L'art en 2050

Nature numérique

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 20 mai 2016 - 483 mots

Enghien-les-Bains - De façon inattendue, trois cyprès sont placés au centre de la première œuvre que découvre le visiteur d’« Hémisphères », exposition inaugurale qui constitue l’un des temps forts de « Mondes sensibles », la neuvième Biennale internationale des arts numériques d’Enghien-les-Bains.

Eau de Paris-Cyprès, c’est son nom, est une installation d’autosuffisance vitale pour trois arbustes de Fabien Léaustic. Elle se veut à la fois un symbole d’hospitalité et un rappel de la présence de la nature « partout, jusque dans nos ordinateurs ». Le dispositif, une structure métallique en forme de dodécaèdre reproduisant le principe des « jonctions universelles », fonctionne comme « une sorte d’excroissance technologique apportant l’indispensable aux plantes », pour autant qu’il soit alimenté en électricité, explique l’artiste : démiurge ou bricoleur ? Ses cyprès sous perfusion semblent mimer les cultures hors sol. À l’étage, le LAAB (Laboratoire associatif d’art & de botanique) composé
de deux artistes et d’un ingénieur, et dont la recherche est axée « sur le développement et la mise en valeur de données relatives au vivant », présente Variation pour montée de sève. En prenant le pouls d’une plante verte reliée à des capteurs, l’œuvre consiste à traduire de manière tangible – de façon lumineuse ou sonore – la vitesse et l’écoulement du suc végétal. Biorythmes et algorithmes, le concept emprunte aux techniques modernes de jardinage connecté – qui permettent aujourd’hui d’être alerté sur son smartphone des besoins d’arrosage de son gardénia. Qualifiées de « fictions biologiques », les deux installations sont, comme l’ensemble de l’exposition, placées sous le signe des imaginaires scientifiques. Faut-il voir dans leur ancrage physique une réaction à la séduction des écrans et de la réalité virtuelle ?

La fascination des cultures digitales pour l’organique n’est pas nouvelle ; en ouvrant, avec sa lapine de laboratoire fluorescente Alba le champ de l’art transgénique, l’artiste Eduardo Kac en fut, dès le début des années 2000, l’un des pionniers les plus radicaux. « Matrice inépuisable d’inspiration […], la Nature n’a jamais été aussi maîtrisée, malmenée, numérisée et sublimée », lisait-on en introduction du catalogue de l’exposition « Natures artificielles » programmée en 2013 dans le cadre du festival Exit à la Maison des arts de Créteil, qui donnait à voir « des parcelles de nature interactives».

Dans une interview accordée fin 2015 au magazine MCD, l’artiste néerlandais Daan Roosegaarde affirmait pour sa part : « Je pense que la nature et la technologie ont beaucoup de points
en commun. Quelle que soit leur évolution, les composantes de ces deux entités vivent et meurent. C’est pour cela que j’aime resituer des éléments de la nature dans des approches nouvelles, à la fois futuristes et organiques. Cette sorte de “nouvelle nature” est au cœur de mon travail. » En voici en quelque sorte un échantillon au centre d’« Hémisphères », comme un détour vers le futur contenant en germe la nostalgie du présent.
 

"Hémisphères"

Jusqu’au 3 juillet 2016. Centre des arts, 12-16, rue de la Libération, Enghien-les-Bains (95). Festival Bains numériques du 1er au 5 juin 2016. www.cda95.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°691 du 1 juin 2016, avec le titre suivant : Nature numérique

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