Off the record

La vidéo, d’un siècle à l’autre

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 7 décembre 2001 - 586 mots

Si, de musées en biennales, le nombre d’œuvres qui recourent à la vidéo semble exponentiel, cette situation s’inscrit dans une histoire qui a commencé au début des années 1960. En s’attachant à ce parcours, Françoise Parfait livre une somme critique sur un sujet dont l’absence même de frontières ne peut que mettre à mal toute tentative d’écriture d’une histoire.

“Si la vidéo est vouée à être absorbée par le grand tout numérique (et cela est non seulement inéluctable mais déjà réalisé), le vidéographique, en ce qu’il a mis en place les conditions matérielles d’une esthétique, lui survivra, ou plutôt ses traits seront eux-mêmes intégrés aux modes de pensée et aux possibilités techniques informatiques : on le voit déjà dans les configurations des camescopes numériques de ce début de siècle et leurs effets vidéo préprogrammés.” Sommes-nous déjà nostalgiques de la vidéo et de ses clichés ? Ces quelques lignes, extraites de l’ouvrage consacré par Françoise Parfait à l’histoire de l’art vidéo, sèment le doute sur la validité du qualificatif de “nouveau média”, encore utilisé pour ce sujet. Cet “art” a-t-il d’ailleurs déjà existé ? En paraphrasant Walter Benjamin dans L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, l’auteur répond avec justesse par une autre interrogation : “on s’était dépensé en vaines subtilités pour décider si la [vidéographie] était ou non un art, mais on ne s’était pas demandé d’abord si cette invention même ne transformait pas le caractère général de l’art”. Peut-être devrait-on réserver ce terme d’”art vidéo” aux seuls travaux de la première génération d’artistes. Représentée par Nam June Paik ou les Vasulka, celle-ci a exploré la spécificité de ce médium. Mais ce passage fait pourtant figure d’étape. La vidéo s’est justement révélée dans ses interactions, sa capacité à investir d’autres champs. Vidéo : un art contemporain est d’ailleurs majoritairement consacré à ces rapports avec des disciplines et des supports autres, et, en premier lieu, ceux qu’elle a entretenus avec ses parents proches, la télévision et le cinéma.

Pour suivre ce parcours sur près de quarante ans, l’auteur s’est en majorité attaché à des œuvres exposées dans des musées parisiens. Toute tentative d’exhaustivité sur ce sujet ne serait que pure vanité, mais l’option de “proximité” nuit en partie à la vocation historique de l’ouvrage qui surévalue indéniablement des figures nationales. Ce livre ne représente pas moins une somme critique jusque-là inédite, avec près de 400 pages, de nombreuses illustrations et une riche bibliographie. Dans un domaine habituellement appréhendé de façon fragmentaire, son intérêt principal est d’aborder sans préjugé l’ensemble des chapelles vidéastes. En plaçant les œuvres en amont de son raisonnement (chacun des huit chapitres est ouvert par la description attentive d’un film ou d’une installation), Françoise Parfait réussit à conjuguer le militantisme des années 1970 à la fascination exercée par le cinéma commercial ces dernières années, en passant par le journal filmé, et les liens de filiation avec le cinéma expérimental (ce qui, à l’image de l’influence de Stan Brakhage sur Bill Viola, permettra peut-être de réévaluer aux yeux d’un large public l’influence de ce corpus sur des travaux supposés spontanés). Enfin, si l’on peut regretter l’absence d’une réflexion plus importante sur l’histoire des formes et des techniques, l’exercice difficile de Françoise Parfait réussit tout de même à raviver la mémoire d’une pratique qui souffre paradoxalement d’une amnésie relative. “J’ai commencé à filmer parce que je n’arrive pas à me souvenir des choses”, aime à dire Jonas Mekas.

n Françoise Parfait, Vidéo : un art contemporain, éditions du Regard, 367 p., 225 F, ISBN 2-84105331.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Off the record

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