Régis Durand

Directeur du Centre national de la photographie

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 29 juin 2001 - 1414 mots

Universitaire et critique d’art, auteur de nombreux ouvrages, Régis Durand est directeur depuis 1996 du Centre national de la Photographie à Paris (CNP). Il commente l’actualité.

Le ministère des Affaires étrangères vient de communiquer le rapport d’Alain Quemin sur Le Rôle des pays prescripteurs sur le marché et dans le monde de l’art contemporain. Ce texte souligne la faible présence des artistes français sur la scène internationale. Comment jugez-vous cette situation ?
Je n’ai pas eu connaissance du rapport lui-même. Mais si ses conclusions semblent mesurer assez bien la place de l’art français sur la scène internationale, on peut s’interroger sur les causes véritables de cette situation. Je ne pense pas qu’il faille la chercher dans le mauvais travail de diffusion que ferait le ministère des Affaires étrangères. Les causes sont beaucoup plus profondes. En premier lieu, la France est une puissance économique moyenne. À l’intérieur de nos frontières, le marché de l’art est faible et nous n’avons pas de galeries très puissantes sur le plan international, capables d’imposer les artistes qu’elles représentent. Trois des cinq artistes français inclus dans le Kunst Kompass [ndlr : un palmarès recensant les cent artistes vivants les plus et les mieux vus] sont d’ailleurs représentés par une galerie américaine. Ensuite, en comparaison avec d’autres pays, notre système institutionnel dispose de peu de moyens. Faire une comparaison avec l’Allemagne serait éclairant : les institutions consacrées à l’art contemporain y sont dix fois plus nombreuses qu’ici, et les moyens sont sans comparaison. Le cas de l’Angleterre est différent. Les Anglais, avec le British Council, ont toujours su réaliser des grandes opérations à caractère quasi-publicitaire. Comme le souligne le rapport, les opérations de prestige françaises prennent souvent un caractère officiel qui peut déplaire, mais je crois que c’est en fait tout à fait secondaire. En revanche, les attaques incessantes dont est l’objet l’art contemporain dans notre pays, et ce au sein même de ses “élites” ou prétendues telles, nuisent terriblement aux créateurs, et donnent de la France l’image d’un pays conservateur, vieillot, image très éloignée de la réalité d’aujourd’hui.
Personnellement, je voudrais tout de même relativiser l’importance de ce genre de palmarès. Si l’on cherchait parmi les cent artistes qui suivent cette liste, il y aurait peut-être alors beaucoup de jeunes Français. Et puis je suis tenté de résister à une analyse qui repose uniquement sur des bases statistiques ou socio-économiques d’ailleurs approximatives. L’art, c’est aussi un marché, mais il ne faut pas limiter la fonction et l’importance de l’art d’un pays à sa place dans une économie globale. Une dérive s’installe, et on en vient à reprocher aux institutions françaises de ne pas suivre le modèle du Guggenheim. Or, je ne suis pas sûr du tout que ce modèle de développement à la manière d’une multinationale soit à imiter, je suis même convaincu du contraire. Pour conclure, il faut toutefois reconnaître qu’un certain nombre d’artistes français n’ont pas la place qu’ils méritent sur le plan international. Peut-être faut-il les inciter à séjourner davantage à l’étranger. Pour y être exposé, il faut y résider un certain temps, y prendre les contacts directs nécessaires.  Beaucoup de jeunes artistes l’ont très bien compris et n’ont pas de difficulté sur la scène internationale.

