Paris à la diète

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 6 mai 2008 - 1037 mots

Entre la baisse des fonds publics et la hausse des prix du marché, les musées parisiens comptent aussi sur les donateurs privés. Seul le Musée d’art moderne de la Ville de Paris réussit à tirer son épingle du jeu.

Sans surprise, le budget public des acquisitions alloué en 2007 aux musées de la Ville de Paris a enregistré une nouvelle baisse de quelques dizaines de milliers d’euros. Loin des 4 millions dont ils bénéficiaient en 2003, les musées ont dû s’accommoder de 1,26 million d’euros, qui les oblige à revoir l’orientation de leur politique d’achat. Les œuvres acquises durant l’année écoulée semblent même mimer le rétrécissement du portefeuille, à l’image des carrés de soie qu’a pu s’offrir le Musée Galliéra, tandis que le Musée Bourdelle, avec la somme inavouable de 890 euros, n’aura pu acquérir qu’une lettre signée de l’artiste. En attendant des jours meilleurs, les musées ont effectué cette année des achats « de routine » pour compléter les séries entamées, comme le Musée Carnavalet qui, avec sept nouvelles feuilles, poursuit la reconstitution d’un ensemble de deux cents gouaches de Lesueur sur le thème de la Révolution confisqué aux descendants pour régler des droits de succession. De son côté, le Petit Palais continue d’enrichir son fonds Fernand Pelez, en vue d’une publication et d’une exposition en 2011. Si les grandes signatures sont rares, les conservateurs se consolent avec quelques curiosités historiques comme Jean-Marie Bruson au Musée Carnavalet qui se félicite d’avoir déniché une toile d’Antoine Perrot, L’Île Louvier sous la neige peinte en 1817, qui témoigne d’un paysage parisien disparu (l’île fut rattachée aux berges parisiennes quelques années plus tard) pendant l’hiver le plus rude du siècle.
Face à la double tendance de la diminution des budgets et de la flambée des prix sur le marché, les conservateurs des musées développent différentes stratégies pour maintenir le niveau de leurs collections. Le Musée Cernuschi, par exemple, a choisi depuis plusieurs années de n’acquérir qu’une œuvre par an. Ainsi, le conservateur Gilles Béguin accueille-t-il avec une grande fierté un groupe de douze éventails chinois provenant d’une collection très prestigieuse, rejoignant le bel ensemble de peintures chinoises qui sera mis à l’honneur dans une exposition prévue début 2009. Le Musée de la vie romantique adopte la même politique. Misant sur la qualité plutôt que sur la quantité, il a même économisé la somme qui lui a été attribuée cette année afin de faire monter les enchères l’an prochain. Cependant, le conservateur Daniel Marchesseau se félicite d’accueillir dans les salles du musée une toile de jeunesse signée François-Hippolyte Dogon, Un justicier, offerte par les amis du musée.

La générosité des donateurs
En effet, il ressort de ce tour d’horizon des acquisitions que le renouvellement des collections repose de plus en plus sur le soutien des fonds privés et sur la générosité des donateurs. Le Musée Cernuschi, par exemple, a reçu de la part de Philippe Wahl un ensemble exceptionnel d’antiquités, dont un cheval en terre cuite de taille réelle daté du IIe siècle, provenant de la province chinoise du Sichuan. Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris qui s’est vu accorder la somme de 657 450 euros, soit plus de la moitié du budget total des acquisitions des musées de la Ville de Paris, dénote dans ce paysage dépressif. Mais la bonne santé de l’institution, qui entreprend en ce moment le réaccrochage complet de ses collections permanentes, auquel s’ajouteront plus de cent œuvres en octobre 2008, dépend là encore de très importantes donations. Ainsi, vient-il d’acquérir une salle entière de sculptures d’Étienne Martin offertes par le groupe L’Oréal et sept tableaux d’Eugène Leroy légués par le fils du peintre. Le directeur du musée, Fabrice Hergott, ne manque pas de rappeler le rôle des donations privées dans l’histoire du musée sur lesquelles insistera le nouvel accrochage. Pour le directeur, cette libéralité, au-delà de sa générosité, est hautement stratégique pour les collectionneurs privés. En effet, le principe d’inaliénabilité permet de placer les œuvres en sûreté et d’en assurer la postérité. Selon Fabrice Hergott, cette tradition de la donation encourage la mission de service public des musées, en leur permettant de montrer des œuvres de qualité au plus grand nombre. Mais elle s’envisage également dans une relation dialectique avec le marché de l’art. Faire entrer dans les collections publiques l’œuvre d’un artiste déprécié par le marché, assure au collectionneur de faire grimper sa cote. De ce jeu de promotions mutuelles, le musée tire lui-même bénéfice, surtout quand les caisses sont vides et ne lui permettent pas d’intervenir massivement sur le marché.

Quelques exemples

Maison de Balzac / BUDGET : 42 719 €
- La Caricature provisoire 1838-1843 - 5 volumes, 24 750 €

Musée Bourdelle / BUDGET : 890 €
- Lettre autographe signée Émile-Antoine Bourdelle à M. Thiébault, datée du 7 novembre 1912, 890 €

Musée Carnavalet / BUDGET : 180 808 €
- Acquisition de 70 tirages noir et blanc de Willy Maywald, 26 000 € - 7 gouaches de Lesueur, 56 000 €

Musée Cernuschi / BUDGET : 91 000 €
- Douze éventails et feuilles d’albums de la collection Reubi, Chine XVe et XIXe siècles, 91 000 €

Musée Cognacq-Jay / BUDGET : 73 798 €
- Pierre-Joseph Michel, La Bascule, sculpture en terre cuite 32 000 €
Musée Galliéra / BUDGET : 5 880 €

- Ensemble de ski en laine (veste et pantalon) des années 1920, 2 000 €

Musée d’Art Moderne / BUDGET : 657 456 €
- Anton Räderscheidt, Autoportrait, huile sur toile, 1928, 150 000 €
- Dominique Gonzalez-Foerster, Promenade (tropicalisation) (avec Christophe Van Huffel), 2007, 70 000 €
- François Morellet, Tirets de néon 0°-90° avec rythmes interférents, 1971, 60 000 €

Mémorial Leclerc / BUDGET : 9 500 €
- Fonds d’archives de collections diverses : archives, journaux, photographies, 7 000 €

Maison de Victor Hugo / BUDGET : 55 734 €
- Victor Hugo, La Mouette, dessin signé, daté et réalisé à Hauteville House, lot n°236

Musée de la Vie Romantique / aucune acquisition

Petit Palais / BUDGET : 140 841 €
- Deux esquisses peintes de Fernand Pelez, lot n° 85, 17 181 €
- Pendantif de Lucien Falize (1839-1897), 62 000,00 €

BUDGET TOTAL : 1 795 450 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°281 du 9 mai 2008, avec le titre suivant : Paris à la diète

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