Russie-Allemagne

"Pas de restitutions en contrepartie de dettes ou d’emprunts passés"

Mikhail Shvydkoi, vice-ministre adjoint de la Culture, refuse de mélanger Culture et chair à saucisse

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1995 - 698 mots

Dans l’entretien ci-dessous, le vice-ministre adjoint de la Culture, Mikhail Shvydkoi, réitère l’opposition de la Russie à la restitution sans compensations d’œuvres d’art saisies en Allemagne pendant la dernière guerre. Mais il souligne que ces compensations ne pourront en aucun cas être financières : \"Seule la Culture peut être échangée contre la Culture\", déclare-t-il. Universitaire, spécialiste du théâtre et ancien directeur du groupe éditorial Kultura, il indique également que seuls 40 % seulement du budget de la Culture voté cette année seraient effectivement disponibles.

Le Conseil de la Fédération a adressé à la Douma un projet de loi "sur la propriété des biens culturels transférés sur le territoire de la Fédération russe du fait de la Seconde Guerre mondiale". Quelle position défendez-vous ?
Mikhail Shvydkoi : Les biens transférés en Russie doivent être répartis en plusieurs catégories, selon les divers titres de propriété. Nous argumentons, à cet égard, contre deux points de vue. D’une part, les rédacteurs du projet actuel proposent de déclarer la quasi totalité des objets "biens du patrimoine national". C’est impossible, ce qui a été apporté d’Allemagne couvre divers types de propriété, notamment des objets qui appartenaient autrefois à des pays tiers.

Nous devons impérativement définir une base juridique avant de déclarer ce que nous sommes habilités à conserver. Et c’est là que la position du ministère diverge de celle de plusieurs législateurs. D’autre part, de l’avis de plusieurs collègues allemands, tout devrait être restitué, purement et simplement. On ne peut laisser le soin de résoudre ces problèmes au marchandage politique ou aux sociétés de bienfaisance des musées. Ils ne peuvent constituer un enjeu politique entre les divers camps. La décision doit se conformer aux règles du droit international, tout en respectant les intérêts nationaux du pays.

Le ministère de la Culture adopte une position très nette sur ce point : pas de restitutions sans compensations, pas de restitutions en contrepartie de dettes ou d’emprunts passés. Il serait absolument inadmissible d’échanger la Culture contre des dettes, contre de la chair à saucisse ! Seule la Culture peut être échangée contre la Culture.

Nous abordons la question de la restitution des biens artistiques à l’Église dans le même esprit : nous recherchons un mode de relations qui satisfasse les intérêts de l’Église tout en protégeant le patrimoine culturel russe.

Quelle est la situation économique de la Culture en Russie ?
Sur le plan financier, la Culture n’a pas reçu sa dotation normale depuis de nombreuses années. Aux dernières estimations, seuls 40 % d’une enveloppe ramenée à 0,89 % du budget national ont été dégagés. Nous avons pourtant réussi à préserver le réseau des institutions culturelles de l’État, parfois même à l’étendre. Ces trois dernières années ont vu la création de trois cents nouveaux musées en Russie, dont certains sont consacrés à l’art. On voit apparaître une nouvelle forme de financement, avec 10 % venant du mécénat.

Les institutions culturelles commencent à se dé­brouiller seules. Aujourd’hui, elles assurent elles-mêmes 20 % de leurs frais de fonctionnement. Faut-il s’en féliciter, c’est un autre problème, mais, compte tenu de la complexité du contexte, la culture du pays a tiré son épingle du jeu infiniment mieux que beaucoup d’autres secteurs. De plus, elle n’a jamais connu une telle liberté. Les directeurs des institutions culturelles peuvent agir à leur guise.

Nous sommes sans doute le seul pays au monde qui finance des entreprises culturelles en leur demandant uniquement de respecter la législation financière, sans conditions ni limitations. Dans les autres pays, le financement semi-étatique d’un genre ou d’un autre impose des politiques fluctuantes. Peut-être n’a-t-on pas tout à fait tort !

Quel est l’avenir des privatisations de biens culturels ?
Dans le domaine de l’art, nous devons aussi compter avec les réalités économiques et juridiques. Le ministère de la Culture a approuvé récemment le vote du décret présidentiel sur la possibilité de privatiser des monuments d’intérêt local et municipal, sous réserve d’en assurer la conservation. C’était une bonne décision, car elle assurait leur sauvegarde.

Mais nous continuons à observer attentivement le mouvement des privatisations, tout en maintenant la notion de tutelle de l’État, afin que personne ne puisse se mettre dans la tête un beau jour de privatiser, par exemple, la Galerie Tretiakov.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : "Pas de restitutions en contrepartie de dettes ou d’emprunts passés"

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