Justement, Pierre Huyghe vient de remporter le Prix du jury à la Biennale de Venise. Quel est votre avis sur le pavillon français et sur l’édition 2001 de la Biennale ?
Le pavillon de Pierre Huyghe est réussi. Il a su s’entourer de producteurs capables de relever ce défi difficile sur le plan technologique et financier. Le moment a été bien choisi pour confier à Pierre Huyghe ce genre de responsabilité un peu lourde et c’est une preuve que les artistes de sa génération sont capables de gérer ces situations. Sur le fond, son œuvre est très belle, elle fait preuve d’une très grande qualité poétique. Bien que complexe, la technologie utilisée ne vient pas au premier plan et ne fait pas obstacle à l’expérience devant une œuvre dense et épurée. Sur le reste, dans les pavillons, il y a du bon et du mauvais comme à chaque édition. J’aime énormément le travail de Gregor Schneider qui a reçu le Lion d’Or mais, à cause d’une trop longue attente, je n’ai pas pu voir son œuvre. En revanche, l’exposition d’Harald Szeemann est une grande déception. C’est une sorte de fourre-tout avec un intitulé pompeux et vide, “Plateau de l’humanité”, qu’il inscrit d’ailleurs dans la lignée de l’exposition “Family of Man” de 1956. Dans les Corderies, le propos est à peine construit (sauf au début du parcours). Les œuvres d’artistes consacrés comme Richard Serra, Gary Hill ou Bill Viola sont magnifiques, mais elles cohabitent avec d’autres dont on comprend mal la présence, particulièrement dans le domaine de la photographie, où beaucoup de travaux se rapprochent du document sans en être réellement. Une sorte de photographie “moyenne” dont la fonction dans une exposition d’art contemporain n’est pas clairement établie. On voit bien que, derrière cela, il y a une volonté de mettre en évidence une photographie de type anthropologique. “Certains artistes, engagés, ont donc pu à nouveau se libérer du poids de l’autonomie pour retrouver la représentation de comportements, de sensibilités et de nostalgies tout simplement humains”, écrit à ce sujet Harald Szeemann. Comme si on pouvait avoir un accès direct à l’humain dans l’art sans un travail spécifique sur les formes ! Cette manière de rejeter les derniers principes du modernisme n’est pas très loin, en ce qui me concerne, d’une régression pure et simple. Quant au pavillon international, c’est, de l’aveu même de Szeemann, une simple juxtaposition. Bien malin qui y trouverait un fil conducteur. Autant la Biennale précédente avait représenté quelque chose d’excitant car d’un seul coup les artistes étaient remis au centre du projet, autant cette fois on a le sentiment d’une pensée qui s’est diluée dans des généralités à caractère humaniste.

L’inaliénabilité des collections d’art contemporain dans les musées a été remise en cause lors de l’adoption en première lecture de la loi musées. Quel est votre sentiment sur la question ?
Je suis, par principe, hostile à cette idée. Les collections publiques doivent rester inaliénables. L’inverse serait un pas de plus vers le renoncement à un musée considéré comme un service public. Même s’ils doivent développer des aspects commerciaux à travers la vente de produits dérivés ou la gestion d’un certain nombre d’opérations, les musées ne sont pas des entreprises. Tout ce qui touche aux expositions et aux collections doit reposer exclusivement sur des critères artistiques. Si les musées peuvent disposer de leurs collections, ils deviennent des acteurs du marché comme les autres. Ils le sont déjà par la légitimité qu’ils accordent et les achats qu’ils réalisent, mais on entrerait là dans un circuit extrêmement pernicieux. Le modèle américain d’un musée considéré comme une entreprise me paraît totalement absurde. L’art est une marchandise par certains de ses aspects et certains de ses acteurs, mais du côté du musée, il doit correspondre à autre chose. Un travail de fond s’accommode très mal de contraintes commerciales. Et qui peut dire que telle œuvre jugée secondaire aujourd’hui ne sera pas dans trente ans une pièce essentielle de la collection (et inversement) ? Le musée doit se donner le temps de la décantation, laisser l’histoire faire son travail, sans faire interférer de logique commerciale. Bien sûr, le rapport des institutions au marché est complexe. Il ne s’agit pas de faire de l’angélisme mais de garder des principes déontologiques clairs.

Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
Tout d’abord “Hitchcock et l’art” au Centre Georges-Pompidou. Je trouve cette exposition magnifique avec une recherche muséographique très poussée. L’exploration des relations du cinéaste avec l’art est faite d’une manière très fine, qui tourne le dos à toute spectacularisation outrancière. Ensuite, j’ai beaucoup aimé l’exposition d’Imi Knoebel chez Thaddaeus Ropac. Son abstraction construite se renouvelle continuellement, et c’est un très grand plaisir visuel. Enfin, intitulée “Africa”, l’exposition de la galerie Durand-Dessert est d’une intelligence merveilleuse. En mettant en relation des dessins et photogrammes de Pino Pascali avec des œuvres d’art africaines de la secte Ejagham, elle montrait des interactions très subtiles et donnait l’occasion de découvrir ces pièces extraordinaires. Dans le même ordre d’idée, je suis retourné il y peu au Musée Dapper. Comme toujours, l’exposition est faite avec beaucoup d’intelligence de discrétion. C’est un enchantement, on y découvre des chefs-d’œuvre africains sans accrochage tapageur, ni tentative de recontextualisation abusive. Pour moi, ce qui se passe là-bas est un modèle de respect des œuvres et du public.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°130 du 29 juin 2001, avec le titre suivant : Régis Durand

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque