Art contemporain

Profond malaise dans les Centres d’art

Le ministère veut redéfinir leurs missions

Le Journal des Arts

Le 1 novembre 1994 - 909 mots

De la Criée, à Rennes, au Magasin de Grenoble, en passant par le Nouveau Musée de Villeurbanne, les Centres d’art contemporain sont sous les feux des projecteurs : dérapages, ou difficultés de gestion, oublis des impératifs du service public émaillent leur croissance des deux dernières années. Le ministère de la Culture affirme vouloir reprendre en main la situation, tandis que les responsables des Centres redoutent \"une liquidation de l’art vivant\".

GRENOBLE - Le CNAC de Grenoble, appelé également le Magasin, n’a plus de directeur. Adelina von Fürstenberg, à sa tête depuis 1989, a été priée de tirer les conséquences d’un déficit de deux millions de francs au cours des deux derniers exercices. "Elle a incontestablement commis des erreurs dans la conduite administrative et financière du Magasin", affirme Patrice Béghain, directeur régional des Affaires culturelles en région Rhône-Alpes. En juillet, le commissaire aux comptes avait refusé de certifier les bilans qui lui étaient présentés.

‘"Je n’avais eu que des éloges jusqu’à présent, et on m’avait félicitée pour le prix attribué au Magasin à la dernière biennale de Venise, mais on ne m’a pas fait de cadeau parce que je ne suis pas intégrée au sérail français", se défend, désabusée, Adelina von Fürstenberg.

Comment en est-on arrivé là ? Les conflits répétés entre l’ex-directrice et ses administrateurs – pas moins de quatre se sont succédés en trois ans et demi – n’expliquent pas tout. Le désengagement d’un coproducteur a déséquilibré le budget d’une importante exposition : sous la pression de la mairie, le Musée d’art contemporain de Lyon a refusé, au dernier moment, d’acheter les tapis d’Alghiero Boettio, dont la réalisation avait coûté fort cher. À cela s’ajoute la baisse des subventions du Conseil général, une dévaluation comptable des stocks et des sommes dues par la Biennale de Venise. Le Magasin tournera au ralenti jusqu’à la fin de l’année 1995 afin d’éponger le passif ; un nouveau directeur sera recruté au printemps.

À Villeurbanne, le Nouveau Musée attire de nouveau l’attention. La Cour des comptes a mis en tête de son rapport annuel les conclusions de la Chambre régionale à son sujet (lire le JdA n°5, juillet-août). Bien que le directeur, Jean-Louis Maubant, estime que la Chambre a "outrepassé ses missions en se livrant à une évaluation de l’activité", ce rapport oblige néanmoins les tutelles à repenser la mission du Centre d’art villeurbannais.

C’est ainsi qu’il faut comprendre la position de la mairie. Elle n’a alloué au Nouveau Musée que 625 000 francs – en assujettissant cette somme au seul paiement des salaires – au lieu des 1,25 million de francs prévus pour 1994, et conditionne le versement du solde au départ du directeur. Jean-Louis Maubant rétorque : "On peut vivre avec un tiers de subventions en moins et reprendre notre nomadisme si la mairie souhaite récupérer les locaux".

Dans sa réponse aux remarques de la Chambre régionale, le ministère de la Culture précise que "le Nouveau Musée (...) est l’un des plus importants centres d’art contemporain en ce qui concerne sa politique artistique, ses missions de recherche, ses choix éditoriaux ainsi que la constitution d’un fonds d’archives"."Le Nouveau Musée est pleinement à même de remplir ses missions depuis qu’il a été réorganisé", estime Alfred Pacquement, délégué aux Arts plastiques, en soulignant l’absence de déficit.

Déjà un rapport en 1991
Ces deux affaires et quelques autres, comme la Criée de Rennes qui a été mise en liquidation judiciaire, son directeur Yannick Miloux étant licencié à la suite d’un dépassement de budget (300 000 francs de déficit pour un budget global d’environ un million de francs), illustrent la profondeur du malaise actuel des Centres d’art. "Les moyens de contrôle dont nous disposons sont insuffisants pour nous permettre de déceler les problèmes avant qu’ils n’aient pris trop d’ampleur", reconnaît Patrice Beghain. Prenant exemple sur la crise puis le redressement des Maisons de la culture, il estime qu’il faudra former "un couple directeur artistique/administrateur à la tête des Centres d’art" pour les stabiliser.

L’origine des Centres d’art – souvent constitués après la reconnaissance par le ministère d’une association de "militants de l’art contemporain" – explique pour partie ces débordements. Cette reconnaissance faisait une large place à l’aspect artistique, mais ne prenait pas ou peu en considération les obligations inhérentes à un financement public : "On a privilégié le recrutement de grands professionnels dont le souci de reconnaissance par le milieu de l’art contemporain l’emportait sur les missions de service public", reconnait Patrice Béghain.

La difficulté à mener un projet artistique de haut niveau sous les contraintes du financement public apparaît aujourd’hui au grand jour. Ce type de financement public qui repose sur la "confiance" et le "soutien à une aventure artistique", invoqués par Jean-Paul Bret, adjoint à la Culture à Villeurbanne, ne suffit plus à légitimer la politique de soutien aux Centres d’art. Pour Patrice Béghain, il faut maintenant "évaluer les Centres d’art et redéfinir leurs missions".

Aussi, plutôt que d’avoir à gérer les consé­quences fâcheuses de ces dérapages, Alfred Pacquement a demandé à l’Inspection de la création artistique d’établir "un cahier des charges insistant sur l’ouverture au public et les opérations pédagogiques, sans pour autant conditionner l’évaluation de la qualité de la programmation artistique à ces seuls critères quantitatifs". Dont acte, mais un rapport interne à la délégation aux Arts plastiques mentionnait dès 1991 les problèmes des Centres d’art et affirmait la nécessité d’une "attitude morale sans faille vis-à-vis du public, des artistes, de l’État (sans désinvolture, gaspillage...)". Il n’a pas été suivi d’effet.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : Profond malaise dans les Centres d’art

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