Rome

Peter Greenaway interdit à Rome

Le nouveau ministre de la Culture Domenico Fisichella interdit le projet \"Cosmologie\" de Peter Greenaway

Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1994 - 760 mots

L’interdiction de la Cosmologie de Peter Greenaway pour le festival estival de Rome relève-t-elle de la protection des monuments historiques ou d’une conception de l’art restreinte aux œuvres pluricentenaires, selon les termes de Domenicho Fisichella, nouveau ministre des Biens culturels ?

ROME - Le veto opposé en juin dernier au projet de Peter Greenaway pour l’Estate Romana, le grand festival estival de Rome, et le débat sur fond de controverse politique qui s’en est suivi, ont mis une nouvelle fois l’accent sur les positions très conservatrices de l’actuel gouvernement italien en matière de culture.

S’inscrivant dans le cadre du festival U. K. Today, la nouvelle scène anglaise, le son et lumière du réalisateur devait rendre à l’obélisque dressée au centre de la place du Peuple par Sixte Quint à la fin du XVIe siècle, sa fonction de gnomon voulue par le pape. Cette Cosmologie sur la Piazza del Popolo, prévue du 26 juin au 7 juillet, aurait recréé chaque jour entre 21 h 30 et 0 h 30 le cycle solaire. Le projet comprenait l’installation de 480 projecteurs et de 48 lampes de mille watts.

La Cosmologie de Peter Greenaway
Francesco Zurli, surintendant au Patrimoine architectural et naturel, fonde son refus sur une loi de 1939, qui stipule que "le patrimoine culturel ne peut être utilisé à des fins incompatibles avec son caractère historique ou artistique, ou susceptibles de nuire à sa conservation ou à son intégrité." Or la surintendance a estimé que la lumière projetée sur le monument en aurait altéré l’intégrité architecturale, et que les mesures de protection auraient été insuffisantes.

Dans une conférence de presse organisée par Greenaway en accord avec le British Council et l’Acea, l’Office municipal de l’électricité et de l’eau, le cinéaste a repris point par point les objections qui lui avaient été opposées.

Il souligne ainsi que des structures temporaires devaient porter les projecteurs, qui pèsent chacun deux à trois kilogrammes, seuls deux d’entre eux étant fixés directement sur les églises jumelles de la place ; que seuls quelques câbles électriques, dûment protégés et isolés, auraient couru au sol, tandis que les groupes électrogènes mobiles auraient été retirés dès la fin du spectacle ; le volume sonore était prévu de façon à ne pas provoquer de vibrations ; le nombre de sorties de secours correspondait aux normes légales ; enfin, le cinéaste rappela que ces dispositions se conformaient aux premières observations de la surintendance.

Greenaway a par contre éludé le sujet délicat des lenteurs bureaucratiques : la demande d’autorisation déposée par l’assesseur (municipal) à la Culture auprès de la surintendance semble avoir été examinée par cette dernière au début de juin seulement. La lettre de refus précisait que "les interdictions d’utilisation pour des spectacles de certains éléments du patrimoine culturel romain sont décidées par la surintendance, sans aucune interférence de la part du ministère du Patrimoine culturel."

Peter Greenaway a observé une retenue toute britannique : "Rome est une cité millénaire et, comme telle, lente dans ses décisions, déclarait-il à la fin de la conférence de presse. Il ne me reste qu’à me plier à cette lenteur et à attendre des temps plus propices. Je dirai simplement que le problème Greenaway n’est pas le plus important dans cette situation complexe. Cette histoire me rappelle l’attitude adoptée par le gouvernement Thatcher vis-à-vis de l’administration municipale de Londres."

Une décision politique
Ce qui n’a pas empêché bon nombre d’observateurs et d’acteurs dans cette affaire d’interpréter le refus de la surintendance comme le résultat d’un bras de fer entre Francesco Rutelli, maire progressiste de Rome, et Domenico Fisichella, ministre néofasciste du Patrimoine culturel. Un ministre qui a défini ainsi sa position en matière d’art moderne et contemporain: "Nous n’attribuons le statut d’œuvre d’art qu’aux formes esthétiques pluricentenaires."

L’assesseur à la Culture, Gianni Borgna, n’a pas hésité à parler de "veto idéologique". Si tel est bien le cas, une menace d’ordre plus général pèse sur les nombreux projets du festival traditionnel Estate Romana. Les organisateurs de la Cosmologie ont souligné que les autorisations parvenaient sans difficulté à des manifestations de moindre importance culturelle, comme les défilés de mode de la place d’Espagne ou "les présentations d’automobiles et les meetings de Fini sur la Piazza del Popolo." Certains taxaient d’ignorance le surintendant, qui avait suggéré de déplacer la Cosmologie de Peter Greenaway.

Vittori Sgarbi lui-même, président de la commission Culture à la chambre des députés, a critiqué la position de la surintendance et du ministère sur l’utilisation du patrimoine culturel, tout en précisant ne pas connaître tous les détails de l’affaire Greenaway et en rappelant les impératifs de la conservation.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Peter Greenaway interdit à Rome

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque