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Philippe-Alain Michaud, conservateur au Musée national d’art moderne

Le Journal des Arts

Le 14 avril 2006 - 1661 mots

Responsable des collections cinématographiques du Centre Pompidou et commissaire de l’exposition « Le mouvement des images – Art, Cinéma » (visible jusqu’au 29 janvier 2007), Philippe-Alain Michaud explique les partis pris du nouvel accrochage des collections permanentes du Musée national d’art moderne (Mnam) et revient sur quelques manifestations récentes mêlant arts plastiques et cinéma.

« Big bang », qui s’est achevée récemment, a introduit un bouleversement dans la présentation des collections permanentes du Musée national d’art moderne en privilégiant un mode thématique. Comment « Le mouvement des images – Art, Cinéma », le nouvel accrochage des collections, s’inscrit-il dans sa suite ?
Destruction d’un côté et mouvement et reproductibilité de l’autre sont probablement les concepts fondamentaux qui ont permis, au XXe siècle, un renouvellement profond de la conception de la production des œuvres, et ouvert la voie d’une nouvelle poétique. Après l’exploration du thème de la destruction dans sa relation à celui de la création telle que « Big bang » le développait, proposer cette exposition me semblait pertinent. D’autre part, la question du cinéma est omniprésente dans l’art contemporain, de nombreux artistes utilisant aujourd’hui les médiums temporels et mobiles, que ce soit la vidéo ou le film.
L’idée était que le spectateur puisse s’approprier l’espace de l’exposition, qu’il devienne partie intégrante d’un grand dispositif filmique. À cet effet, nous avons créé une allée centrale où les visiteurs circulent au milieu des images. Si l’on fait retour sur l’histoire du cinéma expérimental et d’avant-garde, on se rend compte qu’il utilise l’espace de diffusion du cinéma industriel (la salle de cinéma), mais que son public naturel, celui des films de László Moholy-Nagy, de Richard Serra, de Man Ray ou de Paul Sharits par exemple, est celui des musées. Exposer ce type de cinéma, dont l’histoire est restée enclavée entre l’histoire du cinéma et celle des arts plastiques, rend à l’expérience cinématographique sa véritable place dans le champ général de l’histoire de l’art. L’exposition ne remplace pas la projection, elle induit une autre expérience du cinéma, une autre temporalité, une autre perception des images. Dans l’exposition, les films sont présentés sous toutes leurs formes : en 16 mm, en 35 mm, sur écran plat, sur moniteurs, mais aussi en projection haute définition à partir de fichiers numériques, une solution très satisfaisante pour exposer les films. Nous ne nous serions probablement pas lancés dans cette voie sans le recours à la haute définition.
Derrière cette démarche, il y a l’idée que l’expérience du cinéma telle que nous l’avons envisagée durant un siècle a changé. Le cinéma est resté défini tout au long du XXe siècle à partir du dispositif de la projection publique et du long-métrage de fiction, qui reste le mètre étalon de l’histoire du cinéma. Aujourd’hui, le cinématographique excède le dispositif de mise en spectacle des images dans les salles de projection, qui est un héritage de la théâtralité : il apparaît désormais comme une manière de concevoir et d’exposer les images. Et les concepts fondamentaux qui gouvernent l’expérience cinématographique, s’ils s’agencent d’une certaine manière pour donner naissance à la séance de cinéma, se retrouvent ailleurs, agencés différemment, dans la peinture, la sculpture, la photographie, l’architecture ou le dessin. Défilement, projection, récit, montage, sont utilisés par les plasticiens pour induire des effets cinématographiques (qui ne se réduisent pas à des effets cinétiques) dans l’élaboration des œuvres. L’exposition est conçue comme un jeu qui vise à modifier la perception que nous avons du cinéma et à retrouver ses composantes fondamentales partout dans les arts visuels.

Quel parti pris avez-vous adopté pour la sélection des films et œuvres plastiques présentés ?
Nous sommes partis de la collection de films du Musée. Le cinéma expérimental vise à élucider ses propres conditions de possibilité : au terme de cette élucidation, restent ces quatre concepts fondamentaux que sont le défilement, la projection, le récit et le montage. Ils constituent les axes d’un accrochage qui mêle films expérimentaux et d’avant-garde à deux cents œuvres plastiques d’artistes modernes (Matisse, Picasso, Brancusi, Bacon…) et contemporains (Bruce Nauman, Jeff Wall, Dennis Oppenheim…). Le parcours est délibérément non chronologique, ce qui va à contre-courant de la présentation habituelle des collections du musée. Cela dit, les notions de défilement, de projection, de récit et de montage gardent une certaine coloration historique. Dans les années 1910 et 1920, avec les papiers collés et les photomontages, c’est certainement la dimension du montage qui apparaît la plus prégnante dans le champ des arts plastiques. Les années 1930, avec le travail de Moholy-Nagy ou de Brancusi notamment, marquent une redéfinition de la sculpture en termes de champ plus que de contours ou de volume. Dans les années 1960-1970, avec l’irruption du thème de la sérialité, le défilement du ruban filmique devient un modèle en peinture et en sculpture ; en même temps, le film apparaît comme une sorte de « zone franche » dans le travail des plasticiens. À partir des années 1980, le mouvement du « remake » marque l’avènement du récit cinématographique dans le champ artistique, même si Robert Smithson, dix ans plus tôt, avait déjà souligné l’influence du cinéma d’horreur ou de science-fiction pour les artistes de sa génération ; Picabia faisait d’ailleurs le même genre de constat dans les années 1920. Un découpage s’opère donc assez naturellement à partir de ces quatre concepts. Le dispositif d’accrochage réunit beaucoup moins d’œuvres que dans « Big bang », mais il inclut de grandes installations contemporaines qui n’ont pas été exposées jusqu’à présent. Cet accrochage nous a permis de procéder à un déplacement dans la présentation de la collection. Moins de peintures et de sculptures, mais plus de dessins, de photographies ou d’imprimés (notamment des années 1920 et 1930), de l’architecture, et bien sûr du film.

Le Mnam constitue une collection de films d’artistes depuis 1978. Comment se définit la politique d’acquisition ?
La politique d’acquisition de films est en train de changer en fonction de l’évolution de la production artistique. Jean-Michel Bouhours, mon prédécesseur, après Peter Kubelka – lequel a acheté, à la demande de Pontus Hulten, les cent premiers films de la collection –, s’est concentré sur l’histoire du cinéma expérimental et d’avant-garde et sur les films de cinéastes. Aujourd’hui, c’est probablement la collection publique la plus riche du monde en ce domaine. Mais il faut maintenant tenir compte du cinéma d’artistes et essayer de combler la faille qui s’est créée entre cinéma de cinéastes et cinéma de plasticiens. L’objet de l’exposition est aussi de proposer des passages entre ces cultures.

En 2001, le Centre Pompidou proposait « Hitchcock et l’art ». Pus récemment, des expositions ont confronté arts plastiques et cinéma, telles « Renoir Renoir » à la Cinémathèque française (septembre 2005-janvier 2006) ou « Impressionnisme et naissance du cinématographe » au Musée des beaux-arts de Lyon (en 2005). Comment percevez-vous ces différentes tentatives de mise en regard ?
« Hitchcock et l’art », la belle monographie conçue par Guy Cogeval et Dominique Païni (qui a été pionnier dans la question de l’exposition des films), organisait une vraie confrontation entre art et cinéma en proposant une vision rétrospective d’Alfred Hitchcock. Le principe était fascinant : Hitchcock devenait un classique et le côté fétichiste de l’exposition était amusant. Maintenant, il faudrait renverser la preuve et montrer la fortune du corpus hitchcockien dans l’art contemporain (cette dimension n’était d’ailleurs pas absente de l’exposition). Mais le cinéma, à mon sens, continuait d’apparaître dans cette exposition comme un monde d’objets et l’image filmique, comme une fenêtre ouverte sur le réel. Dans une certaine mesure, c’est l’inverse de ce que nous avons essayé de faire avec « Le mouvement des images ». Le parti pris de « Hitchcock et l’art » est comparable à une analyse de la peinture en fonction du sujet, alors qu’on peut aussi l’étudier en fonction de sa texture, de son cadrage, de ses composantes formelles, l’envisager autrement que comme un simple miroir du réel.
En ce qui concerne « Impressionnisme et naissance du cinématographe », l’idée consistait à présenter des œuvres impressionnistes souvent mineures mais bien choisies (et la confrontation du cinéma à des œuvres picturales mineures me paraît très pertinente, dans la mesure où cela introduit une brèche dans le tropisme pictural de la critique cinématographique depuis les années 1950), dans une vraie adéquation avec les films des frères Lumière. Les films étaient remarquablement bien présentés, trop bien en quelque sorte, parce qu’ils compromettaient la visibilité des peintures. Il faut faire très attention au déséquilibre : la lumière et le mouvement tendent à capter le regard. Le Musée des beaux-arts de Lyon n’a pas travaillé sur le motif, mais plutôt sur l’idée de série, sur les cadrages…, contrairement à l’exposition « Renoir Renoir », qui restait davantage dans l’illustration. L’autre problème pour Renoir, c’est la question de la filiation, qui est complexe. De plus, les tableaux étaient encadrés et les extraits de films, projetés directement sur les cimaises. Du coup, ils ne se trouvaient pas dans le même espace. On voyait soit la peinture soit les films, le rapport entre les deux médiums ne fonctionnant pas toujours. J’ajouterai que les longs-métrages ne sont pas faits pour des cimaises mais pour les salles, et qu’en présenter de brefs extraits n’a pas beaucoup de sens. Dans « Le mouvement des images », nous avons choisi de ne présenter aucun extrait : les œuvres sont intégrales.

Quelles sont les expositions qui vous ont marqué dernièrement ?
L’exposition de Pierre Huyghe, « Celebration Park », présentée à l’ARC/Musée d’art moderne [jusqu’au 14 mai] est extrêmement séduisante. Nous aurions aimé exposer This is not a Time for Dreaming, récemment acquis par le musée, mais il faisait partie de l’exposition de l’ARC. C’est un très beau dispositif. Les images de l’Antarctique renvoient explicitement aux premières images filmées au pôle, celles de l’expédition Shackleton en particulier. En même temps, la maquette avec le pingouin articulé est un clin d’œil aux vitrines des musées d’histoire naturelle qui sont de véritables préfigurations du dispositif cinématographique. L’ensemble fonctionne très bien, dans un rapport subtil au cinéma.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°235 du 14 avril 2006, avec le titre suivant : Philippe-Alain Michaud, conservateur au Musée national d’art moderne

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