Etude de cas

Troisième pôle, troisième voie ?

« Scintillo », la holding qui chapeaute désormais l’agence Le troisième pôle depuis 2010, semble un petit empire culturel de nouvelle génération. À sa tête, Steven Hearn, jeune, dynamique, décontracté.

Il porte à merveille le costume (dépareillé) de l’entrepreneur visionnaire, politiquement engagé (il a milité au PS). C’est un personnage comme le monde de la culture les façonne : souvent brillant, parfois bruyant, il suscite l’admiration et l’agacement. Il a même symboliquement fait le lien entre les deux dernières ministres de la Culture, puisque Fleur Pellerin et Aurélie Filippetti lui avaient commandé un rapport sur l’entrepreneuriat culturel (lire le JdA no 417, 4 juil. 2014). Scintillo, comme il le dit lui-même, « n’était au début qu’une idée de comptable », qui vise à pérenniser des liens avec des lieux à fort potentiel ou des personnes croisées au gré de collaborations. Sur les vingt structures agrégées par Scintillo (180 salariés), une grande diversité prévaut : une moitié lui préexistait, à l’exemple du cinéma Saint-André-des-Arts. D’autres sont en développement, tout juste créées par Scintillo, comme « Le cinquième pôle ».

Pour moitié, des clients privés
Au fondement de l’aventure figure l’agence Le troisième pôle, dont le chiffre d’affaires oscille aujourd’hui entre 3 et 4 millions d’euros, pour une quinzaine de salariés. Environ 20 % de se recettes viennent des musées, du patrimoine et des arts visuels. 60 % des clients sont encore publics, mais la proportion de clients privés, très faible à l’origine, a crû au point de représenter en 2014 plus de la moitié des revenus de l’agence. « Il y a de plus en plus d’opérateurs privés qui prennent en charge des actions d’intérêt général », explique Steven Hearn. Il cite les Ateliers de Rennes, biennale d’art contemporain au financement principalement privé, et au budget supérieur à celui de la Nuit blanche. L’agence Le troisième pôle est emblématique de l’esprit du temps : focalisée sur le numérique, elle assume son statut d’entrepreneur privé par « un rapport éclairé au contrat. Plus que la scop ou l’association, l’entreprise peut offrir la structure juridique optimale dans une optique éthique : publication des comptes, relations régies par des contrats, forte imposition pour la redistribution. Inversement, on a vu beaucoup de margoulins évoluer dans des structures historiquement associées aux grandes valeurs humaines ».

Les métiers du Troisième pôle sont les fondamentaux de sa méthode : le conseil, la production, la communication. Le conseil est une porte d’entrée politique en même temps que l’assise de toute légitimité dans l’ingénierie culturelle. « Le terme d’“ingénierie” est parfois utilisé comme un vernis, pour s’attribuer une technicité, une crédibilité, derrière des choses simples. Mais la question c’est d’abord l’orientation, l’engagement. Il faut définir ce qu’on veut, politiquement et socialement, c’est ça l’ingénierie pour moi », pose Steven Hearn. Quant aux métiers de la communication, leur intégration est intuitive : la maîtrise des codes et des outils de diffusion est la clé du secteur culturel, a fortiori dans un paysage parisien toujours plus dense.

Une double casquette qui fait débat
C’est en assumant comme second métier la conception et la production d’événements culturels, et avec cela la gestion de lieux, que Le troisième pôle porte une double casquette que certains concurrents lui reprochent : n’est-il pas contradictoire de vendre la distance critique du consultant et de gérer ensuite un lieu au quotidien, comme la Gaîté-Lyrique ? Caroline Couraud, à qui Steven Hearn a confié la direction opérationnelle de l’agence, s’en défend : « Cette position a au contraire considérablement enrichi nos recommandations. Nous avons connu la délicate position de devoir corriger des études d’autres agences, dont l’abstraction, la déconnexion d’avec la réalité s’est révélée flagrante, par exemple pour la recherche de partenaires. La confrontation au principe de réalité nous a fait progresser. » Steven Hearn renchérit : « La Gaîté-Lyrique est notre laboratoire : le contrat de DSP [délégation de service public] nous donne un cadre et des objectifs. Ensuite, nous sommes libres d’expérimenter. Cette démarche commence à porter ses fruits. » Une ancienne de Kléber Rossillon, directrice de lieu privé, tempère : « Quand on reçoit 5 millions de la Ville pour l’exploitation d’un lieu, c’est plus facile d’avoir un budget à l’équilibre. »

La subvention sera-t-elle maintenue ? Le lieu aura-t-il été préparé à une gestion autonome ? À l’échéance de la DSP de la Gaîté-Lyrique, début 2016, sera donnée une indication sur la pertinence et la pérennité du modèle particulier du Troisième Pôle, mi-conseil, mi-production. Et c’est tout un secteur qui l’étudiera avec attention.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°429 du 13 février 2015, avec le titre suivant : Troisième pôle, troisième voie ?

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