Livre

Sous la critique, une vision de l’art

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 10 mai 2017 - 751 mots

La chercheuse Claire Fagnart met à jour les croyances sous-jacentes à la pratique de la critique d’art, passée du régime de l’évaluation au XVIIIe siècle à celui de la «Â postcritique » dans les années 1980.

Sous ce titre frontal et sans fioriture, La critique d’art, Claire Fagnart engage une réflexion frontale et sans fioriture pour tracer une description bienvenue de la critique d’art : non pas sous ses aspects professionnels, sociologiques, institutionnels, individuels (la très fourre-tout « subjectivité »), non pas en historicisant une interminable fin de la critique ou sa transformation (le commissariat d’expositions par exemple), mais en visant clairement « les croyances sous-jacentes à la pratique de la critique » et en abordant rationnellement « la question des arrière-plans sur lesquels s’est construite cette pratique depuis le début du XXe siècle (p. 5) ». Et de construire dans les quelque 160 pages de ce petit livre dense un parcours en quatre chapitres, qui entendent circonscrire quatre régimes de ces fondements philosophiques et épistémologiques le plus souvent implicites – mais pas pour autant inconscientes – chez les critiques.

Déterminations philosophiques

Il s’agit donc de repérer les déterminations philosophiques et idéologiques sur lesquelles se construit tout développement discursif à partir de l’œuvre d’art, de décrire quelle conception de l’œuvre est en jeu, conception élaborée ou non, théoriquement constituée ou non consciente. Le mérite premier de la démarche, portée par une exigence universitaire qui entend se situer dans le champ philosophique, est de ne pas simplifier son objet, de ne pas le figer, ni dans le temps ni dans sa nature, mais de l’identifier comme relevant de l’écrit, formant un genre littéraire.

Dotée d’une histoire courte, la critique se développe à partir du XVIIIe siècle avec, à ses débuts, une fonction évaluative, rendue nécessaire par la perte de repères et la constitution de nouvelles valeurs quand l’art forge son autonomie. Les années 1980, qui voient avec celle de l’art une transformation de la pratique de la critique, ouvrent ce que, reprenant les termes de la théorie américaine, l’auteure désigne comme le moment « postcritique », quand la critique perd son autonomie et sa fonction évaluative. Mais gagne une fonction cognitive : elle ne sert plus tant à formuler un jugement qu’à apporter au lecteur les moyens du sien propre, et contribue aux différentes formes de réception et d’appréhension que suppose le travail d’interprétation.

Les premiers régimes de relation aux œuvres qui arrêtent notre auteur sont regroupés sous la notion de « critique fondationnaliste ». Les œuvres y sont considérées sous l’aspect de leur ontologie, c’est-à-dire comme douées d’une capacité d’existence propre et intangible. Il y a là une forme d’idéalisme à prêter des qualités propres aux choses, et plus fortement encore aux objets intentionnels, à la charge symbolique adressée. C’est l’idéologie artistique romantique par excellence, qui fait donner une vie autonome aux objets que sont pourtant les œuvres. « L’approche ontologique réfère à une méthode qui cherche à définir l’œuvre d’art à partir de la mise en évidence des caractéristiques de nature propre à l’objet, sans considération contextuelle d’aucune sorte (p. 31). »

Pour autant, la vision ontologique s’incarne aisément dans le langage, puisque sa réalité est avant tout d’idée. Cet essentialisme est donc un régime traditionnel fort ancré, et, s’il est très partagé, le plus souvent par défaut, y compris par les critiques modernistes, il achoppe sur nombre de productions artistiques actuelles, en ce qu’elles s’appuient davantage sur des conditions de contexte, dynamiques et relationnelles. Ainsi, avec les chapitres consacrés aux critiques dites « perspectivistes » puis « constructionnistes », et ceux qui dessinent les contours de ce qu’elle dénomme « la critique-postulat », Claire Fagnart dessine à traits précis d’autres chemins de construction conceptuelle. Et de préciser : « Aujourd’hui, l’approfondissement de la volonté d’imbrication de l’ordre du langage et du visuel, de l’œuvre et de ses discours, ouvre sur des expériences inédites où les objets construisent les textes autant que les textes construisent les objets (p. 166) [quand bien même] placée dans un échange de regards, de savoir et d’impressions, entre artistes, regardeurs, décideurs, commentateurs, etc., au sein du monde de l’art, la critique est privée de son autonomie d’origine (p. 167). »

Sous son angle délibérément étroit afin de s’immiscer dans les plis des relations du texte à l’œuvre, le livre est ambitieux et oblige le lecteur à réviser régulièrement sa propre idéologie artistique, confronté à un large éventail des conceptions de l’œuvre. Ainsi permettra-t-il de reconnaître les références et modalités de pensée des auteurs de la critique, mais aussi de les confronter à celles du lecteur lui-même, appelé à situer sa propre trame de croyance personnelle, dans une sorte d’examen de conscience du lecteur de la critique mais aussi de l’amateur d’art.

Claire Fagnart, La critique d’art
2017, éditions des Presses universitaires de Vincennes, coll. « Libre cours », Saint-Denis, 176 p., 10 €.

Légende Photo
Louis-Michel van Loo, Portrait de Denis Diderot, 1767, huile sur toile, 81 x 65 cm, Musée du Louvre, Paris.© Photo : RMN (Musée du Louvre).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°479 du 12 mai 2017, avec le titre suivant : Sous la critique, une vision de l’art

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