Tour duelle

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 18 avril 2003 - 588 mots

Après un concours qui a vu s’affronter des “pointures”? nationales et internationales, l’agence Valode et Pistre a été choisie pour édifier la Tour T1, qui marque tout à la fois la fin de la dalle de la Défense et le début de la ville de Courbevoie.

L’architecte chicagoan Louis Sullivan, génie du “cast-iron” [fonte], s’exclamait, en 1901 : “Ce doit être jusqu’en sa moindre partie, une chose fière et altière, qui semble s’élever dans les hauteurs par la simple merveille de n’être qu’une, de haut en bas, sans une seule ligne dissonante.” Cette conception de la tour, archétypiquement américaine, est toujours en vigueur outre-Atlantique. Avantage, elle s’élance directement depuis le sol vers le ciel, sans l’étape obligatoire et imbécile de la dalle dont l’Europe, et particulièrement la France, semble si friande. Le Front de Seine (si bien nommé l’“Affront de Seine”), dans le 15e arrondissement de Paris, en est une illustration plus que symptomatique.
Désavantage, l’idée que la tour n’existe qu’extrudée, c’est-à-dire d’un seul bloc, sans finesse ni réelle écriture. Le fronton “chippendale” de la Tour AT & T, ou encore le pan coupé du CityCorp, témoignent que le comble de l’architecture, à New York, se situe presque exclusivement au sommet...
Bref, les deux écoles se confrontent, franchise et élan côté américain, expressivité et écriture côté français.
Avec la Tour T1, l’occasion était belle de tenter la conjugaison des deux. À l’extrémité nord-ouest de la dalle de la Défense, sur la commune de Courbevoie (boulevard de la Mission-Marchand), la tour s’inscrit dans le “skyline” de l’Ouest parisien, mais se plante en pleine terre. Elle conclut, annonce et innove tout à la fois, s’élançant à quelque deux cents mètres de hauteur pour 38 niveaux et 70 000 m2 (pour un budget d’environ 150 millions d’euros apporté par le groupe investisseur Colony Capital).
À la Tour T1, il convient d’ajouter un bâtiment de “seulement” 15 niveaux, et dénommé “B”.
Le concours a été organisé en 2002, et a vu s’affronter les plus grandes agences américaines et un aréopage d’architectes européens, parmi lesquels le Britannique Norman Foster et les Français Christian de Portzamparc et Claude Vasconi. Premier tour effectué, deux candidats restaient en lice, et finalement les Français Denis Valode (cinquante-six ans) et Jean Pistre (cinquante et un ans), associés depuis 1980, l’ont emporté sur le géant américain SOM.
Les investisseurs, à l’évidence, ont été sensibles à la capacité des architectes de répondre précisément au programme : concevoir une tour dite “corporate” [d’entreprises] susceptible d’être louée dans sa totalité ou par tranches, ce qui implique une flexibilité d’usage très sophistiquée. Ils ont aussi été réceptifs aux préoccupations environnementales des deux architectes. En effet, leur tour est à “lecture” multiple. En bordure de l’ensemble de la Défense, elle offre un angle très fluide, tout à fait dans l’esprit du célèbrissime Flat Iron Building à New York. Face à Courbevoie, son traitement incurvé évoque à la fois la porte et le rempart. De forme parabolique, elle rappelle de loin une arête alpine, de moins loin, une voile glissant sur la Seine.
Cette lecture multiple est renforcée par sa vision nocturne. Le noyau central, où sont regroupés services et circulations verticales, devient, la nuit, une immense colonne de lumière. Et la diffraction de la lumière transforme toute la tour en un gigantesque luminaire urbain.
Enfin, aux pieds de la tour et du bâtiment bas, et expliquant parfaitement leur écriture incurvée, une place minérale décrit un cercle parfait. Courbes, ellipse, parabole, ligne de fuite, étrave, l’ensemble constitue un très virtuose exercice de géométrie dans l’espace.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°169 du 18 avril 2003, avec le titre suivant : Tour duelle

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