Architecture

Salon de musique

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 745 mots

À Hongkong, l’architecte Jean-François Bodin a réalisé, entre Baie et colline, au sommet d’un building de verre et d’acier, une manière de salon de musique intemporel, la Fondation Octavian Society, qui doit tout autant à la tradition chinoise et à la Sécession viennoise qu’à la mesure et à l’harmonie du Français.

Daniel NG Iac-Chiu, qu’on appelle plus simplement Daniel NG, est issu d’une famille chinoise traditionnelle et nombreuse. Après de brillantes études scientifiques, il se retrouve aux États-Unis, considéré comme l’un des plus éminents acteurs de la recherche spatiale. Puis, il retourne à Hongkong, l’esprit toujours en éveil scientifique, mais avec un changement de cap radical puisqu’il ouvre les franchises des restaurants McDonald’s dans le territoire et ailleurs.

Daniel NG a une passion, la musique et, plus spécifiquement, celle de Richard Strauss. Pianiste lui-même, Daniel NG est également collectionneur. Et, comme tout vrai collectionneur, obsessionnel, engagé, assidu. Sa collection est essentiellement dévolue à Richard Strauss. Pour mieux la mettre en valeur, la protéger, il crée la Fondation Octavian Society. Celle-ci finance des concerts, aide de jeunes compositeurs et interprètes et organise actuellement une série de concerts du violoncelliste Yo-Yo Ma tout au long de la route de la Soie... Il n’hésite pas à prêter le Stradivarius en sa possession à de grands concertistes.

Daniel NG rencontre l’architecte Jean-François Bodin à Paris, au début de l’été 1999. Le monde de l’art doit déjà beaucoup à Bodin. Il est, à l’époque, tout entier à la restauration de la Bibliothèque, du Musée et des galeries d’expositions temporaires du Centre Pompidou. Et déjà, il est intervenu sur le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, le Musée des monuments français au Palais de Chaillot, le Musée Matisse à Nice, le château des ducs de Bretagne à Nantes, le Musée Granet à Aix-en-Provence, les Musées des beaux-arts de Cambrai et de Tourcoing : réhabilitations, reconversions, muséographie, additions, il est, véritablement, un homme de musée. Plus, un homme de l’art puisque nombre de galeries parmi lesquelles, Claire Burrus, Laage-Salomon, Yvon Lambert, Leif Stähle, Xippas lui doivent leur “atmosphère”, et qu’il signe régulièrement la scénographie de grandes expositions telles “Alberto Giacometti”, “André Derain”, “Jean Fautrier”, “Histoires de musées”, “L’Expressionnisme allemand”... Il est, en outre, un collectionneur averti d’art contemporain.

Le courant passe entre Daniel NG et Jean-François Bodin, et rendez-vous est pris à Hongkong où Bodin découvre, dans le quartier d’Aberdeen, un building de verre et d’acier abritant, au vingt-cinquième étage, un espace de 300 m2. C’est là que Daniel NG veut installer sa Fondation.

Double exposition, l’une sur la Baie et au loin la mer de Chine, l’autre sur une colline – fait rare à Hongkong – vierge de toute construction. Le programme est simple. Il s’agit de faire cohabiter le bureau de la Fondation (50 m2), un auditorium à l’appareillage électronique Krel extrêmement sophistiqué, ceinturé de bois sombre pour l’acoustique, au centre duquel trône un somptueux Steinway de collection (60 m2), et enfin, l’espace muséal de la Fondation, ouvert aux chercheurs. Y cohabitent partitions originales, livrets, décors et costumes d’époque des opéras de Strauss, affiches, programmes et, bien sûr, une importante bibliothèque. La première étape de l’intervention de Bodin, la plus importante techniquement, concernait l’adaptation de la climatisation prévue pour un immeuble de bureaux et soucieuse du seul confort des personnes, à un régime muséal à l’hygrométrie très stricte. D’autant que l’essentiel de la collection est constitué de “papiers” et que ceux-ci sont d’une grande fragilité. La deuxième étape était centrée sur la conception, l’invention, la mise au point et la réalisation millimétrée d’un grand nombre de rangements : étagères, vitrines, tiroirs, cimaises... propres à abriter et dévoiler l’ensemble de la collection. Le bois – essentiellement du wengué noir –, l’acier inox, l’aluminium laqué noir et un sol fait d’un dallage en cuir noir, résistant et souple à la fois, les tissus bruns tendant les murs restés libres, les rideaux métalliques des fenêtres, composent ici une symphonie de matières étonnante et calme. Et, ponctuant l’espace, quelques meubles signés Josef Hoffmann : chaises, tabourets et guéridons en bois clair, fauteuils profonds capitonnés de cuir brun clair. Résultat, une Fondation accueillante, livrée fin décembre 2000, que Jean-François Bodin compare à “une sorte de club anglais, avec l’accent mis sur le confort, le calme, l’intimité”. Un surprenant dialogue s’instaure ici entre les couleurs de la Chine éternelle et les matières et les formes de la Sécession viennoise. Un dialogue rendu possible grâce à l’intervention mesurée, harmonieuse, élégante et raffinée d’un architecte français.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Salon de musique

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