une concession, sur le modèle du centre commercial du Carrousel du Louvre et de son parking attenant. À l’issue d’un bail emphytéotique [de longue durée], l’ensemble retournerait alors dans le giron de l’État et ne coûterait pas un denier d’entretien aux monuments historiques, « car il s’agira d’un immeuble neuf » ! Là est bien l’ambiguïté du projet : ne s’agit-il pas, sous couvert de nostalgie patrimoniale, d’une simple opération de promotion immobilière au cœur de Paris ? Alain Boumier s’en défend avec un argument qui ne rassure guère : « L’État sera au courant de tout. »
Arbitre de la partie, le terrain étant de surcroît classé, le ministère de la Culture n’a pas souhaité répondre à nos questions. Pourtant, en juin 2006, Renaud Donnedieu de Vabres encourageait le comité en créant une commission d’études constituée de huit membres, tous acquis à la cause. Depuis, la sous-direction des Monuments historiques a émis un avis favorable lors d’une réunion préparatoire de la Commission supérieure des monuments historiques. Cette décision confirme la tendance – de plus en plus lourde – de certains architectes en chef des Monuments historiques à privilégier le pastiche architectural, quitte à nier cent cinquante ans de doctrine en matière de préservation des monuments historiques. Elle créerait aussi un fâcheux précédent. Un projet identique est porté par une autre association pour la reconstruction du château de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). « Ce n’est pas un péché de reconstruire quand il s’agit de développer l’attractivité touristique et d’entretenir le carnet de commandes des entreprises des monuments historiques », rétorque Alain Boumier. Une attitude que déplore à l’inverse d’Alexandre Gady : « Cela pose la question de la notion du vrai et du faux et de la lisibilité de ce que raconte le patrimoine. » Triste époque que celle qui érigerait le mensonge en monument national.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°290 du 31 octobre 2008, avec le titre suivant : Tuileries : l’ahurissante bataille

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