Ces obscurs objets du design

Starck sort son catalogue

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 11 septembre 1998 - 670 mots

Philippe Starck avait déjà flirté avec la vente par correspondance. Le 15 septembre, il lance le nouveau catalogue Good Goods édité par La Redoute dans un esprit totalement différent, puisqu’il s’agit pour le designer d’une véritable “action politique�?.

Quel est le point commun entre un ours en peluche mutant et un pot de peinture, un téléphone et un baril de lessive, un champagne biologique et un kayak, entre une chaussure et une chaise ? Tous, articles de maison, littérature, mobilier, parapharmacie ou vêtements sont proposés dans le nouveau catalogue Good Goods de Philippe Starck édité par La Redoute. En 68 pages, le designer a choisi un ensemble de 200 “objets honnêtes”, pas nécessairement dessinés ou conçus par lui d’ailleurs. On y retrouve par exemple la brosse à dents éditée par Alessi, évoquant quelque sculpture de Brancusi, une moto “designée” pour la marque italienne Aprillia, ou de la lessive sans agents azurants, bref “des choses qui n’ont pas été conçues par des services marketing pour aller piquer de l’argent dans la poche des gens, mais qui ont été faites avec amour et respect, fruits d’une vraie réflexion sur la légitimité de l’objet”, selon les termes du designer.

Le catalogue constitue ainsi un “mode d’emploi pour un mode de pensée”. “Il y a une urgence aujourd’hui à l’action politique, chacun suivant ses moyens d’expression, a déclaré Philippe Starck au JdA. Je crois intimement que l’artiste doit absolument revenir à l’action politique basique et abandonner l’art bourgeois qu’il pratique depuis une quinzaine d’année. Nous avons la chance d’avoir une date symbolique qui arrive et qui nous forcera à faire une sorte d’audit sur notre société. Je pense que le résultat de cet audit sera assez négatif. Toute personne qui a un peu de générosité, de sensibilité, se doit de travailler à une proposition, chacun à sa façon. Moi, cela fait trois ou quatre ans que j’y travaille, et j’en suis arrivé à certaines conclusions. La priorité est de remettre l’humain à sa place et de laisser la matière là ou elle devrait être, c’est-à-dire loin derrière lui, pour simplement l’aider à avoir une meilleure vie. Cela implique un changement important dans la relation entre l’humain et la matière, entre l’humain et la production, et même dans l’intention générale qui peut entourer toute production. Je ne veux même pas prononcer le mot de consommation qui, pour moi, est un mot définitivement obsolète. Pour essayer de travailler dans ce sens, j’ai fait ce que j’ai pu avec mes petits moyens, et j’ai essayé de dessiner l’habit de ce citoyen intelligent, honnête, respectueux, amoureux, fantasque, vif, que j’aimerais avoir comme voisin et ami”. Aux yeux de Philippe Starck, le but de ce catalogue est notamment d’inciter ses lecteurs à imaginer de nouveaux objets pour son “moral market”. “Je n’ai pas du tout envie, avec ce catalogue, d’offrir une solution finalisée, poursuit-il. J’ai simplement eu l’intention de créer une plate-forme interactive où certaines personnes, que j’appelle des non-consommateurs, vont se retrouver, vont même peut-être se fédérer autour de mes propositions et pouvoir eux-mêmes dire : j’ai une idée ou j’aimerais faire ça. Je suis dans un rôle assez humble d’animateur de débat. Simplement, je commence en disant : Attention, ce n’est pas parfait, mais allez-y”. Le 15 septembre, ceux qui ont commandé le catalogue le recevront accompagné d’une lettre les invitant à bien le lire, en particulier entre les lignes. “Il est un mode d’emploi pragmatique de l’environnement, de la société, des choses nécessaires ou réellement désirables”, déclare le designer, qui espère toucher les “rebelles modernes, ceux qui ne sont plus du tout intéressés par changer leur R5 pour une R6, leur télévision 4/3 pour une 16/9e, qui ne sont plus du tout intéressés par les messages que leur envoie la publicité. Ces gens-là m’intéressent parce ce sont aujourd’hui les non-idiots, comme dirait Lacan”. Rebelles ou esthètes, il n’est pas du tout évident que les lecteurs entendent le message de Starck. Quoi qu’il en soit, la sortie de ce catalogue-manifeste constitue l’un des événements de la rentrée.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°66 du 11 septembre 1998, avec le titre suivant : Starck sort son catalogue

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