Architecture

Œuvre Soler

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 24 octobre 2003 - 746 mots

Il aura fallu sept ans pour qu’enfin démarre le chantier dit “des Bons-Enfants”?, destiné à regrouper l’ensemble des directions du ministère de la Culture, à Paris. Lauréat du concours en 1995, l’architecte Francis Soler est dorénavant à pied d’œuvre et la “peau”? qu’il a prévue pour unifier les deux bâtiments, déjà visible.

L’enjeu est de taille, et sera parfaitement défini quelques années plus tard par Claudie Georges-François, chargée de mission auprès du directeur de l’administration générale du ministère de la Culture et interlocuteur quotidien de l’architecte : “L’architecte doit unifier les bâtiments, mais aussi marquer fortement l’identité visuelle du Ministère de la Culture. Lequel doit trouver une identité qui le distingue du ‘façadisme’ propre à l’immeuble banal de banque, style que l’on retrouve dans cet arrondissement de Paris. Il doit être vivant et inciter au débat, pour que l’image en reflète la fonction…(1)”
L’objectif est si bien conceptualisé que le concours sur invitation organisé en 1995 pour la réhabilitation et la reconversion de l’îlot des Bons-Enfants (bordé par les rues des Bons-Enfants, Croix-des-Petits-Champs, Montesquieu et Saint-Honoré dans le 1er arrondissement) attire la fine fleur de l’architecture française. C’est Francis Soler qui l’emportera devant Galfetti, Gaudin, Geipel et Michelin, Nouvel, Perrault, Wilmotte et Thurnauer. L’idée de regrouper les directions du ministère n’est pas nouvelle, mais elle aura mis du temps à se concrétiser. Elle sera pourtant classée fin 2004 après avoir – il est vrai – déjà mobilisé cinq ministres de la Culture successifs. C’est Jacques Toubon qui initie le processus, Philippe Douste-Blazy qui le juge, Catherine Trautmann qui le finance, Catherine Tasca qui le valide et Jean-Jacques Aillagon qui le met en œuvre. Projet essentiel en termes d’efficacité retrouvée et, également, en termes financiers. En effet, l’économie de fonctionnement des services qu’il permettra de réaliser devrait amortir en douze ans le coût de l’intervention (environ 40 millions d’euros).

Le parti architectural
Soit deux immeubles cohabitant en toute disharmonie. Le premier édifié en 1920 par Vaudoyer servait de réserves et d’entrepôts aux Grands Magasins du Louvre (qui accueillent dorénavant le Louvre des antiquaires) avant d’être racheté par le ministère des Finances pour y installer les services de la Dette publique. À l’étroit, le ministère des Finances confie en 1955 à l’architecte Lahalle le soin d’édifier sur la parcelle voisine un bâtiment additionnel. Ceci sans que les deux immeubles n’affichent la moindre continuité ni même complicité.
Pour Francis Soler, dont on connaît le goût qu’il a pour la lumière “en quantité”, il s’agissait dans un premier temps de remodeler, d’ouvrir les intérieurs vers l’extérieur. Pour ce faire, il arrache littéralement un morceau de l’immeuble situé rue des Bons-Enfants, transformant ainsi une courette encaissée et délaissée en un vaste espace libre qui capte la lumière et la rétrocède à l’ensemble des plateaux. Les surfaces perdues, il les rattrape en épaississant les corps de bâtiments donnant sur cette nouvelle cour.
L’objectif fonctionnel et mesurable étant atteint, il s’agit désormais d’unifier le tout et, sans renier ni les années 1920, ni les années 1950 ou encore les années 2000, d’élaborer pour le nouvel ensemble une écriture commune dont la force et l’expressivité correspondent au programme d’identité énoncé par Claudie Georges-François. Lisser les toits, créer des verrières, enrober le tout d’une résille métallique elle-même doublée de garde-corps en motifs de ferronnerie sera la réponse de l’architecte : “La chance de ce projet n’est pas tant de conserver que de transformer ou de prolonger. C’est avancer l’idée d’une culture en mouvement, confie l’architecte. Œuvrer sur un bâtiment qui semble appartenir à l’histoire, c’est aussi le prolonger dans le temps.” Alors que cet “enrobage” arrive aujourd’hui presque à son terme, on pense naturellement à Christo. Un Christo cette fois-ci pérenne et inscrit dans la durée. Mais aussi et surtout à Mantegna, auquel Soler rend régulièrement hommage (2). Et ce qu’il emprunte au maître, c’est le type de perspective illusionniste mis au point par le peintre à Mantoue dans son œuvre capitale La Chambre des époux, et développé dans le système décoratif du palais du Té, toujours à Mantoue. Soit comment, par des jeux de caches et de distorsions, de marques et de transparences, d’apparitions et de disparitions, lier deux bâtiments sans grand intérêt, et les faire basculer dans une dimension incertaine et pourtant terriblement prégnante.

(1) Les Bons Enfants, entretiens menés par Alice Laguarda, Jean-Michel Place éditions, 2001. ISBN 2-85893-628-5.
(2) cf. les façades des logements édifiés à l’ombre de la Bibliothèque nationale de France ou encore son projet pour l’ambassade de France à Tokyo.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°179 du 24 octobre 2003, avec le titre suivant : Œuvre Soler

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