Qu’est devenue la collection du Musée Paul Fourché ?

Orléans à la recherche de tableaux perdus

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1996 - 553 mots

Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement du communisme en Union soviétique, les demandes de restitution d’œuvres d’art saisies ou « disparues » pendant la Seconde Guerre mondiale se multiplient. Voilà qu’à son tour, le Musée des beaux-arts d’Orléans se lance à la recherche de plus de trois cent cinquante peintures, dont il a perdu la trace depuis juin 1940.

ORLÉANS - Du 14 au 19 juin 1940, Orléans est soumise aux bombardements allemands qui prennent pour cible le centre et les quartiers anciens. La population évacue la ville et rejoint les longues files de l’exode. Des incendies se déclenchent sans pouvoir être maîtrisés, faute d’hommes et de moyens. Peu à peu, ils gagnent du terrain et dévasteront 607 immeubles sur 17 hectares, tandis que 695 habitations seront endommagées. Bien que les nazis occupent Orléans depuis le 16 juin dans l’après-midi, le 24, une compagnie de sapeurs-pompiers venue de Paris réussit à entrer dans la ville et à éteindre les incendies.

Trois musées sont détruits : le Musée Jeanne d’Arc, le Musée archéologique et historique et le Musée Paul Fourché. Durant l’été, les Orléanais s’activent à dégager les ruines. Dans celles des deux premiers musées, ils retrouvent  des œuvres, en revanche très peu d’objets sont mis au jour dans les ruines du troisième. "C’est très surprenant, s’interroge Éric Moinet, l’actuel conservateur en chef du Musée des beaux-arts d’Orléans.  Que s’est-il réellement passé entre le 14 et le 25 juin ?".

Les témoignages concordent pour indiquer que la rue de la Halle­barde, où se trouvait le Musée Fourché, n’a été atteinte que tardivement par l’incendie qui s’est propagé de maison en maison. Y aurait-il eu alors pillage de la part des occupants ou de la part d’une population incontrôlée ? Après la guerre, des rumeurs circulaient selon lesquelles le musée aurait subi le même sort que certaines maisons de la rue. Du Musée Fourché ne subsiste aujourd’hui que la collection de dessins, évacuée à Chaingy dans la propriété du conservateur de l’épo­que, et quelques tableaux transportés en 1939 au Musée principal des beaux-arts (Courbet, Chin­treuil, Isabey, Gros…). Plus de trois cent cinquante peintures manquent à l’appel.

Le dossier est rouvert
En 1992, le ministère français des Affaires étrangères interroge le Musée des beaux-arts d’Orléans dans le cadre d’une commission franco-allemande sur la restitution d’œuvres spoliées éventuellement restée à l’Est, et lui demande un inventaire. Le dossier du Musée Paul Fourché, clos jusqu’alors, est rouvert. Dans la foulée, Éric Moinet lance un appel à témoins et organise au Musée des beaux-arts une conférence avec projection des œuvres disparues. "Cela a eu des répercussions, puisque l’on m’a rapporté un bronze du Musée archéologique et historique", confie-t-il. Rien, en revanche, des collections Paul Fourché. Pourtant, des rumeurs – encore elles – laissent supposer que certains tableaux seraient passés sur le marché de l’art dans l’après-guerre.

"Cinquante-cinq ans après, la collection n’est peut-être pas perdue pour tout le monde", estime Éric Moinet. C’est pour cette raison que le conservateur organise, du 1er mars au 31 mai, l’exposition "Mémoire du Nord", pour à la fois dresser un bilan de l’étude des peintures flamandes et hollandaises du musée et braquer un projecteur plus large encore sur la disparition des collections de Paul Fourché qui, pour ces seules écoles, avait rassemblé une centaine d’œuvres.

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Né à Orléans en 1840, Paul Fourché devient à Bordeaux – où il meurt en 1922 – un riche négociant, et rassemble dans son vaste hôtel particulier du cours Clémenceau une importante collection de peintures, principalement flamandes et hollandaises. Sa fortune considérable lui permet de voyager et d’acheter, lors de ses déplacements ou grâce à des marchands, des œuvres, parfois à grand prix et parfois sans trop de discernement sur leur authenticité. Il acquiert également un assez bel ensemble de toiles italiennes des XVIe et XVIIe siècles, et françaises des XVIIIe et XIXe siècles, ainsi que du mobilier, des objets d’art, des sculptures et près de 4 000 dessins.
Paul Fourché donne à sa ville natale ses collections, qui rejoignent en 1907 un hôtel particulier, autrefois occupé par les Beauharnais. Un an plus tard, le musée – une dizaine de salles, sur deux niveaux, offrant un accrochage dense et pittoresque – est ouvert au public. À une date inconnue, sans doute après 1922, une campagne de photographies est entreprise. Les archives conservent ainsi aujourd’hui des reproductions d’œuvres de Van Bloemens, Andries Both, Ruysdael, Stevens, Saenredam, des ateliers de Rembrandt et Rubens, de Boilly, Coypel, Vernet, Greuze, Benjamin Constant, Ribot, Lorenzo Costa, Carlo Dolci…
Curieusement, alors que dès 1935, des circulaires sur la sauvegarde en cas de guerre d’œuvres classées étaient adressées par le ministère de l’Éducation nationale, et que deux châteaux près d’Orléans étaient réquisitionnés, la majeure partie des collections du Musée Fourché a été oubliée dans la tourmente et ne fut donc pas évacuée.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : Orléans à la recherche de tableaux perdus

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